« Il nous faut d’un même mouvement construire et explorer la bibliothèque mondiale – et je dis bien bibliothèque et non pas littérature. On lit la littérature mondiale, mais on lit dans la bibliothèque mondiale : deux attitudes radicalement différentes. Lire, étymologiquement, c’est legere : recueillir, choisir, butiner. Et legere, c’est choisir à l’intérieur d’une bibliothèque.

Promouvoir l’idée d’une bibliothèque mondiale, c’est précisément s’opposer à la World Literature, conçue comme l’ensemble des textes qui surnagent, comme l’écume du patrimoine mondial, comme le palmarès ultime ou le canon suprême.

La bibliothèque mondiale rassemble une myriade de bibliothèques hétérogènes, chacune à envisager selon ses propres critères, ses propres hiérarchies et classifications. Elle réunit virtuellement toutes les bibliothèques du monde, de chaque culture, de chaque pays, de chaque langue et de tous les temps. Peu importe si, en pratique, nous n’en connaîtrons jamais qu’une partie infime.

La littérature mondiale sélectionne les textes qui survivent à la traduction ; la bibliothèque mondiale trouve plus intéressants les textes qui passent difficilement l’épreuve de la traduction, précisément parce que ces textes enclosent une altérité plus forte. La littérature mondiale étend les textes sur le lit de Procuste d’un regard surplombant et édifiant, et les soumet aux exigences idéologiques et morales de l’ici et maintenant ; la bibliothèque mondiale envisage chaque texte dans sa singularité et dans celle de son époque et de la culture d’où elle vient. La littérature mondiale fait triompher le sujet ; la bibliothèque mondiale transforme le lecteur ».

William Marx – Le Monde – 22 janvier 2020
Extrait de sa leçon inaugurale à la chaire de littératures comparées du Collège de France.
Pour écouter la leçon dans son intégralité :
https://www.youtube.com/watch?v=K13oU31p1Oc

 

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