EDITORIAUX 2012

Juillet – Aout 2012

Prospective 2020 : Hommage à nos amis du monde entier !

Dans les épreuves qu’elles subissent toutes, les nations européennes peuvent compter sur leurs amis ! Saluons-les tous, et par exemple…

L’Angola et le Mozambique achètent entreprises et propriétés au Portugal, leur ancienne maison mère. La Chine satisfait au meilleur compte nos besoins de consommation. Le Maghreb et l’Afrique nous aident à rétablir notre pyramide des âges. Le Qatar fait vivre le PSG et finance notre télévision. Les Républiques d’Asie centrale (Kazakhstan, Ouzbékistan…) assurent les fins de mois de notre Sécurité sociale. La Russie veille à ce que les pays qui dépendent de son gaz pour se chauffer restent capables d’honorer leurs factures…

Tous les jours, nos amis nous témoignent leur affection : ils renforcent avec constance leur présence déjà considérable au capital de nos grandes entreprises ; font, pour le mieux-être de la trésorerie municipale, revivre les plus beaux hôtels particuliers et édifices publics à Paris et répandent une manne bienfaisante sur les prestigieuses propriétés de la Côte d’Azur ; rénovent nos palaces et les honorent occasionnellement de leurs visites ; coopèrent avec nos musées ; mettent à la disposition des Européens leurs compagnies aériennes, leurs opérateurs téléphoniques, leurs sociétés d’informatique. Ils bénéficient pour ce faire de la compétence des jeunes Européens qualifiés venus chercher un emploi chez eux : 15 000 jeunes Français en 2011, aussi par milliers des Espagnols, des Grecs, des Irlandais, des Italiens… Il nous reste le savoir-vivre : nous avons taillé pour certains une niche fiscale sur mesure.

Nos amis écoutent avec sympathie les éloquents discours que nous consacrons à la réforme de l’Etat et à notre capacité à surmonter nos problèmes en accentuant sans cesse la pression fiscale. Ils souscrivent fidèlement à nos émissions de dette, se satisfaisant de taux d’intérêt modestes : ainsi nous pouvons reporter sans cesse un peu plus loin une hypothétique sortie de crise et persister, en choisissant toujours le présent contre l’avenir, à organiser notre vie en économie stationnaire. Ils s’amusent gentiment de notre ronron bureaucratique et sont épatés de constater que les Français sont contents comme cela !

Le grand événement de l’année 2020, c’est l’assemblée générale des latifondiaires en Europe dans les locaux de l’ONU à New-York. Le président chinois de cette assemblée s’est inspiré des discours de Jules Ferry, ce grand réformateur et chantre de la civilisation de la fin du XIXème siècle, pour célébrer la mission civilisatrice des peuples du monde vis-à-vis de leurs frères éprouvés d’Europe. Dans les tribunes du public, les représentants des nations européennes l’ont longuement ovationné !

Blâmons ces quelques réfractaires, pays scandinaves, Pologne, qui ne partagent pas notre malheur pour avoir rétabli en temps utile l’équilibre de leurs comptes publics et privés. Comment tolérer que, dans notre monde de malades, certains aient été plus prévoyants et courageux que nous ? Qu’il soit possible de vivre sans dépendre de l’argent des autres ? Et rendons hommage à nos amis ! Ils se souviennent du temps passé. Ils auraient scrupule à briser notre rêve.

Cessons de plaisanter ! Tout ceci est exact, sauf pour l’assemblée des latifondiaires (impensable et pourtant possible dès maintenant…). Le péril est certes économique, il plane sur l’Europe entière, sur nous-mêmes plus que nous n’en avons conscience. L’effacement en cours de la France dans les échanges internationaux en est une expression dramatique. Mais il n’est pas excessif d’affirmer, comme cette fable le suggère, le caractère existentiel du péril. Soit, très improbablement, avec les autres Européens, nous réinventons sans délai notre gouvernance, soit nous sacrifions notre souveraineté. Comment justifier notre probable renoncement vis-à-vis de nos ancêtres, vis-à-vis de nos enfants ? Nos générations en ont-elles le droit ?

Il n’est que temps de réfléchir, au-delà des débats politiques du jour, aux efforts qui nous permettront peut-être d’échapper à la force des choses qui nous entraîne.

Armand Braun

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