EDITORIAUX 2006

Septembre 2006
Prospective du Moyen-Orient : de Machiavel à Braudel

L’extraordinaire processus de création de richesses dont la plupart des régions du monde bénéficient aujourd’hui s’explique avant tout par le fait que, depuis une cinquantaine d’années, la logique de Braudel l’a emporté sur celle de Machiavel.

Machiavel (Florence, 1469-1527), c’était le souci exclusif du pouvoir politique (le conquérir, le garder) et la primauté de l’Etat érigée en fait d’évidence, cet Etat – même démocratique – se considérant comme « empereur en son royaume ». Avec les totalitarismes nazi et communiste, le XXe siècle a connu deux expressions paroxystiques de ce pouvoir d’Etat. Il a fallu le contexte particulier des années qui ont suivi la Deuxième Guerre Mondiale pour que les idées du grand historien Fernand Braudel (Paris, 1902-1985) aient leur chance : faire confiance à la société civile, ouvrir les marchés, donner leur chance aux jeunes… Pour la France et l’Europe, la construction du Marché commun a rendu possible cette dynamique vertueuse. Sous des formes diverses, des évolutions analogues ont commencé plus tard en Amérique latine, en Asie, en Russie.

Resté machiavélien, le Moyen-Orient a continué à étouffer la société civile, à refuser les libertés, à redouter le développement économique et social. Il s’est enfermé dans une logique d’affrontement et de mépris réciproque (pas seulement entre Etats, aussi entre communautés, entre idéologies …). Sa jeunesse, quand elle n’est pas instrumentalisée par une faction ou une autre, est désespérée : tout cela ne vaut pas partout, mais rend compte d’une réalité largement répandue.

Le Moyen-Orient ne passera pas de Machiavel à Braudel par ses seuls moyens. Ses dirigeants machiavéliens fuient le mouvement du monde et ne seraient pas capables, à supposer qu’ils le veuillent, de conduire leurs nations vers la modernité. Mais les populations n’aspirent qu’à la paix et la jeunesse est impatiente de pouvoir enfin vivre avec son temps, de se forger un avenir personnel, familial, professionnel…

Ce dont le Moyen-Orient a véritablement besoin, c’est que nous aidions les gens à se prendre en charge. Le pouvoir des factions s’affaiblira quand les plus brillants des jeunes, sentant que l’esprit du temps a enfin changé, cesseront de s’expatrier. Notre contribution, qui relève davantage des acteurs de la société civile et de l’économie que des Etats, serait d’apporter aux sociétés civiles des pays du Moyen-Orient l’éducation, les technologies, l’ouverture sur le monde. C’est ainsi qu’un jour pourront surgir les profils dont cette région a véritablement besoin, qui ne sont ni leurs politiques, militaires, chefs religieux, mais des Adenauer, Monnet, Schuman…

Armand Braun

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