Il a dû se dresser fièrement sur ses ergots, le fameux coq Maurice dont les propriétaires avaient gagné le procès que leur avaient intenté des citadins nouvellement installés dans le village et incommodés par ce réveille-matin vivant. C’est sûrement un peu la médiatisation de son aventure qui est à l’origine de la proposition de loi votée par l’Assemblée nationale le 30 janvier pour définir et protéger le « patrimoine sensoriel des campagnes ».  Finis les conflits de voisinage mettant en cause le chant du coq, la stridulation des cigales, le coassement des grenouilles, l’odeur du fumier… Voici les mots magnifiques que cette mesure a inspirés à la romancière Marie-Hélène Lafon :

« Au commencement, des fermes, terres, bois, bêtes et bâtiments ont été quittés, fuis, abandonnés, partagés, perdus, vendus, cédés, bradés. Au départ, on a été séparé, on s’est arraché. Notre vieux socle hercynien est paysan. Il ne faut pas chercher beaucoup, dans la plupart des familles, pour exhumer, à deux ou trois générations en amont de la nôtre, ces ancêtres agricoles, raides dans leurs habits et mains pendantes sur les photos. Ils furent berrichons, provençaux, auvergnats, bretons ou ardennais ; ils ont quitté le pays premier pour inventer leur vie ailleurs, et leur mémoire ténue nous traverse.

« On a beau avoir été élevé sur les pentes de La Croix-Rousse, à La Garenne-Colombes, à Nevers ou à Guéret, on se souvient d’être allé chercher le lait à la ferme, dans un bidon de fer-blanc fermé d’un couvercle rond. La cour de la ferme était un autre monde, sonore, haut en couleur et en odeurs. C’était spectaculaire et exotique. On en revenait édifié, le bidon plein battait les mollets et on regrettait de n’avoir pas osé caresser les lapins qui penchaient inexplicablement leurs oreilles douces dans les clapiers tapissés de paille grise.

Ensuite du temps a passé. Les paysans avaient reflué jusqu’à n’être plus qu’un filet d’eau à moins de 4% de la population active quand ils tenaient encore pratiquement la moitié du lit de la rivière, à 40% en 1914, à la veille de la grande saignée qu’on sait.

« De vilains mots avaient fusé : « vache folle », « minerai de viande », « transgénique », « glyphosate », « agribashing ». C’est âpre, des paysans se suicident.

« Entre-temps, les rurbains se sont inventés et invités au festin de la vie verte. La déception les guette, et les tenaces rancœurs des amoureux éconduits. Se multiplient les occasions de frictions, de litiges, de poursuites, de chicaneries sempiternelles. Comment réduire au silence l’âne et le coq, les cloches des églises et celles de vaches, le tracteur et la tondeuse ? Comment mettre le fumier, le lisier, la bouse, la merde hors d’état de nuire ? Pis, comment maîtriser les grenouilles énamourées, juguler les roucoulades des crapauds en émoi, et le brame du cerf ?

« Nécessité fait loi, plus sûrement encore que notre Assemblée qui accompagne le mouvement : les coutures de nos sociétés craquent, le vent se lève, il va falloir inventer d’autres façons d’être ensemble et d’habiter le monde, les aubes futures sont à ce prix. »

Marie-Hélène Lafon – Le Monde – 29 janvier 2020

https://www.conseil-etat.fr/ressources/avis-aux-pouvoirs-publics/derniers-avis-publies/avis-sur-la-proposition-de-loi-visant-a-definir-et-proteger-le-patrimoine-sensoriel-des-campagnes-francaises

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