Prospective.fr – Décembre 2014 – Edito

Prospective: l’éducation au temps

Une petite fille de cinq ans visite la grotte de Tautavel et regarde ébahie la reconstitution du chasseur préhistorique : « C’est vrai, il a dû vivre il y a très longtemps. Avant Papa et Maman. Avant même Papie et Mamie. Et je trouve qu’il ne ressemble pas non plus à Mémé » (son arrière-grand-mère).

Un petit garçon du même âge se réjouit de voir arriver dans sa chambre une petite bibliothèque vitrée. Son grand-père ravi lui dit : « Tu vois, cette bibliothèque était chez mon grand-père et si ça se trouve déjà chez son papa à lui ». Pas de réaction. Le grand-père ajoute : « Et quand j’étais un petit garçon, je rangeais mes livres dedans ». L’enfant : « Eh bien, alors elle doit être très vieille ! »

Le petit garçon ne voit que les cheveux blancs de son grand-père, qu’il trouve très vieux, et ne peut pas imaginer que son grand-père a lui-même eu des ancêtres. La petite fille a déjà la conscience des générations qui se succèdent.

Le bébé au sein vit dans l’instant. Puis le jeune enfant apprend à attendre et acquiert peu à peu le sens des jours qui se succèdent, des saisons, des anniversaires.

Le monde d’aujourd’hui change-t-il l’acquisition du sens du temps chez les enfants ? Le numérique abolit les distances et met à mal la flèche du temps. Les nouveaux médias ne sont plus soumis à un avant et un après : on communique instantanément, on retourne en arrière ou en avant en visionnant un DVD. « Est-ce que quand je serai une dame, tu seras une petite fille ? », demande une toute petite fille à sa maman : elle conçoit la vie comme un jeu dans lequel chacun à tour de rôle joue sa partie. S’y ajoute le fait que l’Histoire n’étant plus enseignée chronologiquement, la plupart des jeunes n’apprennent pas la succession des événements en la reliant au cours de leur scolarité. Témoin ces réponses à un micro-trottoir à la sortie d’un grand lycée parisien le 10 novembre. « Que célèbre-t-on demain ? » : « C’est le jour où Pétain et Clémenceau ont décidé qu’il y aurait un jour de congé » et « Je ne sais pas, cette année on n’en est qu’à l’Antiquité ».

Mais est-ce grave, au fond ? Autrement dit, ce qu’on sent n’est-il pas aussi réel que ce qu’on sait ? Nous savons que la lumière qui nous parvient de l’espace a été émise par des étoiles mortes depuis longtemps. Mais ces étoiles, nous les voyons, nous les admirons aujourd’hui.

Ne plus vivre dans la chronologie telle qu’on le concevait encore au XXe siècle ne veut pas dire qu’on vivra plus mal. Nous sommes déjà dans autre chose. Nous avons conscience qu’aucune expérience humaine ne nous guidera. Mais n’en a-t-il pas toujours été ainsi ? Cette incertitude, cet impératif d’invention ne sont-ils pas des chances ? Il n’est pas évident, bien au contraire, que le monde d’aujourd’hui soit plus avare que le passé de promesses d’aventure.

Hélène Braun

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