Prospective.fr – Janvier 2016 – Edito
Retour du millénarisme

En un temps où aucun de nous n’était présent, dans la période qui a précédé l’an Mille, une irrésistible certitude s’est imposée : la fin du monde.

Cette peur largement partagée a conduit à un phénomène extraordinaire : ceux qui n’avaient rien ne pouvaient que prier et, les yeux tournés vers le ciel, attendre la calamité qui les emporterait ; les autres se sont empressés de mettre de l’ordre dans leurs affaires, comme le font, paraît-il, ceux qui préparent leur fin prochaine. Ils ont fait don à l’Eglise de leurs possessions terrestres. Et lorsque cette année annoncée comme apocalyptique a été révolue, lorsque tout le monde a constaté qu’il ne s’était rien passé, il a bien fallu continuer à vivre. Ceux qui s’étaient dépouillés de leurs biens ont dû tout recommencer et l’Eglise s’est retrouvée en possession d’immenses richesses. Quant aux pouvoirs politiques, qui partageaient la commune crainte, ils se sont prudemment tenus à l’écart du mouvement.

Les historiens sont divisés : certains sont persuadés que tout cela a bien eu lieu ; d’autres, Jean Delumeau en particulier, soutiennent que la grand peur de l’an Mille n’est qu’une légende ; tous s’accordent pour remarquer que cette période est une « tache blanche » de la connaissance historique et que nous n’en savons pas grand-chose.

Qu’importe. Ce qui est sûr, c’est que périodiquement l’Histoire connaît des psychoses collectives, dont les manifestations et les conséquences sont les unes et les autres souvent terribles.

De nos jours, comment ne pas évoquer les périls naturels qui se précisent si vite : le réchauffement, la montée du niveau des mers, la destruction des habitats naturels, la réduction de la bioversité, la pollution, les problèmes de l’eau, etc… La persistance du « beau temps » en cette fin d’année sera-t-elle encore bienvenue demain ?

Nos ancêtres qui ont vécu les événements de l’an Mille se croyaient victimes d’un phénomène surnaturel annoncé. Aujourd’hui, c’est aux conséquences de nos propres actions et peut-être à des phénomènes naturels que nous avons affaire. Mais la véritable différence est celle-ci : eux ne pouvaient influencer leur destin annoncé, nous, nous en avons la maîtrise.

Encore faut-il que nous sachions comment agir, c’est à dire nous dégager des schémas conventionnels et des discours incantatoires : cette affaire est trop importante pour que les Etats, qui n’en ont plus les moyens, aient le monopole de son traitement. Ce qui s’est passé début décembre à l’occasion de la COP21 en est la confirmation. Nous ne surmonterons les épreuves annoncées que si nous savons, dans la réflexion et dans l’action, regarder plus loin et concevoir ce que pourrait être un niveau supérieur de civilisation. Mais il faut pour cela être capable de réinventer les cadres mentaux et organisationnels. Cette tâche est principalement du ressort de la société civile mondiale.

                                                                                                                                  Armand Braun

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