EDITORIAUX 2008

Juillet 2008
Prospective de l’action publique

Energie, consommation, environnement, inflation, finances privées et publiques, protection sociale… avec des nuances, les problèmes sont les mêmes à notre échelle française, à celle de l’Europe, à celle du monde. Le vote irlandais de juin n’est que la plus récente expression d’un malaise politique chaque jour plus manifeste. Et toujours la même absence d’idées, l’attente par tous les acteurs responsables du miracle qui ferait reculer les périls, un miracle qui ne se produira pas ; et le pressentiment d’une implosion ou d’une explosion sociétale, aux conséquences imprévisibles.

Nous nous autorisons de cette situation pour avancer la proposition suivante : dans la conduite des affaires publiques, confier à des équipes différentes ce qui relève de l’action conjoncturelle et à court terme d’un côté, ce qui relève de la préparation de l’avenir de l’autre.

Impraticable, irréaliste, absurde, direz-vous ! Cependant, nous vous invitons à prendre en considération trois arguments, parmi d’autres :

– A l’origine de bien des difficultés, il y a des mesures que nous n’avons pas prises, que nous n’avons pas su penser quand il aurait fallu le faire. Envisageons à titre d’exemple des chantiers beaucoup plus réduits que ceux évoqués plus haut : le logement et le transport en Ile-de-France. En matière de transport, nous enfermons notre réflexion à l’intérieur de concepts d’organisation apparus à l’aube du XXe siècle, fixés pour l’éternité il y a soixante ans : le monopole de quelques opérateurs publics ; une conception unimodale, inadaptée aux besoins de flexibilité nomade des gens ; une pensée « densité du territoire » dépassée à l’heure où il s’agit avant tout de fluidité et de réseaux. En matière de logement, nous avons mis en place des usines à gaz administratives et subordonné l’écoute des attentes et l’esprit d’entreprise aux modèles bureaucratiques des collectivités territoriales. Dans les deux cas, nous avons nous-mêmes façonné les raisons du désespoir des utilisateurs des réseaux saturés de la RATP et de la SNCF d’Ile-de-France, nous avons nous-mêmes créé les conditions du phénomène des sans-logis…

– Nul ne peut se consacrer simultanément à la conjoncture et à la préparation du long terme, alors même qu’elles ne sont pas dissociables. C’est un paradoxe de la vie. Le dirigeant qui accorde un peu trop de place à la préparation de l’avenir est vite balayé. Et celui qui se contente de réformettes opportunistes doit savoir que l’avenir le jugera sévèrement. Aussi longtemps que la préparation de l’avenir pouvait être assurée à la marge, voire négligemment, tout cela n’avait pas beaucoup d’importance. Aujourd’hui, quand les enjeux que l’on renvoyait vers le long terme nous prennent à la gorge et sont susceptibles d’entraîner notre disparition, il devient urgent de s’y prendre autrement.

– La référence de l’avenir est devenue incantatoire, sans cesse évoquée, rituelle, rarement concrétisée. On qualifie de prospectives des études confiées à des aréopages de spécialistes distingués et experts qui inscrivent leurs travaux dans le prolongement de l’existant. On devrait réserver ce terme à la recherche de nouveaux concepts pour l’action, destinés à relayer les survivances organisationnelles qui nous entourent, ainsi qu’à la recherche des initiatives originales qui nous permettraient de détourner les menaces et de renouer sans crainte avec le mouvement du monde.

Nous mesurons bien la formidable distance qui sépare cette proposition des situations effectives d’aujourd’hui. Mais nous ne savons pas quel avenir la montée des épreuves assure à ces positions qui se croient inexpugnables. Et nous pensons que la responsabilité majeure de l’humanité, responsabilité pour toutes les époques mais plus encore pour celle qui est devant nous, responsabilité portée par chaque personne, consiste à faire reculer la fatalité en prenant en charge son destin.

Armand Braun

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