Prospective.fr – Septembre 2016 – Edito
L’intelligence, mode d’emploi

Intégrer l’ubérisation dans un monde où l’on apprend autant de ses pairs que de ses pères, faire du numérique un outil au service de l’éducation pour tous, appliquer les découvertes des neurosciences à l’apprentissage, doper la mémoire en manipulant les ondes cérébrales… les pistes prometteuses ne manquent pas pour faire revivre l’enseignement et l’adapter au monde du XXIe siècle. C’est sans doute le moment de rappeler quelques fondamentaux.

L’intelligence est la chose du monde la mieux partagée… à condition de savoir s’en servir. Ce fut la conviction d’Antoine de la Garanderie (1920-2010), qui, sa vie durant, a réfléchi sur les lois générales du fonctionnement mental et ses applications à la pédagogie. La somme de six de ses principaux ouvrages a été rééditée en 2013 (Réussir, ça s’apprend – Bayard Compact). J’ai eu la chance de l’interviewer il y a quelques années pour le journal de l’Aventure des métiers.

Quand nous apprenons à nager, nous commençons par décomposer les gestes jusqu’à ce qu’ils s’enchaînent automatiquement et harmonieusement. Mais nous enseigne-t-on les « geste mentaux » dont nous avons sans cesse besoin ? « Il y a pourtant des lois générales du fonctionnement mental valables pour tout être humain. » Certains ont des difficultés, non parce qu’ils sont bêtes, mais parce que, contrairement à d’autres, ils n’ont pas trouvé spontanément comment se servir de leur intelligence. Quand on le leur montre, ils se débloquent.

La base première de tout enregistrement de connaissance, c’est l’attention. Pour cela, il faut évoquer. L’évocation est la première loi du fonctionnement mental : d’abord on perçoit, puis on se redonne en esprit ce qu’on a perçu. Prenons l’exemple d’un roman ou du démontage d’une voiture. Certains vont évoquer de préférence visuellement : ils reverront en imagination un film répétant le démontage ou illustrant le texte. D’autres vont évoquer auditivement : ils entendront les phrases du texte ou l’explication de la manœuvre. Si l’on a des difficultés d’attention, on peut s’améliorer en exerçant volontairement ses gestes mentaux. Un visuel imprime dans sa tête les schémas et les cartes. Un auditif a besoin de se les raconter. Mais pour que la leçon soit sue, il faut que le visuel ajoute des mots aux images et l’auditif des images aux mots.

Pour comprendre, chacun évoque ce qu’il perçoit et le compare avec l’évocation de quelque chose qu’il connaît déjà. Certains privilégient l’analogie. D’autre perçoivent plutôt la différence.

Antoine de la Garanderie distingue aussi les « applicants » et les « explicants ». Les premiers, comprennent en agissant, en copiant rapidement les gestes qu’ils voient faire. Les deuxièmes, plus hésitants mais plus perfectionnistes, ont besoin de décortiquer longuement le pourquoi et le comment avant d’oser se lancer.

Le geste mental indispensable à la mémorisation est la projection dans l’avenir : au moment où l’on évoque ce qu’on veut retenir, il faut voir ou entendre dans sa tête les circonstances où l’on se servira de ces nouvelles connaissances. Les étudiants qui ont le plus de chances de réussir des concours difficiles sont ceux qui, au moment où ils les préparent, se voient déjà devant le jury d’examen. Les comédiens parviennent à retenir des rôles très longs parce qu’en les apprenant ils s’imaginent en train de jouer sur la scène. Les meilleurs raconteurs d’anecdotes se réjouissent d’avance du rire qu’ils vont susciter.

Se concentrer, comprendre, retenir et imaginer, nous en sommes tous capables. Ce n’est pas une affaire de don, mais de manière d’opérer. Et de volonté. « Les hommes se distinguent plus par leur volonté que par leur intelligence. Je ne nie pas qu’il y ait des aptitudes, mais on ne sait jamais jusqu’où un être humain peut aller à partir du moment où il prend les bonnes voies. »

Hélène Braun

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