Prospective.fr – Mars 2017 – Edito
Alerte : le niveau baisse-t’il ?

Nous aimons à nous croire de plus en plus intelligents. Cela avait même été prouvé avec  l’effet Flynn, du nom du néo-zélandais James R. Flynn, qui avait démontré en 1987 qu’au cours du XXe siècle le quotient intellectuel des gens s’améliorait de génération en génération.

C’est une chanson tout à fait différente que nous entendons maintenant. Le même Pr. Flynn prévient que la tendance s’est inversée depuis l’an 2000 : « Nos enfants sont plus bêtes que nous et les leurs risquent d’être encore plus stupides. »

Plusieurs signes semblent confirmer cette nouvelle théorie. On a d’abord constaté en Norvège une baisse de 0,38 point du QI chez les jeunes conscrits. Mêmes observations en Australie, au Danemark, au Royaume-Unis, en Suède, aux Pays-Bas, en Finlande. En France, le QI aurait même baissé de 3,8 points entre 1999 et 2009.

Dans un article publié en 2013 dans la revue Intelligence, trois psychologues européens assuraient que les gens du XIXe siècle étaient plus intelligents que nous. Au même moment, Gerald Crabree, professeur de biologie du développement à Stanford,  estimait que le cerveau humain avait atteint son apogée il y a plusieurs milliers d’années et qu’il subissait depuis des mutations délétères.

Qu’est-ce qui nous rendrait idiots ? Dans l’incertitude de tous, dont la nôtre, il est question de la place croissante de la chimie, de l’insuffisante maîtrise de ses processus et notamment des perturbateurs endocriniens. D’après la biologiste Barbara Demeneix, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, « entre 1970 et 2010, la production chimique a été multipliée par 300. Nous avons montré comment ces molécules bouleversent la fonction thyroïdienne des grenouilles, qui n’avait pas changé depuis 450 millions d’années. Et nous savons qu’une perturbation de la fonction thyroïdienne de la mère enceinte a des effets directs sur le QI de l’enfant. »

A la chimie s’ajoute le numérique. Une étude menée en 2010 à l’université McGill (Canada) sur des chauffeurs de taxi montre que le GPS a un effet négatif sur l’hippocampe, zone qui joue un rôle essentiel dans la mémorisation et la spatialisation. D’autres recherches suggèrent que les notifications et l’alternance entre les microtâches imposées par les outils numériques invitent le cerveau à délaisser les longues périodes de concentration. Une étude menée par Microsoft confirme que notre durée moyenne d’attention est passée de 12 secondes en 2000 à 8 secondes en 2015. Et cela ne va pas s’arranger avec les objets connectés portables, voire implantables, la voiture autonome, sans oublier les baskets avec GPS intégré déjà disponibles dans le commerce…

Nous n’avons pas la compétence qui justifierait que nous prenions parti. En revanche, avec d’autres, nous avons le devoir d’alerter. Effectivement, l’intelligence est notre premier patrimoine ; il détermine tous les autres enjeux. Depuis plusieurs siècles, une grande partie de l’humanité était portée par l’idée de progrès, expression de l’intelligence, comme le sont par ailleurs toutes les grandes œuvres du passé. Si les alertes des scientifiques étaient justifiées, ce sont les fondamentaux de notre relation au monde qui en seraient ébranlés.

Si l’intelligence régressait, sa place serait prise par les passions, les idéologies, le culte de quelque Big Brother. Nous nous retrouverions, pour des siècles, dans cette condition soumise et accablée que nos ancêtres ont si longtemps connue. Et tout cela alors que la complexité, l’interactivité et la liberté, la justice aussi, ne peuvent vivre que par l’intelligence.

Armand Braun

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