Prospective.fr – mai 2016 – Edito
Lire et écrire, ça compte…

Au XXe siècle, une liseuse désignait un petit cardigan spécialement conçu pour lire au lit l’hiver. Aujourd’hui, c’est un appareil électronique. Elisabeth adore son Kindle : insatiable lectrice, elle y a stocké des volumes difficilement transportables autrement ; elle l’emmène dans ses voyages, l’allume les nuits d’insomnie sans réveiller son mari… Marika ne prend pas le métro sans le sien puisqu’il lui permet de lire même debout dans la foule et il a avantageusement remplacé la petite valise de livres qu’elle trimballait jusqu’au village de montagne sans librairie ni bibliothèque publique où elle passe les vacances d’été.

Elles ont pourtant décidé que ce cher compagnon ne se substituerait pas aux livres papier et se sont félicitées de n’avoir pas imité cet aventurier du livre perdu qui, en ayant assez d’agrandir et ranger sans cesse les bibliothèques qui envahissaient son appartement, a déchiré tous ses ouvrages pour les numériser. En effet – et elles ne sont pas les seules à l’avoir constaté – il y a dans la lecture sur écran quelque chose de fugace : les textes ne s’impriment pas dans la mémoire.

Pendant ce temps, des psychologues américains se sont demandé quels étaient les effets des différents outils employés pour prendre des notes. Ecrire sur du papier avec un crayon à mine de plomb, un stylo à encre, un stylo bille, cela revient au même. Qu’en est-il des notes tapées directement sur l’ordinateur portable dont la plupart des étudiants sont désormais équipés ? Apparemment cette dernière technique ne présente que des avantages : on écrit en moyenne 33 mots minute sur clavier contre 22 à la main ; les notes peuvent être partagées, stockées dans des fichiers, emmenées partout, reprises pour être travaillées directement … Mais après 24 heures, celui qui a pris des notes sur son clavier a oublié ce qu’il a écrit, et le fait de les relire ne change rien car il y trop d’informations sur l’écran. Après une semaine, ceux qui ont utilisé papier et stylo s’en souviennent bien et sont mieux à même de les expliquer et commenter. Le fait d’avoir à choisir et condenser directement la teneur du cours parce qu’on ne peut pas tout noter, améliore l’écoute, la concentration, la compréhension. La différence est comparable à celle qui oppose les élèves apprenant par cœur et mot à mot un texte entier et ceux qui le réécrivent ou le surlignent pour arriver à un résumé logique. Ceux qui tapent le font mécaniquement comme un magnétophone : le cours passe directement de l’oreille aux doigts sans faire un détour par l’intelligence.

Cela explique sans doute que nous oublions les histoires drôles qui circulent si facilement sur Internet et pas celles qui nous ont été racontées par des amis dans des circonstances précises et que nous avons racontées à notre tour. Même si certains professeurs de faculté apprécient de pouvoir communiquer avec leurs trop nombreux étudiants directement par twitter pendant le cours, la plupart préfèreraient sans doute s’adresser à des visages attentifs qu’à des versos d’écrans.

Nous aimons nos machines et pouvons de moins en moins nous en passer. Mais nous sommes des animaux grégaires et avons besoin de relations interpersonnelles. L’IRM a montré que lorsqu’un orateur raconte une histoire captivante, les zones du cerveau activées chez lui et ses auditeurs se synchronisent comme par magie. Des IRM montreront peut-être un jour une différence au niveau cérébrale entre la lecture sur écran et la lecture sur papier. Qui sait, le cerveau est peut-être grugé par l’écran et croit jouer à candy crush alors qu’on lui dévoile La recherche du temps perdu

Hélène Braun

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