Prospective.fr – Novembre 2015 – Edito
 Images du travail tel qu’il devient.

Aborder l’avenir du travail en continuité de ce qu’il est, c’est se condamner à n’y rien comprendre. Il faut prendre du recul, observer ce qui surgit sous nos yeux, universellement, partir à la recherche des nouvelles lignes de force, ne pas craindre les critiques …

L’activité et l’emploi sont désormais dissociés

Nominalement, statistiquement, l’emploi regroupe une proportion écrasante de ceux qui travaillent. Il est devenu de fait un cadre commode pour des activités de plus en plus différentes de ce qu’elles étaient, alors que le drame de la régression industrielle se poursuit, que les emplois de service changent de nature, que les catégories socioprofessionnelles d’hier rejoignent les livres d’Histoire. Les entreprises et les institutions qui pratiquent encore l’emploi à vie commencent à faire figure de réserves d’Indiens.

Le travail se réorganise autour des générations 

Jusqu’à trente ans, de trente à quarante-cinq ou cinquante ans, au-delà … Chacune avec son propre genre de vie, dans l’ignorance réciproque. La presse annonçait récemment qu’une banque britannique allait réduire d’un quart son effectif de managers « senior », actuellement de 4 000. Comme si était en train de s’installer un système mondial de castes : anciens élèves, artistes, dirigeants d’entreprises, sportifs, technologues … Les plus jeunes sont les brahmanes.

Une culture professionnelle différente s’installe

Avant tout, il faut insister sur la prodigieuse rapidité des évolutions scientifiques et technologiques actuelles. De ce fait, le marché du travail est définitivement mondialisé pour les plus qualifiés. La compétence effective (et pas seulement nominale, inscrite sur des diplômes) devient la valeur essentielle, jusqu’à ce qu’elle tombe en obsolescence. On ne sait pas encore comment vont évoluer les métiers, alors que les algorithmes et le virtuel en dévorent tant, tout en en créant d’autres. L’activité individuelle ou en équipe devient le cadre naturel de l’épanouissement personnel et de l’esprit d’entreprise.

L’Etat a de plus en plus de mal à préserver les valeurs sociétales d’égalité et de solidarité

Le périmètre du dialogue social régulé par l’Etat et les partenaires sociaux ne cesse de se réduire. La retraite, enjeu essentiel d’hier et d’aujourd’hui, devient un simple épisode dans des parcours de vie qui, pourvu que la santé et les circonstances le permettent, vont jusqu’à la mort. On ne se défausse plus sur l’employeur pour assurer son avenir professionnel. Simultanément, la géographie des activités évolue très vite. Nous restons exportateurs nets de compétences …

Quelle société la transformation du travail est-elle en train de préparer ?

La culture du service se développe, à partir d’activités faiblement qualifiées. On observe en Allemagne ce phénomène qui a son équivalent dans d’autres pays d’Europe occidentale : des centaines de milliers de femmes originaires d’Europe centrale y travaillent comme employées de maison, auxiliaires de vie ou aides-soignantes. L’ambition française d’accueillir 100 millions de touristes s’inscrit dans le même contexte.

Nombreux sont ceux qui se retirent du marché du travail en France ou n’y entrent jamais : des jeunes qui partent à l’étranger, des femmes qui préfèrent s’occuper de leurs enfants, les plus de 50 ans que l’envoi d’innombrables CV sans réponse finit par décourager …

On observe que s’est constituée une immense plèbe – il faut réhabiliter ce mot, qui était tout à fait honorable dans la Rome ancienne – , exclue des transformations, vouée aux échanges virtuels et au présent éternel : semi-actifs, chômeurs, travailleurs au noir… Férue de jeux vidéo, abonnée à tous les réseaux sociaux, cette population oisive ou semi-oisive, pauvre ou semi-pauvre est, comme l’était la plèbe à Rome, mobilisable au nom des bons sentiments ou pour s’en prendre à un bouc émissaire. Elle constitue une clientèle à la disposition des démagogues qui sauront tirer parti de ses passions.

Il faut mieux comprendre ce que devient la relation entre la nature du travail et les évolutions de la société. Il est essentiel que nous nous dégagions des prismes idéologiques, que nous fassions effort pour percevoir la réalité qui émerge et que nous devenions capables d’action réfléchie. A partir de cette proposition : chacun est potentiellement créateur, chacun peut et doit participer à la création de richesses. Un champ illimité d’initiatives se révèle qui permettraient à nos sociétés de renouer avec l’optimisme et la confiance.

Armand Braun

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