Prospective.fr – Octobre 2016 – Edito
Du rififi entre les générations ?

Des problèmes entre les générations, c’est une histoire vieille comme l’humanité.

Mais les circonstances actuelles sont différentes. Il semble bien que la chaîne immémoriale des générations soit entravée.

Les affinités s’appauvrissent, les solidarités sont discutées.

Chaque groupe d’âge vit désormais sa vie, dans une certaine indifférence aux autres : les jeunes, depuis dix ans (eh oui !) jusqu’aux environs de trente cinq, avec de multiples sous-catégories ; les vieux, depuis cinquante ans… Et, entre les deux, un « marais » démographique (les gens qui travaillent dans les entreprises et les administrations, les parents…). Chacun de ces groupes d’âge se comporte comme le font les animaux de règnes différents qui se côtoient sans se voir.

Les personnes âgées, qui représentent un peu plus de 20% de la population, perçoivent environ 20% de PIB en transferts sociaux ou assimilés, soit autant que l’ensemble des autres classes d’âge. Leur horizon est local. Elles tendent, quand elles en ont les moyens, à s’isoler au sein de gated communities. Leurs droits acquis et leur patrimoine sont le centre de leurs préoccupations. Et les Français passent environ cinq ans de plus à la retraite que la moyenne des habitants des pays membres de l’OCDE. Avec l’allongement de la durée de la vie, il y a de plus en plus souvent deux générations de retraités dans les familles, et quand les plus âgés décèdent ce sont des retraités qui héritent, pas des jeunes parents qui cherchent à s’installer.

Les jeunes vivent au sein de leur propre bulle, avec ses héros (acteurs, chanteurs, sportifs), ses technologies et ses métiers (start-up, digital natives, etc.). Les clubs sportifs n’acceptent de membres que jusqu’à un certain âge. Beaucoup de jeunes sont pauvres, chômeurs. Un certain nombre figurent parmi nos plus importants créateurs de richesses. Pour tous, le monde est leur horizon.

Les différences entre générations prennent le pas sur les différences entre classes sociales.

L’expérience des deux derniers siècles montre qu’il faut une génération pour s’adapter aux nouvelles formes du travail. Celui-ci reste le lieu de rencontre des cultures professionnelles établies et de celle des jeunes.

Toutes les nations développées devront affronter des défis tels que ceux-ci :

– Qu’est-ce que la gouvernance intergénérationnelle ? Que deviennent l’intérêt général et les thèmes qui l’accompagnent, l’égalité et la solidarité entre autres ?

– La possibilité d’échapper au facteur territorial. Les retraités vont au Portugal pour payer moins d’impôts et les jeunes diplômés vont chercher fortune ailleurs. Le vieil adage ubi bene ubi patria devient tout à fait actuel à l’heure des nouvelles technologies et des nouvelles compétences.

– L’intégration de l’éducation, du travail et du loisir, dont il est depuis si longtemps question sans qu’il ne se passe rien.

– Quid des laissés pour compte ? La presse indiquait récemment que le nombre des pauvres en France avoisinait une dizaine de millions de personnes et que, depuis 2008, près de 1 million de Français sont tombés dans cette catégorie.

– Quelle traduction politique, alors que l’âge moyen de la population ne cesse de croître et que le monde se transforme si vite ?

– L’éventualité selon laquelle les générations, désormais concurrentes, deviendraient des castes n’est plus impensable.

– Apparemment hors sujet et pourtant au cœur du sujet, l’affaire des taux négatifs. Les taux d’intérêt étaient le liant discret qui lissait beaucoup de problèmes de transmission, pas seulement financière, entre les générations. Ce liant disparaissant, de rudes tensions pourraient apparaître, entre autres pour le système de répartition qui fonde les retraites.

L’avenir n’est le souci de personne parce que rares sont ceux qui s’y intéressent et très nombreux ceux qui ont renoncé à s’y intéresser.

Qui entreprendra ? Comment ? Pour faire quoi ? Comment s’informer, écarter les formatages mentaux qui font obstacle à l’intelligence et à la créativité ? Comment agir avec persévérance, accepter de se tromper et de recommencer ? Beaucoup d’interrogations relèvent des individus, d’autres de la puissance publique. Cette dernière, quand elle repose sur l’élection, est-elle légitime pour intervenir au-delà de son mandat ? Comment peut-elle s’assurer de la pertinence de ses idées, de ses initiatives ? A-t-elle la capacité de s’attaquer à des domaines nouveaux pour elle comme pour tout le monde ?

Nous sommes dans un monde infiniment complexe au sein duquel toute certitude est présomptueuse. Mais on peut penser que cette complexité représente l’espace de liberté au sein duquel de nouvelles solutions pourront émerger.

Armand Braun

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