EDITORIAUX 2011

Mars 2011

Prospective : nos centres-villes sur la pente marseillaise

Depuis des années, nos grandes villes françaises poursuivent, en leur centre, les mêmes politiques qui consistent pour l’essentiel à favoriser les modes « doux » de circulation et à chercher des réponses en face d’exigences pressantes en matière de logement. Ces politiques sont, malgré les problèmes posés, bien accueillies par la population qui habite sur place. Elles semblent contribuer à la diminution du nombre des accidents. Elles vont donc être poursuivies. La fermeture programmée des voies sur berges à Paris à la circulation automobile et l’idée d’implanter des logements sociaux sur les contre-allées de l’avenue Foch en font partie.

Ces politiques ont une contrepartie : l’exode des entreprises. Ces dernières s’installent en périphérie, souvent proche, parfois lointaine afin d’avoir l’accès direct aux autoroutes. Seules resteront à terme au cœur des villes de petites entreprises de services, les administrations elles-mêmes cherchant à se délocaliser, beaucoup d’établissements d’enseignement supérieur l’ayant déjà fait. Pour le moment, un puissant flux de trafic pénètre encore les villes chaque matin, mais déjà celui qui les contourne est plus important.

L’exode de l’emploi accompagne celui des entreprises. Les salariés s’efforcent de se loger au plus près de leur lieu de travail. Ils trouvent en banlieue des services de qualité équivalente à ce qui existe à Paris, des loyers moins élevés. L’étalement urbain en zone rurale va se poursuivre.

D’ores et déjà, l’identité des centres-villes n’est plus ce qu’elle était : alors même qu’elles restent très animées car elles sont les lieux du commerce, du tourisme, de la culture, leur vitalité et leur diversité d’une ville à l’autre ne sont plus ce qu’elles étaient… Le phénomène se vérifie même dans des agglomérations relativement réduites. La création de richesses se fait désormais ailleurs. Sans parler des étudiants, composante critique du dynamisme des villes, exilés dans des campus loin de tout.

Cette évolution les appauvrit. Elle induit, dans les centres-villes, une étrange coexistence entre d’une part un immobilier de plus en plus cher, de plus en plus fréquemment acquis par des étrangers dans les plus grandes villes et d’autre part une population pauvre, souvent inactive, de jeunes et de personnes âgées, chaque jour plus nombreuse dans la rue.

Une rupture majeure, engagée depuis une à deux décennies, se confirme et commence à révéler sa conséquence principale : les centres-villes ont abandonné leur rôle historique de lieu de vie, d’échanges, de création de richesses économiques, culturelles et sociales ; ils deviennent à leur tour plus dépendants des revenus de transfert que la collectivité nationale accorde aux institutions locales et à leurs habitants (déjà, un foyer fiscal parisien sur trois est non imposable).

C’est la généralisation du modèle économique de la ville de Marseille, où plus des trois quarts des ressources consommées proviennent d’une façon ou d’une autre de la redistribution et sont donc le fruit du travail des autres Français. Les bonnes intentions, renforcées par de puissants moyens de communication, légitimées par des consultations qui ne s’effectuent qu’auprès des bénéficiaires, continuent de célébrer et d’appliquer partout ce modèle. Sous des atours si convaincants, il précipite nos villes dans le désastre.

Notre situation est ce que chacun sait : une dette publique qui, discrètement, mais jour après jour réduit nos ressources et assombrit nos perspectives ; une compétitivité internationale de la France qui continue de s’éroder… Les politiques mises en œuvre pour les centres-villes ne sont ni viables, ni durables.

Leur réinvention n’est pas à l’ordre du jour et ce sont les conceptions à la mode qui continuent de façonner les esprits des élus, des administrateurs et des experts. En un moment où l’épicentre économique du monde s’est éloigné de nos rivages, il faudra bien que les collectivités territoriales se préoccupent de gagner leur vie.

Combien de temps pour admettre enfin l’évidence ?

Armand Braun

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