EDITORIAUX 2010

Avril 2010
Prospective ou renoncement ?

L’Europe vieillit. Ce qui était une information est devenu un problème quotidien auquel chacun est confronté : absences d’enseignants, déserts médicaux jusqu’en ville, temps d’attente pour consulter un spécialiste, difficulté à trouver des artisans… Déjà pour l’Allemagne, l’année 2010 marque un tournant historique vers la chute de la population : les plus de 60 ans y sont désormais plus nombreux que les moins de 20 ans. Les Français auraient grand tort de se croire à l’abri, malgré un taux de natalité un peu meilleur. Les réformes envisagées pour lisser le phénomène sont d’autant plus prudentes que le vieillissement favorise aussi la résistance au changement.

Et c’est justement de ce changement que nous avons besoin, ce changement que seuls les jeunes peuvent susciter. Les percées scientifiques et industrielles à l’origine de la création de richesses et d’emplois sont généralement dues à de très jeunes concepteurs : récemment, les fondateurs de Google, Facebook, Twitter… un peu plus tôt, Bill Gates et Steve Jobs… Et, en remontant dans le temps : James Watson a déchiffré la structure de l’ADN à 25 ans ; Werner Heisenberg a conçu la mécanique quantique vers le même âge ; Albert Einstein avait 26 ans lorsqu’il a publié ses textes les plus importants ; Isaac Newton avait 23 ans quand il a jeté les bases des mathématiques modernes. Depuis toujours, c’est la jeunesse qui, contre l’inertie, incarne le travail et le mouvement en avant, porte l’esprit d’entreprise… pour autant qu’on le lui rende possible.

Nous n’y sommes pas vraiment. Comment donner aujourd’hui leur chance à des jeunes scientifiques qui, parce que l’attractivité des études scientifiques n’est pas ce qu’elle devrait être, parce que notre rang dans le monde n’est plus ce qu’il était, sont de moins en moins nombreux ? Comment leur donner, par exemple, des chances comparables à celles des jeunes Chinois ou des jeunes Américains ? Certes aux Etats-Unis non plus les choses ne sont pas simples. Mais on peut là-bas, sur les seuls mérites d’un projet, trouver les quatre éléments qui, ensemble, rendent possible la réussite : l’accès au capital, aux réseaux, aux centres de ressources (scientifiques, informatiques, indus-triels…) évidemment, mais avant tout l’émancipation vis-à-vis du formatage mental des grandes organisations et des dispositifs bureaucratiques à travers lesquels celles-ci perpétuent l’asservissement des jeunes. Il est vraiment paradoxal que la Chine ait réussi à lever ce dernier obstacle alors que nous en sommes toujours incapables ! Nous pourrions initier un processus fertile en garantissant ces quatre ressources à des personnes, des équipes, des entreprises, pourquoi pas des classes de lycées ou des promotions d’étudiants.

La condition des jeunes chercheurs n’est qu’une expression parmi beaucoup d’autres des nouveaux enjeux actuels. La seule réponse intelligente possible au vieillissement est de donner aux jeunes des chances qu’ils n’avaient pas auparavant, qu’ils n’ont toujours pas. Une initiative forte à leur égard – par exemple, réserver 30 % des crédits de recherche à des laboratoires dirigés par des moins de 30 ans – serait un signal. La démonstration que nous sommes résolus à participer pour de bon aux nouvelles conditions du monde, c’est-à-dire qu’aux risques de la survie du passé nous préférons les risques de l’entrée dans l’avenir.

Armand Braun

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