EDITORIAUX 2012

Mai 2012

Prospective du jour et de la nuit

S’agissant de l’avenir, les uns en évoquent les risques, les autres les espoirs. Tous à partir de leur expérience et de leurs convictions. Rien de plus normal. Mais il en résulte forcément des approches contradictoires et qui, au total, font obstacle à l’action nécessaire alors que montent les périls et que surgissent de nouvelles ouvertures. Au lieu de penser à ce qu’il faudrait faire, qui nous oppose, il vaudrait mieux réfléchir à la manière de procéder, sur laquelle nous pouvons peut-être nous entendre.

Nous voulons ignorer que nous sommes, chaque jour qui passe, une société moins riche au sein de laquelle les tensions dues à l’appauvrissement ne cessent de monter. L’alternative se précise entre le jour d’un avenir porteur d’espoir et la nuit du renoncement.

Il devient vital d’aller plus loin.

Parmi les si nombreuses questions à revisiter, lesquelles choisir ? Quelles sont celles dont le traitement pourrait exercer un heureux effet de levier ? Face à la crise économique par exemple, est-il préférable de subir ou d’agir, de faire du sur place ou de bouger ?

Parmi les conseils qui nous sont prodigués de toute part, lesquels retenir ? Selon quels critères ? S’agissant du climat, par exemple, faudra-t-il demain imiter Descartes qui, pour se garantir contre des ennuis éventuels, soumettait ses écrits à des théologiens avant publication ? Le point de vue d’une revue scientifique a-t-il plus de valeur que les propos d’un humoriste ?

Hommes et femmes libres dans une société démocratique, nous n’admettons plus d’être considérés comme un troupeau qu’il faut guider. C’est le sens profond de ce qui nous sépare de la culture républicaine telle qu’elle était interprétée hier et avant-hier. De nos jours, la responsabilité personnelle va de pair avec l’engagement dans la vie de la Cité. Comment l’assumer ? Comment évaluer une décision en prenant en compte le contexte passé et les horizons possibles ?

Les assemblées élues et les pouvoirs publics ne sont pas moins influencés que vous et moi par les passions du moment, le politiquement correct, les schémas mentaux que d’astucieux communicateurs ont imprimés dans nos cerveaux. Sans parler de leur bras armé, les bureaucraties, pas toujours plus visionnaires qu’eux. Fixés sur l’immédiat, nous ne remontons jamais aux causes (les budgets publics, les scandales genre SNCM ou Sealink). Comment aider nos élus à intégrer effectivement les leçons du passé et le souci de l’avenir dans leurs initiatives, au-delà des simplismes à la mode et des exigences des groupes de pression ?

En Europe, se propage « la nuit », le risque d’effondrement aujourd’hui, de soumission demain. Après la Grèce, elle atteint aujourd’hui l’Espagne, peut-être bientôt la France. Probablement pour longtemps, avec peut-être des conséquences tragiques pour nos libertés et l’avenir des populations. L’armature d’un futur réseau de règlements, d’interdictions et de rationnements, assorti comme toujours de bons sentiments, est déjà en place. Si nous ne nous décidons pas rapidement à écarter le fardeau bureaucratique, obstacle essentiel à la renaissance de l’emploi, nous serons peut-être bientôt confrontés à nos responsabilités non assumées comme l’ont été ceux dont la passivité et l’absence de courage dans la première moitié du XXe siècle ont rendu possible l’instauration de terribles totalitarismes. Et ne croyons pas que la prospérité des autres régions du monde suffira à exercer un effet apaisant sur les plaies que nous n’osons pas résorber.

« Le jour » attend pour apparaître que nous le voulions bien. Car les issues sont, bien loin des explications académiques et politiques, affaire de lucidité et de courage. Tout est à faire et peut l’être, mais nous refusons toujours d’en assumer les conditions. Nous continuons à penser l’avenir à travers les prismes désuets des XIXe et XXe siècles. L’essor que connaît le monde est à notre portée. Deux exemples relevés ces jours ci : l’initiative Confluence à Lyon, la conception de vertèbres artificielles, à poser en trente minutes, par la société française Vexim.

Que ceux qui demain, parce qu’ils n’auront pas assumé leurs responsabilités, expliqueront, comme en d’autres temps, « nous n’avons pas voulu cela » soient prévenus que cette mauvaise excuse n’est plus acceptable.

Armand Braun

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