La vie des générations qui nous ont précédés a été facilitée grâce à l’invention d’innovations sociales. Ce fut, par exemple, le route, puis le Code de la route, la Poste puis le timbre-poste.

Quand nos ancêtres voyageaient, ils se déplaçaient à pied ou à cheval sur des pistes taillées petit à petit à travers la campagne et la forêt par tous ceux qui les avaient empruntées avant eux. S’ils roulaient carrosse, ils pouvaient utiliser des routes crevassées, souvent inondées, toujours dangereuses et, le ressort n’ayant pas encore été inventé, périlleuses pour leurs reins. En avance, les Romains ont inventé la voie pavée, qui leur permettait de déplacer rapidement leurs légions à travers l’empire. Mais se déplacer restait difficile. Sur le chemin de la guerre, Napoléon n’avançait pas plus vite que César une vingtaine de siècles auparavant. La création au XIXe siècle des premières routes modernes, puis l’invention, tout aussi décisive, du chemin de fer ont été des progrès qui ont tout changé.

En 1905, Jules Perrigot (1861 – 1942), papetier de son état et président de l’Automobile Club des Vosges, parce qu’il voyageait beaucoup à bord de sa de Dion-Bouton et subissait de fréquents accrochages, eut l’idée, en 1905, du Code de la Route. Il rédigea un règlement de bonne conduite, qu’il publia la même année. Ce premier Code de la route fut adopté en France, et aussi par tous les Automobiles clubs d’Europe et d’Afrique du Nord. En 1906, il imposa un examen dit de « connaissances » à tous les chauffeurs de maître, puis devint commissaire, c’est-à-dire arbitre et médiateur des conflits routiers.

Quand nos ancêtres avaient un message à transmettre, ils pouvaient le confier à La Poste Royale qui, grâce à ses relais, permettait de le transporter d’un bout à l’autre du royaume. En Allemagne, la maison Thurn et Taxis, qui avait inventé un service de messagerie dès le XIIIe siècle, établit à la fin du XVe siècle une Poste internationale. Mais ce dispositif n’était en fait utilisé que ceux qui en avaient les moyens et il donnait priorité au courrier officiel sur la correspondance privée.

Et puis c’est le destinataire qui devait payer… et il ne le faisait pas toujours. C’est ce dont se rendit compte un jour de 1840 le directeur des Poste de sa Gracieuse Majesté, Sir Rowland Hill. Déjeunant dans une auberge, il vit le facteur apporter une lettre à la servante, celle-ci examiner l’enveloppe et la rendre en refusant de payer le port. Intrigué, Sir Rowland l’interrogea et celle-ci lui expliqua que l’enveloppe était vide. Son fiancé et elle avaient convenu d’un code et selon la présentation de l’adresse, ils se tenaient au courant des nouvelles. Les amoureux ne devaient pas être les seuls à utiliser ce subterfuge qui pénalisait le transporteur. Il valait donc mieux faire payer le port d’avance, à l’expéditeur. Mais comment ? Sir Rowland eut l’idée d’une vignette collée sur la lettre en partance : ce fut le premier timbre-poste. Voué aujourd’hui à l’extinction, il a connu pendant plus d’un siècle un formidable développement et a rendu possible des échanges qui ne l’étaient pas auparavant.

La route, le Code de la route, le timbre-poste sont typiquement l’illustration de ce qu’est une innovation sociale : même si elle s’appuie sur une innovation technique, elle ne se confond pas avec elle, elle est le résultat d’une volonté de perfectionnement de la vie en société. Georges Guéron, ancien président de la SICS, aimait à dire : « une piste n’est pas une innovation sociale. L’innovation sociale, c’est la route qu’on a prévue et qui va d’un point à un autre. »

Ces inventions qui ont rendu d’immenses services sont toutes, d’une manière ou d’une autre, en voie de remplacement. Notre époque nous impose le défi leur ajouter ou substituer autre chose. Nous y sommes déjà parvenus en remplaçant partiellement le système postal par le courrier électronique et en inventant de nouveaux modes de déplacement, complémentaires de la route. En ce qui concerne le Code de la Route, la situation est un peu différente : certes, il est toujours en vigueur, obtenir son permis de conduire est une étape importante pour chaque jeune qui le souhaite, mais son autorité s’affaiblit. La multiplication sur les trottoirs de personnes roulant à vélo ou à trottinette, allant de pair avec un autre affaiblissement, celui de la capacité des communes à imposer leurs règles de circulation, nous ramène aux circonstances qui ont fait comprendre à Jules Perrigot la nécessité d’un Code de bonne conduite. Le fond du débat, qui est loin d’être tranché, est peut-être le suivant : comment, dans les circonstances d’aujourd’hui, conjuguer le besoin d’autonomie et de mobilité de chaque personne avec sa responsabilité vis-à-vis de toutes les autres ?

Hélène Braun

Print Friendly, PDF & Email