EDITORIAUX 2013

Novembre 2013

Prospective : Lampedusa

Longtemps connue pour ses pierres ponce, l’île de Lampedusa a d’abord accédé à une célébrité équivoque lorsque Mussolini en a fait un camp de détention pour ses adversaires politiques. C’est ainsi que Gramsci, Malaparte et beaucoup d’autres personnalités y ont, contre leur volonté, passé des mois et des années … Depuis quelques années, du côté positif, le morceau d’Italie le plus proche pour les migrants venant du Sud, du côté négatif, la même chose, avec un camp de rétention. Et puis tous ces cadavres qui viennent s’échouer sur les plages …

Comment traiter de ce qui se passe en ce moment à Lampedusa, au-delà de l’émotion que soulève la mort tragique de tant de personnes ?

En étant lucide vis-à-vis de ce que pensent beaucoup d’Européens. « La vie chez nous est déjà assez difficile, nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde. » Ils redoutent aussi que notre continent ne devienne un champ d’affrontements pour des combats qui ne sont pas les nôtres. Et de fait, après un bref instant de compassion, ils préfèrent ignorer ce qui se passe.

Lucide aussi à propos de ce que font nos institutions, européennes et nationales. Elles ont conscience de leurs limites : peu d’argent, pas d’idées, beaucoup de gesticulation.

Les migrants nous expliquent qu’il est de notre devoir – moral, humanitaire – de rendre possible leur insertion en Europe. Mais ils savent qu’ils ne seront pas entendus et ont le choix entre la clandestinité dans la misère et l’enfermement sans perspectives dans les centres de rétention.

Tout indique que cette situation, qui n’est d’ailleurs pas nouvelle, va perdurer et encore empirer. Peut-être l’approche prospective peut-elle permettre aux institutions en charge de mettre fin à leur panne conceptuelle. Je m’explique. Ces jeunes migrants sont vigoureux et en bonne santé. Pour parvenir sur nos côtes, ils ont affronté mille dangers. D’un côté, ils fuient le chaos et la misère. De l’autre, ils sont déterminés à s’insérer dans la société européenne. Quelques-uns, évidemment, espèrent surtout tirer parti de nos systèmes sociaux. Faisons l’hypothèse que le plus grand nombre vient pour travailler, qu’il y a parmi eux des compétences et des vocations d’entrepreneurs. A ceux-ci, donnons leur chance. Comment ?

Proposons-leur un contrat. Nous les aidons à s’insérer en leur apportant les aides élémentaires : de quoi vivre, l’enseignement de la langue du pays, nos disciplines de travail, l’information sur nos lois et mœurs. En contrepartie, ils s’engagent à restituer à nos nations la contrepartie de l’effort réalisé pour eux. Ce contrat – qui pourrait ensuite être étendu à d’autres bénéficiaires – porterait sur 15 à 20 années, le temps qu’il faut à des gens courageux et capables pour réussir à partir de rien. Du côté européen, les intervenants seraient des associations humanitaires dotées du professionnalisme nécessaire, en partenariat avec des compagnies d’assurance ou autres.

Que l’on me permette encore un mot qui a trait aux causes profondes de ce drame. Demain, nous annonce-t-on, le monde entier subira des migrations dues aux phénomènes climatiques. Les causes de l’actuelle fuite massive relèvent toutes de la responsabilité humaine : la violence et la guerre, le totalitarisme et la stagnation économique, les fixismes religieux, culturels et idéologiques, l’absence de lois et la faiblesse de la société civile. Sans que jamais personne n’ait le courage de s’opposer à cette fatale force des choses. En contrepoint, alors que nous autres Européens sommes inquiets des conséquences de nos erreurs passées – l’endettement des Etats en premier lieu – voyons aussi dans ce qui se passe un hommage rendu aux valeurs de civilisation de nos sociétés.

Armand Braun

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