La pandémie a déclenché la plus importante migration que le sous-continent indien ait connue depuis la partition de l’Inde et du Pakistan en 1947. Sur l’immensité de ce territoire, les villes, très peuplées et relativement riches, sont peu nombreuses, très éloignées les unes des autres. De partout, bien souvent de très loin, des ruraux sans ressources viennent y chercher du travail afin de subvenir aux besoins de leur famille, restée au village. Du jour au lendemain, des dizaines de millions de personnes démunies ont été invitées à rentrer chez elles, bien souvent avec les seuls moyens de transport à leur portée : des cars peu nombreux et surchargés, et surtout la marche à pied. Le retour au village était la seule option possible. On devine les dégâts, avec beaucoup de victimes de l’épuisement et de la soif, sans parler de celles qui ont simplement été écrasées par des camions (ceux parmi nos lecteurs qui ont eu l’occasion de circuler sur les routes indiennes sauront de quoi nous parlons).

Parmi ces pauvres gens, il y avait à New Delhi une jeune fille de quinze ans, Jyoti Kumari, et son père, un conducteur de rickshaw qui, blessé dans un accident, pouvait à peine marcher. Ils n’avaient pas d’argent et leur village se trouvait à mille deux cents kilomètres. Avec leurs derniers sous, le père et la fille achetèrent une vieille bicyclette, et ils prirent la route, la fille pédalant et le père sur le porte-bagage. Le voyage a été ce que l’on peut imaginer : souvent rien à manger, sauf de la nourriture offerte par des étrangers, des nuits passées sur les bas-côtés ou à l’ombre de stations-service. À l’exception d’une courte étape effectuée à bord d’un camion, Jyoti a pédalé au rythme d’environ 150 km par jour. Et il faut préciser qu’elle est petite et mince et que son père, qui de plus portait un bagage, est grand et fort. Et quand ils furent enfin arrivés à destination, une autre épreuve les attendait : la quatorzaine.

Ayant appris cet exploit, la Fédération cycliste d’Inde, qui entraîne de futurs champions et les présente dans les compétitions, y compris les Jeux Olympiques, s’intéresse sérieusement à Jyoti.

Jeffrey Gettleman et Suhasini Raj – International New York Times – 25 mai 2020

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