Prospective.fr – Avril 2019 – Edito

Prospective : sécurité publique et démocratie

Lundi 25 mars à Paris, j’ai été bloqué à la terrasse d’un café de la Place de l’Alma qui se trouvait être, deux fois cet après-midi-là, sur le parcours du président chinois. Le métro avait été fermé sans préavis (n’était annoncée que celle de la station Kléber), pas de bus, pas de taxis, des barrières fermant la circulation, même celle des piétons. Il n’y avait pas eu d’annonce préalable dans les médias, qui s’étaient étendus par ailleurs sur l’importance de cette visite d’un invité de la France. Pendant trois heures, j’ai vu passer des milliers de personnes de tous âges tentant de rejoindre leur destination en marchant, puisqu’elles ne pouvaient plus compter sur aucun transport. Elles n’avaient pas d’autre choix.

Quelle est la raison d’être de la sécurité publique ? C’est affaire de régime politique. Dans les démocratures, seul importe le personnage public qui peut être exposé à un risque. Il faut donc avant tout faire place nette, écarter les passants, dont les situations individuelles comptent pour zéro. C’est ce qui s’est passé lundi. N’étaient admis sur les trottoirs que des petits groupes de jeunes Chinois déployant des drapeaux. L’illustre visiteur est passé dans un cortège de voitures filant à 60 km/h ; il n’a été vu par personne et n’a vu personne. C’est bien la sécurité publique, version démocratures, qui était à l’œuvre à Paris ce jour-là. J’ai appris depuis que la question avait été précisément négociée par la Chine avec les autorités françaises et qu’il en était allé de même, selon les mêmes modalités, pour la visite officielle du président des Etats-Unis.

En démocratie aussi, la sécurité publique est une mission primordiale de l’État et il est normal qu’il y consacre des moyens importants. Mais il y a, ou devrait y avoir, une énorme différence : le respect des gens, avec entre autres leur liberté de se déplacer, en est une dimension fondatrice. Dans notre pays libre, elles ont certainement été nombreuses, parmi les personnes que je voyais passer, à se demander : « de quel droit perturbe-t-on ainsi ma vie ? », « pourquoi ces difficultés imposées, sans préavis, à des citoyens et à des touristes ? ».

Et, puisque ce même scénario se rejoue tous les samedis depuis le mois de novembre, quelles sont les contreparties imposées aux responsables de la sécurité publique au nom du respect des gens ? Par exemple, est-il admissible d’interdire une grande partie des transports en commun dans une métropole où l’usage de la voiture individuelle est devenu quasiment impossible ? Est-il admissible de laisser déserter et détruire les commerces ? Peut-on à la fois prétendre se soucier de la sécurité publique et si peu prendre en compte la vie normale des gens ?

Le lendemain, mon épouse Hélène prenait le Thalys pour Amsterdam. En Hollande, celui-ci fut soudain arrêté par la panne du train précédent qu’on ne parvenait pas à dégager. Les annonces de retard se multipliaient et s’aggravaient. Elle demanda à la contrôleuse d’indiquer cet incident sur son billet de train car elle allait à coup sûr arriver beaucoup trop tard pour sa visite réservée dans un créneau étroit au Rijksmuseum. « Bien sûr, répondit celle-ci. Et indiquez-moi votre nom, je vais immédiatement téléphoner au musée pour que vous y soyez accueillie à votre arrivée ! » Preuve qu’il est possible, dans des circonstances exceptionnelles, de respecter les personnes.

Armand Braun

Print Friendly, PDF & Email