Pourquoi les Associations de solidarité familiale

Le sentiment d’impuissance qu’inspire la chute d’une partie de la société française dans l’extrême pauvreté (10% dans les villes, 14% dans les campagnes) met en lumière les insuffisances du système de protection sociale qui avait, entre autres, pour vocation de mettre fin à la pauvreté. Lorsque j’expliquais pourquoi nous arriverions là et comment doter la société d’une « armature » de solidarité de proximité qui l’aurait évité, je n’ai pas été entendu. Il est vrai que les dispositifs publics ont longtemps été portés par un contexte économique relativement favorable ; leurs limitations (prestations, dette …) paraissaient secondaires. Les dirigeants pouvaient opter pour leur tranquillité à court terme et laisser à leurs successeurs le soin de traiter les problèmes structurels comme le vieillissement de la population et les déséquilibres financiers qui ne manqueraient pas d’apparaître un peu plus tard.

J’ai en mémoire toutes les critiques que j’ai subies en exposant le concept des Associations de solidarité familiale : réunir la proximité (des petits groupes), la prise en compte de la longue durée (d’où les familles, car celles-ci sont de fait la seule structure capable de penser au temps long), l’investissement sur des personnes (leur donner la responsabilité de réunir des ressources dans un dispositif destiné à s’autoalimenter pour les investir), la confiance donnée à ces petits groupes pour gérer la variété des situations et des projets individuels, aujourd’hui, demain et après-demain. Donner la possibilité à des fédérations de petites associations et au système public de se doter de structures qui leur auraient permis de coopérer.

Je touchais à des vaches sacrées aux yeux des politiques, des partenaires sociaux, des administrations concernées, de la presse sociale, de la pensée courante : on m’assurait que la succession spontanée des générations garantirait les retraites par répartition ; que l’Etat avait seul légitimité pour prendre en charge la solidarité et l’égalité ; qu’il n’y aurait jamais de problème d’emploi … que tout cela était destiné à durer encore très longtemps. Par ailleurs, je sentais chez mes interlocuteurs une incompréhension – les associations favoriseraient les familles aisées, qui n’en ont pas besoin, alors qu’elles étaient conçues pour aider les autres – et un soupçon : puisque je n’appartenais pas aux bureaucraties spécialisées, ma démarche ne pouvait pas être désintéressée.

Il est bien tard, la situation étant ce qu’elle est aujourd’hui, pour envisager des approches alternatives. Parce que la crise de la transmission engendrée par le système de protection sociale s’étale désormais partout. Parce que, dans leur désarroi, les Français y verraient d’abord la perspective de nouveaux sacrifices. Parce que les tensions (crise des classes moyennes, péril sur la cohésion sociale, inefficacité des politiques de lutte contre les inégalités) deviennent trop fortes.

Les Français préfèrent par défaut et par peur de l’inconnu les dispositifs élaborés pendant la Deuxième Guerre, mis en place peu après dans un contexte contemporain de la 4CV Renault, à des idées plus compatibles avec les besoins d’aujourd’hui et de demain. La difficulté ne nous est pas propre : les Etats Unis découvrent qu’ils ont la même depuis qu’avec l’Obamacare ils ont cru bon d’imiter notre modèle vieilli.

Il faut sauver la Sécurité sociale, car les périls auxquels elle est exposée concernent toute la société française. Ce ne sont pas les préconisations courantes (pression sur les fournisseurs et les prescripteurs, réduction des prestations… ) qui nous feront avancer. Il faut s’écarter de ces démarches techniciennes et admettre que le débat est de nature philosophique.

Le moule unique est une formule caduque et tout le monde le sait maintenant : il est démontré que l’étatisme constitue la cause majeure de l’individualisme. Le système actuel, d’inspiration jacobine, « n’assure plus ». La pratique pertinente serait celle de petites entités de proximité dont les Associations de solidarité familiale seraient un modèle : des structures de prévoyance reposant sur la responsabilité indivise des personnes associées, quel que soit leur âge, sur leur égalité (des prestations déconnectées des contributions initiales de chacun), sur leur solidarité en face de toutes les péripéties de la vie.

L’égalité et la solidarité peuvent être assurées autrement, de manière plus efficace et plus juste. Avec une garantie de viabilité que les dispositifs actuels ne peuvent plus donner. Mais les Associations de solidarité restent évidemment en porte-à-faux vis-à-vis de la pensée des importants et influents milieux qui soutiennent le statu quo et entretiennent l’illusion qu’il se réformera.

A un moment donné, il faudra choisir. L’avenir sera façonné par nos choix.

 

Armand Braun – mai 2014

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