Prospective.fr – Octobre 2017 – Edito
Supprimer les trottoirs dans les grandes villes ?

La création des trottoirs, de même que celle plus tard du Code de la Route, ont été en leur temps de formidables innovations sociales. Les choses étaient claires : les trottoirs aux piétons, la chaussée aux automobiles et autres véhicules. Mais tout est changé.

Les trottoirs sont utilisés par vélos, joggers, motos et scooters, trottinettes, gyroroues, skate-boards… Isolés ou en hordes, ils provoquent dans les cœurs de villes des accidents chaque jour plus nombreux et plus graves. Des rapports de force se sont instaurés au profit des plus rapides, des plus forts, des plus dangereux. Les piétons, dont beaucoup se déplacent les yeux baissés vers l’écran de leur cerveau auxiliaire, deviennent des fâcheux à peine tolérés, dont on attend qu’ils acceptent sans se plaindre de se faire bousculer, voire renverser, voire tuer par des anonymes qui sauront disparaître dans l’instant. Jeunes mamans et leurs poussettes, personnes âgées, handicapés, prière de s’abstenir. Les professionnels, qui doivent transporter outils, dossiers, etc., se sentent malvenus dans des villes que pourtant ils font vivre.

Faudra-t-il désormais contracter une assurance-vie avant d’aller marcher dans les rues ? En l’état actuel, le scandale ne peut que s’aggraver. Les administrations en charge de la circulation et de la mobilité affichent un discours de coexistence harmonieuse et solidaire entre ces modes de transport, discours de plus en plus déconnecté de la réalité telle que les gens la vivent. Interrogées, beaucoup ne répondent pas. Certaines affichent des menaces de contraventions qu’elles n’ont plus les moyens ni la volonté de mettre à exécution. D’autres refoulent leur impuissance en faisant semblant d’avoir été les organisatrices d’une prétendue entente cordiale. La maréchaussée a été réaffectée à d’autres priorités. Ce chaos rappelle les désordres des derniers jours de la circulation hippomobile à l’arrivée des véhicules à moteur, sans parler des embouteillages sur la chaussée. Le Règlement, le Code de la Route, la loi elle-même sont marginalisés.

Cette situation n’est pas que négative. La multi occupation des trottoirs est aussi une expression de la vitalité de la société, de la multiplication des moyens de déplacement. Elle permet à des piétons dont beaucoup sont des actifs, les autres n’en étant pas moins respectables, une sympathique variété et liberté des comportements. Les circonstances actuelles les réduisent pourtant à la modeste condition de variable mineure d’ajustement.

Dans des métropoles congestionnées, et qui le resteront, est-il concevable de substituer à la gestion administrée de la circulation  la responsabilisation de chaque acteur ? De susciter, à partir des comportements des personnes, un Code de la Rue aussi respecté que le Code de la Route l’a été en d’autres temps ? En somme, prendre acte du chaos sans espoir désormais installé pour faire l’expérience d’un chaos accepté qui pourrait générer de nouvelles pratiques spontanées ? Autrement dit, supprimer purement et simplement les trottoirs…

En commençant, parce que là se retrouvent les enjeux les plus intenses et les plus contradictoires, par l’avenue des Champs Elysées…

Armand Braun

 

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