Prospective.fr – Juin 2014 – Edito

Prospective de la mobilité des personnes en Ile-de-France : imaginons …

Je reviens sur un sujet à la fois essentiel et ignoré. Malgré quelques améliorations (les tramways, la prolongation de lignes de métro …) et tant d’éloquentes références aux nobles causes  de l’égalité, de la solidarité, du développement durable, des millions de personnes subissent chaque jour les mêmes épreuves et le statu quo se poursuit.

Ce statu quo appauvrit les salariés les plus modestes, contraints d’habiter de plus en plus loin et de perdre temps et argent pour rejoindre leur lieu de travail. Il dévitalise Paris car les grands employeurs sont déjà partis et la qualité des emplois qui y subsistent ne cesse de diminuer. Les projets de limitation de la circulation, s’ils se réalisent, feront le reste …

Imaginons que soit levé le couvercle que sont les dispositifs législatifs, réglementaires et autres censés réguler la mobilité des personnes en Ile-de-France. Imaginons que les milliers de fonctionnaires concernés, au ministère des Transports, à la Région Ile-de-France, au Syndicat des transports en Ile-de-France (STIF) et autres soient envoyés en vacances. Imaginons que les opérateurs (SNCF, RATP, Optile – les cars d’Ile de France – etc.) se trouvent soudain libres de leurs initiatives. Imaginons que des entrepreneurs indépendants puissent se révéler dans cet univers qui leur est jusqu’à présent interdit.

On criera évidemment au chaos, ou plus sobrement on haussera les épaules avec ce seul mot : « absurde ».

Or les Franciliens qui se déplacent ne vivent-ils pas aujourd’hui et depuis longtemps dans l’absurdité et le chaos ? Est-il nécessaire d’inviter les lecteurs qui ne seraient pas au courant à emprunter, un matin ou un soir, un Transilien ou certaines lignes de métro ? Qui ignore les risques de contagion liés à l’entassement excessif des gens dans les transports en commun ? Qui n’a déjà vu ou subi les chenilles processionnaires d’automobiles sur les autoroutes d’accès à Paris ? Et quel automobiliste, lorsqu’il croit être enfin arrivé au bout de son épreuve quotidienne, n’a fait l’expérience des vigilants agents de la force publique qui le guettent pour le verbaliser ? Au chaos subi, pourquoi ne pas préférer un chaos choisi, dont il n’est pas certain qu’il serait pire ?

Plaider l’invraisemblable impose de ne pas argumenter. L’idée doit être suffisamment forte pour se porter elle-même. Depuis plusieurs décennies – en fait, depuis l’inspiration créatrice de Paul Delouvrier – la pensée et l’action prospectives ont déserté la mobilité en Ile-de-France. Y aurait-il grand risque à repenser les dispositifs ? Les investissements, les décisions, les réglementations peuvent être conçus autrement et le rôle de la puissance publique s’inscrire dans des schémas neufs ? Quels scénarios de développement les opérateurs seraient-ils capables d’imaginer s’ils étaient contraints à s’émanciper ? Ils ne sont nullement tentés de le faire dans le contexte actuel, mais souvenons-nous que c’est à l’initiative privée que nous devons les premiers chemins de fer.

Qu’elle est difficile, la démarche prospective ! Quand elle est absente ou factice, aucune idée neuve n’éclaire l’horizon : c’est le cas en ce moment. Quand elle est pratiquée au sein des organisations ou pour leur compte, elle ne peut que dire la messe. Quand elle est libre et ne s’inscrit pas dans la bonne pensée du moment, elle est écartée. Et c’est ainsi que la force des choses – croissance illimitée des charges, poursuite de la dégradation de l’offre vis-à-vis de la demande potentielle, difficile financement des nouveaux investissements, obstacles multipliés au nom des bons sentiments – poursuit son chemin vers le déclin de la mobilité qui accompagne le dépérissement, discret mais si grave, de la métropole.

Armand Braun

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