Rencontre avec Olivier Cazenave, vice-président délégué de la Fondation Prospective

Innovation : l’école en milieu rural

La fonction, la grandeur de l’école consistent à donner à de petits êtres la possibilité de s’auto-déterminer et de devenir des citoyens libres, à part entière. L’école doit être une priorité absolue dans la politique nationale.

S’il demeure un service public absolument central dans la vie telle qu’elle est organisée dans notre société, il s’agit bien de l’école au sens large (maternelle, école primaire, collège, lycée etc.). L’école structure une bonne partie de la vie personnelle d’un individu : il doit s’y rendre obligatoirement lorsqu’il est jeune, puis y emmène ses propres enfants. 

A l’âge adulte ou durant l’enfance, l’école joue donc un rôle clé. Elle demeure en conséquence l’un des éléments fondamentaux pris en compte lors de la réalisation de projets de vie d’habitants d’un territoire. Plus concrètement, les couples et familles qui souhaitent s’installer sur un territoire donné vérifieront systématiquement la présence d’établissements scolaires à proximité car sans écoles, les projets de vie ne peuvent tout simplement pas être menés. Il en va de même des personnes bénéficiant déjà d’un établissement scolaire à proximité et qui apprendrait que celui-ci va fermer : cela remet en cause la totalité des projets de vie des personnes dont les enfants sont scolarisés dans cet établissement et la question du déménagement se pose alors sérieusement. 

C’est toute la problématique rencontrée par de nombreux territoires ruraux depuis plusieurs années, les plus reculés, notamment, doivent faire face à une raréfaction de l’offre scolaire. 

Ce mouvement de raréfaction de l’offre scolaire s’inscrit dans un phénomène globalement historique. En effet, depuis une quarantaine d’années, la France a vu son nombre d’écoles (maternelles et primaires) diminuer de près de 17 000, passant de 61 373 en 1982 à 44 312 en 2021(1). 

Pourtant, sur cette même période, le nombre d’élèves est resté globalement stable, oscillant entre 7,5 millions et 8 millions. Comment expliquer alors cette diminution de près d’un quart du nombre d’écoles dans notre pays (1982-2021) ? Ce mouvement s’explique par des logiques de rationalisation budgétaire : entraînant des règles de regroupement de classes ou de communes et des suppressions de postes de professeurs. 

Ainsi, à titre d’exemple, le département de l’Orne qui a vu son nombre d’enfants de moins de 10 ans diminuer de 27% de 1980 à 2018, a dans le même temps vu le nombre de ses établissements scolaires de maternelles et primaires décroître de 58%. La logique est la même dans la Haute-Marne ou dans le Cantal(2).

Une fermeture de classe a des conséquences concrètes sur les projets de vie des quelques parents dont les enfants auraient dû en principe être scolarisés : ils se retrouvent à devoir être scolarisés plus loin, posant ainsi notamment des problèmes de transports. De même, ces mouvements génèrent des conséquences sur les activités, parfois économiques, qui y sont liées, telles que les garderies ou les activités périscolaires. 

Pour faire face à ce phénomène d’ampleur qui porte atteinte à l’attractivité des territoires ruraux, en particulier les plus reculés, de nombreuses initiatives locales ont vu le jour. 

Certains maires ont alors fait preuve d’initiatives variées, parfois très décalées, pour tenter de sauvegarder leur école dans leur commune. 

Ainsi, à titre d’exemple, dans l’arrière-pays niçois, dans la commune d’Ascros qui comptait en 2020, 160 habitants, il fallait au minimum 12 élèves dans la classe pour que l’école ne ferme pas, or elle comptait à ce moment seulement 11 élèves. 

Afin d’y parvenir, le maire de la commune a alors proposé à la location 3 logements communaux au prix particulièrement attractif de 200 euros par mois, afin d’attirer les familles. Ce fut un succès puisque l’école a compté par la suite 18 élèves. 

Autre exemple dans le Cantal, à Perlan, la commune a vendu 20 parcelles à 5 euros pour accueillir de jeunes couples qui, en contrepartie, eurent l’obligation de construire un logement sur le terrain et de rester au moins 10 ans sur la commune. 

Encore plus surprenant, dans la commune de Montereau dans le Loiret, le maire avait pris un arrêté municipal afin de distribuer gratuitement à la population un célèbre médicament prescrit aux hommes souffrant de certains troubles pouvant être problématiques lors de leurs ébats privés… Coup de communication ou stratégie sérieuse, il n’en demeure pas moins que le maire de la commune indiqua quelques mois plus tard qu’onze naissances avait eu lieu sur sa commune, contre zéro dans la commune voisine(3).

Si cette méthode peu orthodoxe prête à sourire, elle montre à quel point les élus locaux peuvent être particulièrement démunis face à la fermeture annoncée de leur classe ou de leur école. L’ingéniosité déployée démontre néanmoins toute leur conscience de l’ampleur de la problématique et des conséquences qu’auraient de telles fermetures sur l’attractivité et la viabilité même de leur commune dans le temps. 

Comme le remarque la Cour des Comptes, une organisation différente a déjà été mise en place dans plusieurs pays européens, dont notamment la Finlande : l’école de socle, qui rapproche chaque école de son collège de secteur. Dans les zones rurales finlandaises, elle permet ainsi de « conserver un groupe scolaire incluant l’enseignement du premier degré et l’enseignement du second degré. La possibilité donnée aux professeurs de dispenser des enseignements aussi bien dans le premier que dans le second degré, dans deux ou trois matières, confère de la souplesse à l’affectation des moyens et participe de la réussite de ce modèle »(4) . Selon le dernier classement PISA de 2018, la Finlande se classe au 7ème rang, bien devant la France.

La Cour des Comptes mentionne également l’exemple de l’Italie : « dans la région du Piémont, le concept d’école de vallée a également progressé. Dans le Val Ceronda e Casternone, la commune de Vallo Torinese (800 habitants) a regroupé son école dans un ensemble dit d’école de vallée de 400 élèves, réparti sur deux sites. Les élus de montagne préconisent pour les zones non urbaines une réorganisation du système intégrant l’école et d’autres activités. 72 zones pilotes ont d’ores et déjà été choisies ». 

De telles initiatives ont également vu le jour en France, notamment dans les zones très rurales. Ainsi, la commune de Jussey en Haute-Saône qui compte environ 1500 habitants, a expérimenté l’école du socle en permettant aux classes de CM1/CM2 de l’école primaire de la commune de passer plusieurs heures avec les élèves du collège qui demeure juste en face. La 2ème étape a consisté à partir de la rentrée de septembre 2022 de regrouper l’ensemble des élèves de l’école et du collège dans le même bâtiment. 

S’il demeure encore difficile de mesurer les effets concrets d’un tel dispositif sur ce territoire précis, des signes positifs sont constatés. Néanmoins, les élus locaux notent la difficulté d’associer d’autres communes au projet : le problème du transport se pose à nouveau. La préconisation du présent rapport visant à revoir l’organisation de l’offre de transport, en s’harmonisant davantage avec les logiques de vie, notamment scolaires, prend, ici, tout son sens. 

Au-delà de la refonte de son organisation, la question de l’école dans les territoires ruraux ne peut pas échapper à une profonde remise en question sur la logique à retenir pour son avenir. Autrement dit, la logique budgétaire doit passer au second plan au regard de l’importance qu’incarne l’école. Tout doit découler de l’idée fondamentale selon laquelle l’école est le premier vecteur de liens sociaux, d’épanouissement et d’apprentissage des valeurs de notre société. Elle est, encore une fois, au cœur de l’attractivité d’un territoire rural, celle qui fait venir les familles, qui créeront de l’emploi, de l’activité associative, une vie et une âme de village… L’école est au centre de tout et doit ainsi être sanctuarisée indépendamment des logiques budgétaires. En effet, si ces logiques ont répondu à un impératif économique, elles ont eu des conséquences désastreuses sur l’école, et plus particulièrement celle en milieu rural. Il faut inverser la tendance en réinvestissant massivement dans l’école de demain, sans quoi il deviendra tragiquement évident qu’un pays sans éducation digne de ce nom est un pays qui creuse les inégalités et accentue encore la fracture sociale que l’on voit d’ores et déjà s’élargir dans des proportions inquiétantes.

D’où trois propositions.

Sur le modèle finlandais, généraliser plus massivement dans les territoires ruraux les écoles du socle, en accompagnant techniquement et financièrement les initiatives menées. 

Renforcer l’apprentissage du numérique pour familiariser les plus jeunes aux technologies de demain et faire de l’école une véritable école du numérique comme en Finlande.

Stimuler et accompagner financièrement les initiatives visant à déployer des solutions de cours dématérialisés dans les écoles rurales en difficultés.

Olivier Cazenave

1 – https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/05/17/17-000-etablissements-en-moins-pourquoi-plus-d-un-quart-des-ecoles-ont-ferme-en-france-en-quarante-ans_6126542_4355770.html
2 – idem

3 – https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/education-les-idees-originales-de-communes-rurales-pour-sauver-leurs-ecoles-7799822194

4 – https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-03/20190320-acces-services-publics-territoires-ruraux.pdf

Print Friendly, PDF & Email