Prospective.fr – janvier 2019 – Edito

Prospective de l’autonomie et de la dépendance

Les Français avaient oublié que les révoltes contre les excès fiscaux faisaient partie de leurs traditions. Le fisc avait oublié que les Français en arrivaient toujours à sanctionner ses excès. Les gilets jaunes sont une protestation contre l’extension sans limite du domaine de la fiscalité et de la paperasse administrative qui lui tient compagnie.

La hausse du prix des carburants a été la goutte d’essence qui a fait déborder une colère depuis longtemps contenue et dont les pouvoirs politiques successifs n’imaginaient pas qu’elle exploserait un jour. Il faut citer aussi le sentiment d’injustice éprouvé par des communautés locales mal reliées et pauvres qui se sentent victimes de la décroissance constante des services publics que l’impôt est censé financer.

Ces événements auraient pu, auraient dû se produire beaucoup plus tôt. D’un autre côté, on peut penser que nos dirigeants des récentes décennies passées n’auraient pas su les interpréter. Dommage que l’équipe dirigeante qui subit cette crise soit précisément la première qui a commencé à freiner cette folle expansion fiscale.

Ce phénomène surgit là où on ne l’attendait pas : chez les habitants, en général modestes, des zones économiques déprimées, des petites villes, des villages et des territoires périurbains. Résoudre ce problème n’est pas facile car les données structurelles du monde rural – vieillissement et départ des jeunes, sous-qualification, pauvreté, difficultés liées aux déplacements – sont ce qu’elles sont et, sauf cas particuliers, on voit mal comment les améliorer soudainement toutes ensemble. Il n’est pas propre à la France : on peut penser que le Brexit en est une autre expression ; et le président Donald Trump doit son élection à forgotten America (« les oubliés de l’Amérique »).

La grande question est la suivante : entre le désir d’autonomie et le désir de dépendance, de quel côté ce mouvement international surgissant va-t-il pencher ? Vers ceux qui rêvent de se calfeutrer à l’abri de frontières et qui s‘imaginent que la vocation de l’État est de satisfaire leurs exigences ? Ou ceux, revêtus des mêmes gilets imposés aux automobilistes par quelque administration dite compétente, qui réclament au contraire la liberté de se prendre en charge dans un environnement moins procédurier ? La même césure s’observe en Grande-Bretagne.

C’est à ceux qui aspirent à la liberté que va ma sympathie. Et je proposerais volontiers aux autres d’aller voir comment des communautés locales tirent parti de leurs handicaps pour en faire des atouts. Les exemples abondent, en France (le Choletais, petit territoire de l’ouest qui a su générer, avec la participation de tous, la richesse et l’emploi à la création d’un grand nombre d’entreprises) et dans les pays voisins (la Suisse, le Piémont…).

L’alternative dépasse largement l’affaire des gilets jaunes. Les aléas liés aux réseaux sociaux pourraient se développer de manière imprévisible, comme une sorte de tourbillon. Des milieux qui n’avaient pas le droit à la parole – chômeurs, travailleurs pauvres et précaires, retraités – la retrouvent. Espérons que cette césure se résorbera. Espérons que la paix civile reviendra.  Espérons que la trajectoire historique de la France et des autres nations ne soit pas victime de quelque accident.

Voilà, parmi bien d’autres, un dossier prospectif qu’il faut reprendre à zéro.

Armand Braun

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