EDITORIAUX 2010

Juillet-août 2010

Prospective : à propos de l’affaire Roland-Garros…

Depuis dix ou quinze ans, la plupart de nos grandes villes ont modifié leur aménagement pour dissuader les automobilistes, promouvoir le transport public et encourager les grandes entreprises à déménager en périphérie. Des tramways et autres transports collectifs sont apparus un peu partout, les modes « doux » ont été favorisés. Indiscutablement, la population est satisfaite.

Ce qui n’était pas prévu, c’est que les entreprises verseraient leurs impôts à leurs communes d’accueil et que leurs personnels, pour ne pas subir les embarras des entrées et des sorties de villes, iraient s’installer plus loin, aggravant encore l’étalement urbain. Au départ, ce sont les entreprises aux activités polluantes qui avaient vocation à s’en aller ; mais les activités de service, des établissements administratifs et des institutions éducatives les ont suivies.

La population des centres villes a changé : beaucoup de professionnels et d’autres actifs sont partis, remplacés par les personnes âgées et les jeunes ; les activités complexes ont été remplacées par une profusion de restaurants, d’agences immobilières ou bancaires ; la perte de recettes fiscales entraînée par tout cela exerce déjà un impact formidable sur la capacité d’action des villes, dans le présent et dans l’avenir. Et elles savent ne pas pouvoir compter sur les communes voisines pour leur rétrocéder une partie de leurs nouvelles ressources.

L’affaire Roland-Garros est exemplaire de cette situation. Paris a déjà perdu un nombre considérable de créateurs de richesses. Si Roland-Garros devait déménager, cela signifierait pour la capitale la perte d’un revenu fiscal important et, en même temps, de l’un ses rares équipements sportifs de haut niveau.

Les grandes villes paient aujourd’hui le prix des politiques menées avec détermination et fierté il y a dix ou quinze ans. Et, demain, avec le lourd endettement qui pèsera sur les enfants des habitants d’aujourd’hui, elles ne pourront encore moins faire face aux épreuves éventuelles à venir. Le déplorer serait aussi vain que se lamenter sur les conditions dans lesquelles la France a, en trente ans, accumulé une dette qui l’expose à de si grands périls.

Par contre, en tirer quelques enseignements pour l’avenir ne serait pas inutile : par exemple, ne jamais se laisser séduire par une idée qui fait consensus sans s’imposer le recul nécessaire pour se poser au moins ces questions prospectives : quelles étaient les circonstances de la situation antérieure ? quels arguments sont à l’origine de la politique nouvelle ? a-t-on pris en considération la culture propre à chaque ville ? comment jeter, sinon un pont, du moins un filin politique entre les glorieux actes initiaux et la réalité des situations qui vont en résulter. Si, en l’espèce, ces questions avaient été posées, on aurait agi quand même, et il fallait le faire.

Mais des erreurs auraient sans doute été évitées : accorder trop d’importance aux questions d’aménagement et de transport, alors que la vitalité d’un ensemble urbain résulte de l’interaction de multiples paramètres ; s’enfermer au détriment des relations avec l’environnement proche et plus éloigné ; méconnaître le fait que chaque ville est aujourd’hui engagée dans une rude compétition avec toutes les autres à propos de ce qui importe vraiment, attirer les talents, la connaissance, le capital.

La crise a révélé tout cela un peu plus tôt que prévu. Même si, évidemment, elle aggrave les choses, il ne faut certainement pas lui en faire porter le chapeau. Elle ne peut servir d’excuse à la facilité avec laquelle il nous arrive à tous de nous laisser entraîner par les idées à la mode. Elle impose au contraire une obligation de préparer l’avenir, d’affirmer de nouvelles ambitions, de faire œuvre visionnaire…toutes préoccupations aujourd’hui négligées et pourtant primordiales !

Armand Braun

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