Prospective - Edito : Colère ? Vous avez dit « colère » ?

En Europe comme aux Etats Unis, ceux que le mouvement du monde laisse de côté sont en colère. Ils rejettent en bloc les institutions, la mondialisation, et ceux que l’on dénomme à tort « l’élite ». Ce faisant, ils confondent les excès de la caste bureaucratique (paperasse, fiscalité, intrusion, dans le contexte nouveau de son appauvrissement relatif) et l’œuvre de ceux qui préparent l’avenir : les innovateurs, les entrepreneurs, les acteurs de la révolution digitale et de la fracture numérique... Où nous conduira leur colère ? On l’ignore. Mais qu’elle est mauvaise conseillère, c’est certain.

Dans l’éventualité d’un grand désastre, l’histoire récente peut nous inspirer, avec la limite de notre oubli. Cet oubli frappe les deux Guerres mondiales, de même que les difficiles années qui ont suivi chacune d’elles. Mais le XXe siècle nous laisse aussi un exemple qui pourrait servir de précédent.

Quand ils survivent à leur folie, il arrive que les gens soient raisonnables. Les Européens de l’Ouest ont été raisonnables quand, au lendemain de la deuxième Guerre mondiale, ils se sont entendus pour construire l’Europe. De l’Europe, nous voyons aujourd’hui des superstructures qui, au fond, ne sont pas l’essentiel. L’essentiel, c’est, à partir de la rencontre entre quelques personnages dont les Français Jean Monnet et Robert Schuman, le partage des mêmes valeurs, la paix entre les nations et l’amitié entre les personnes. L’essentiel, c’est la mise en place d’un vaste territoire ouvert aux échanges, en son sein et avec le reste du monde. Puisque l’initiative devenait possible, la société civile européenne – actuellement, cinq cent millions de personnes ! – a pris les choses en main, avec le succès que l’on sait.

De nos jours, la société civile européenne est l’une des plus évoluées du monde, probablement la première tous indicateurs confondus, comme en témoignent entre autres le niveau d’éducation et de revenus des Européens, ainsi que l’ambiance de liberté dont bénéficient ses citoyens. L’élite, ce ne sont pas ceux qui suscitent la colère, mais ce sont ceux grâce à qui, ensemble, nous représentons un potentiel supérieur à celui des Etats Unis.

L’enjeu actuel de l’Europe n’est pas celui qu’il était hier : la population vieillit, la productivité et la croissance déclinent. Nous sommes scandaleusement endettés, exigeons des dépenses nouvelles et refusons de les assumer. Nous avons besoin d’inventer une manière de nous autogérer. Autrement dit, de remettre à leur place des gouvernants et aspirants gouvernants vis-à-vis desquels le respect se perd[1]. Leurs projets évoquent, sans même qu’ils le sachent, ce jeu de bascule entre nations européennes qui a entraîné la première Guerre mondiale. Quelques-uns semblent rêver de ramener la Grande-Bretagne vers Britannia, cette île brumeuse que l’empereur Hadrien a jadis conquise, l’Allemagne au temps de la Grande Duchesse de Gerolstein et la France au Royaume de Bourges…

Reste à trouver la manière de faire. Réformer, c’est bavarder. Toutes les questions de fond, celles dont nous pensions que nos prédécesseurs les avaient résolues une fois pour toutes, sont de nouveau sur la table. Le bien commun, la culture, la civilisation elle-même sont des thématiques fondamentales que nous n’avons pas, jusqu’à présent, eu le souci de redéfinir. Il faut là aussi échapper au bavardage ou à la violence qu’induit une trop longue inaction. Par exemple, en abordant de nouveau les conditions de la légitimité des gouvernants, celles de la prise en compte dans l’action politique de la question des temporalités : il n’est plus possible, comme le font tous les pouvoirs au monde, de privilégier l’immédiat et le court terme au mépris des nouvelles générations. Pouvons-nous encore échapper à la répétition du scénario, issu de notre imprévoyance, qui a failli nous emporter dans les années 1930 ? Puisque, à l’évidence, ce n’est pas du politique que viendront des réponses innovantes, espérons que la société civile saura les concevoir.

Armand Braun

[1] Comme dit la chanson d’Alain Souchon : « Le respect s’perd / Dans les usines de mon grand-père…»

Les meilleures intentions

Dans notre édition précédente, nous avons publié une brève « Peut-on louer un ventre ? ». Notre correspondant à Washington nous a envoyé le commentaire suivant.

Dans les pays en développement d’Asie et d’ailleurs, nombreuses sont les femmes qui cherchent désespérément à survivre. Elles n’ont aucune qualification et ne trouvent pas d’emploi. Elles ne possèdent que leur corps. Certaines le louent à l’heure, c’est ce qu’on appelle la prostitution. D’autres signent un contrat de neuf mois, ce sont les mères porteuses. On n’a pas le droit de leur interdire de manger, elles sont propriétaires de leur corps et à ce titre elles ont le droit de le louer. Mais leur commerce devrait être régulé pour leur propre protection, et elles devraient avoir accès à des solutions alternatives.

Le travail des enfants est une affaire beaucoup plus difficile. De jeunes enfants récoltent des pavots en Afghanistan et ailleurs ou des feuilles de thé en Inde et ailleurs. D’autres tissent de beaux tapis. Devrions-nous refuser de les acheter ? Leur travail est indispensable à leur famille. Evidemment, l’enseignement élémentaire obligatoire permettrait de résoudre ce problème, mais nous n’en sommes pas là. Eliminer le travail des enfants sans remplacer le salaire qu’ils apportent à leur famille, c’est ne rendre service à personne. La Bolsa de Familia brésilienne subventionne les familles pauvres dont les enfants sont à l’école ; mais le Brésil est moins concerné par le travail des enfants que ne le sont beaucoup de nations asiatiques.

Les enfants sont une excellente « marchandise » pour l’adoption et le mariage. Dans beaucoup de pays, on en fait des épouses pour des membres de familles aisées. Le mariage des enfants devrait être aboli comme le travail des enfants, mais il faut d’abord prendre en considération le destin de l’enfant et celui de sa famille si le mariage précoce est interdit.

Que faire ? Premier principe, celui d’Hippocrate : « ne pas nuire », donc réfléchir aux conséquences éventuelles de nos bonnes actions. Deuxième principe : « mieux vaut prévenir que guérir » ou, comme le disait Benjamin Franklin, « une once de prévention vaut une livre de traitement ». Troisième principe, le plus difficile à comprendre et à suivre : quand les effets changent, c’est que les causes ont changé. L’ignorance de cette loi de la nature est l’explication principale de l’échec fréquent de nos bonnes intentions.

Charles Stewart

L’Afrique va de mieux en mieux

Sur les vingt économies les plus dynamiques du monde ces dix dernières années, douze étaient africaines. Certes, tout n’est pas rose : si le taux de pauvreté a baissé de dix points, il est encore de 47%. Mais dans la plupart des pays une dynamique interne est enclenchée. D’innombrables entreprises, micro, petites ou moyennes, enregistrées ou pas, formelles ou informelles, sont en train de naître. Les Africains comptent sur leurs propres forces : seulement 24% d’entre eux disent que la peur de l’échec les empêche de se lancer, c’est le taux le plus faible du monde. Certes, le taux d’émigration des diplômés de l’enseignement supérieur reste élevé, mais un mouvement de retour est amorcé, certains apportant leur épargne, leur expérience. Le retard en dépenses de recherche « se réduit très vite à coups de hubs », explique un économiste. Et le commerce extérieur s’ouvre, 27% des exportations africaines allant vers la Chine.

Ce faisant, le marché intérieur s’affirme. La classe moyenne qui se développe a besoin de consommer. Jean-Claude Decaux ne s’est pas offert pour rien le numéro 1 de l’affichage africain. « Une énergie incroyable s’exprime un peu partout » : l’Ethiopie croît de 10% par an et a divisé par deux la mortalité infantile et la pauvreté ; le Sénégal le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda sont les témoins d’initiatives remarquables.

Reste la question de l’éducation, qui donne encore lieu à une déperdition importante. Mais la conscience généralement répandue de l’importance de cette question et la multiplicité des exemples de réussite sont des accélérateurs qui donnent à croire que ce handicap sera aussi levé.

Tout cela est remarquable … Pourrions-nous en dire autant ?

Sabine Delanglade – Les Echos – 23 novembre 2016

« Salut à toi, Dame bêtise»…

… chantait Jacques Brel.

Proverbe hongrois : « Les gens intelligents tirent les enseignements des erreurs d’autrui. Les imbéciles, même pas de leurs propres erreurs. »

Pourquoi les personnes incompétentes ont-elles l’impression que leurs mauvaises décisions sont excellentes ? Pourquoi, se demandait déjà Darwin, « l’ignorance engendre-t-elle plus souvent la confiance que ne le fait la connaissance ? »

Deux psychologues américains David Dunning et Justin Kruger ont émis l’hypothèse que chez les incompétents existait un biais psychologique qui les poussait à surestimer leurs capacités et leurs performances. Pour mettre cette idée à l’épreuve, ils ont organisé une série de tests collectifs. Systématiquement, les sujets les moins aptes surestimaient de beaucoup leurs capacités, ainsi que le nombre de questions auxquelles ils avaient répondu juste. A l’inverse, les plus doués des participants avaient un peu tendance à se dévaluer. A l’issue d’une deuxième session, les bons s’aperçurent qu’ils étaient meilleurs qu’ils ne le croyaient, les cancres furent incapables de reconnaître la compétence des autres et de se remettre en question. Tout allait bien pour eux. Contents, contents, contents… On appelle désormais « Effet Dunning-Kruger » cette « surconfiance » des incompétents en leurs propres capacités.

Pierre Barthélémy – Le Monde – 23 novembre 2016

Nés pour le mouvement

Nous savons que l’homme moderne a génétiquement évolué il y a des milliers d’années en tant que chasseur-cueilleur et qu’il n’est pas fait pour la vie sédentaire que nous menons aujourd'hui.

Pour prouver scientifiquement cette intuition, des biologistes ont étudié pendant des années le mode de vie et la santé d’hommes et de femmes de la tribu Hadza en Tanzanie. Ils ont régulièrement mesuré leur tension et analysé leur sang. Des volontaires de tous âges ont porté un holter à différentes saisons de l’année. La conclusion vient d’être publiée : ces sujets sont en excellente santé cardio-vasculaire. Même chez les plus âgés, la tension est parfaite, le cholestérol a un taux idéal, le rythme cardiaque est optimal. Explication : le régime alimentaire et l’activité physique. Les Hadza mangent le gibier qu’ils ont chassé, les racines, les baies et le miel qu’ils ont récoltés. Ils marchent énormément. Il leur arrive de courir, de porter des charges, de creuser la terre, mais pas tant que cela. Leur activité physique est constante mais pas excessive.

Application à nos genres de vie : se nourrir selon les recommandations les plus courantes de la diététique ; marcher au moins 150 mn ou pratiquer 75 mn d’exercice vigoureux par semaine.

Gretchen Reynolds – International New York Times - 23 novembre 2016

Range ta tablette !

Les enfants de 2 à 11 ans passent en moyenne 4 h 30 par jour devant des écrans. Dans le monde entier, plus de la moitié des programmes de Netflix s’adressent plus ou moins aux enfants. On s’accorde à dire que c’est mauvais, mais c’est une réprobation impuissante et peut-être un peu hypocrite, qui accompagne l’extension de cet état de fait. Qui n’a planté ses rejetons devant une émission de télévision ou un jeu vidéo pour vaquer à ses propres occupations ou avoir un moment de tranquillité ?

Il y a là un phénomène d’une telle ampleur que ce qui impressionne d’abord, c’est la pauvreté de la réflexion à ce sujet. Nous devrions tous être obsédés par ce qui se passe, qui est en rupture avec toute l’expérience humaine et avec toutes nos idées sur l’éducation. Nous ne savons encore ni en prendre la mesure, ni en gérer les effets.

Mais des succès peuvent être obtenus, des contre-offensives locales en face d’un processus majeur et transformateur. C’est ainsi que l’auteur du présent article a tenté avec bonheur l’expérience d’interdire complètement l’usage des écrans pendant la semaine et de l’encadrer et le réduire pendant le week-end. « Quelque chose de bizarre s’est produit. Mes enfants âgés de 6 et 4 ans sont devenus moins agités. Ils étaient plus heureux, plus communicatifs, et se livraient à des jeux plus imaginatifs. A la maison, ils ont redécouvert leurs jouets. Dehors, ils sont devenus moins exigeants vis-à-vis des adultes, plus autonomes. »

Dans cette expérience, l’erreur consistant à bannir les écrans a été évitée. En revanche, il en a été fait un usage intelligent. Car plus que le temps passé devant les écrans, ce qui compte c’est l’usage qu’on en fait. Par exemple, une application permet de faire des maths avant d’aller dormir. Les enfants qui y ont joué sont en avance par rapport à leurs camarades de classe.

Et ce qui importe surtout, c’est la communication en famille, que les parents n’utilisent pas les écrans comme une baby-sitter mais comme des sujets d’échange avec les enfants.

Ce qui choque le plus l’auteur, qui est pédiatre, c’est de voir des parents consoler un enfant qui vient par exemple de recevoir un vaccin en lui tendant un smartphone ou une tablette, alors que ce qu’il lui faudrait, c’est un gros câlin !

Christopher Mims - The Wall Street Journal – 24 octobre 2016

Des immigrés au secours d’une crise de l’emploi

L’an dernier, Cindy Caplice, DRH d’une entreprise de fabrication de produits en métal et verre basée dans la banlieue de Portland (Maine) avait 100 postes à pourvoir de toute urgence. Au lieu de publier des annonces sur les sites dédiés, elle s’est rendue au Centre d’Education de Portland où des demandeurs d’asile en provenance de plusieurs pays africains perfectionnent leur anglais.  Ses nouvelles recrues,  dont elle est extrêmement satisfaite, sont originaires du Burundi, d’Ouganda, d’Egypte, du Soudan, du Congo…

Ce n’est pas que la région compte trop d’immigrants, au contraire : ils sont 3,5 % de la population à être nés à l’étranger (dont seulement 0,3% en situation irrégulière) contre 13,4% dans le pays tout entier. Mais le Maine est, avec la Virginie Occidentale, l’un des deux seuls Etats américains à être confrontés à cette énigme de leur démographie : on y recense plus de décès que de naissances. En 2024, le nombre de personnes de 35 à 64 ans aura encore diminué de 28%. Avec un taux de chômage aujourd'hui de 4,1%, il est de plus en plus difficile de trouver du personnel. D’où la recommandation conjointe de l’Etat du Maine et de la Chambre de Commerce de faire appel aux immigrants récents. Cette proposition ne fait pas l’unanimité et certains citent des cas d’immigrés rétifs à toute intégration. Cindy Caplice, elle,  est ravie : « nous ne pourrions pas faire croître notre entreprise sans les immigrants ».


Jennifer Levitz – International New York Times – 19 novembre 2016

 

Sur les doigts d’une main

Si vous voyez un enfant compter sur ses doigts sans en avoir l’air, dites-lui que c’est bien et qu’il peut arrêter de cacher ses mains sous la table.

La perception de nos doigts, la capacité à les reconnaître et à les nommer est en corrélation avec notre aptitude à additionner et soustraire (pour la multiplication, c’est une autre histoire). Même quand nous ne comptons pas sur nos doigts, notre cerveau le fait pour nous. Il y a dans le cerveau deux zones qui sont reliées à nos doigts : l’une leur permet de sentir la pression, la douleur, la chaleur et d’y réagir ; l’autre dirige leurs mouvements. Or, comme le montrent des scans d’enfants de 8 à 13 ans, ce sont ces mêmes zones qui s’activent lorsqu’on fait une addition ou une soustraction, même si on n’a pas conscience de compter sur ses doigts.

On ne sait pas si une meilleure capacité à reconnaître ses doigts entraîne une meilleure capacité à l’arithmétique ou si, inversement, c’est de compter avec les doigts qui permet de mieux les distinguer. En tout cas, il semble que les jeunes enfants qui ont une meilleure connaissance des doigts de leur main se révèleront meilleurs en arithmétique par la suite.

Il y a longtemps qu’on a remarqué cette corrélation sur des gens qui avaient subi certaines lésions cérébrale. Certains avaient perdu en même temps la faculté de compter et celle d’identifier leurs doigts.

Cela ne signifie pas, évidemment, qu’il faut compter sur ses doigts toute sa vie, mais qu’il faut commencer par là. C’est une technique sur laquelle on peut compter.

Jo Craven McGinty – The Wall Street Journal – 24 octobre 2016

Le merle rieur…

Nul besoin d’aller jusqu’au bout du monde pour observer la faune sauvage et la voir évoluer.

« Un ami m’a récemment invité à faire la connaissance d’une merlette qui couvait tranquillement ses œufs dans une jardinière sur son balcon d’Amsterdam… »

Les premiers merles se cachaient craintivement au fond des forêts. C’est probablement au début du XIXe siècle que les merles ont commencé à s’installer dans les jardins et les parcs des villes. Ils n’ont plus redouté la présence de l’homme et se sont enhardis.

Faucon pèlerin, hibou, buse, mouette rieuse, cormoran … nombreuses sont les espèces d’oiseaux dits sauvages à avoir élu domicile dans nos villes. Tous se sont adaptés à leur nouvel environnement. Mais chez le merle, c’est flagrant. Car le « merle de balcon » est différent du « merle de forêt » : il a le bec plus gros, chante plus haut (pour couvrir le bruit de la circulation), n’a plus besoin d’émigrer en hiver car en ville il fait doux et il y a de la nourriture toute l’année. Il s’est rapidement adapté à son nouvel environnement.

Avec l’urbanisation croissante de la planète, des histoires de ce genre vont se multiplier. Il y a des espèces qui, hélas disparaîtront (déjà le moineau se fait rare à Paris). D’autres qui sauront s’adapter : la coquille des escargots des villes devient plus claire pour leur permettre de mieux supporter la chaleur ; les araignées tissent leur toile près des lampadaires qui attirent les papillons de nuit, qui, à leur tour, évoluent pour mieux résister à l’attirance de la lumière…

« Avant de partir, j’ai jeté un coup d’œil entre les plantes du balcon. La merlette de mon ami m’a considéré d’un œil rieur, comme pour me dire : Je suis ton pinson des Galápagos et tu es mon Darwin. »

Menno Schiltuizen – International New York Times – 23 juillet 2016

Et si le monde n’était qu’un jeu vidéo ?

Et si nous n’étions que les personnages de ce jeu ?

Cette idée folle a germé en 2003 dans le cerveau du philosophe suédois Nick Bostrom.

Imaginez, disait-il, qu’une civilisation future, bien plus avancée que la nôtre et dotée d’ordinateurs superpuissants, fasse des simulations de ses ancêtres et des mondes où ils habitaient. Les êtres simulés seront rapidement plus nombreux que les être biologiques. Les expériences des esprits biologiques et des esprits simulés seront impossibles à distinguer et tous ces esprits penseront évidemment qu’ils ne sont pas simulés.

Qu’est ce qui peut nous prouver que nous n’appartenons pas déjà à un de ces mondes simulés ? Rien.
Cette théorie fait toujours débat.
Ceux qui la réfutent s’appuient sur le fait qu’en pleine ère numérique nous appliquons à toutes les questions une interprétation numérique. « Comme un marteau pour lequel tous les problèmes ressembleraient à un clou. » Impossible, ajoutent-ils, de prouver que nous ne sommes pas dans un monde virtuel, car chaque preuve pourrait elle-même être simulée. Mais sommes-nous assez intéressants pour qu’une intelligence supérieure veuille nous faire exister, même de manière virtuelle ?

Ceux qui la défendent disent que plus nous avançons dans la connaissance de l’univers, plus nous découvrons qu’il obéit à des lois mathématiques. Or si nous étions des personnages d’un jeu informatique, nous verrions aussi que notre univers obéit à des lois rigides et mathématiques issues des codes dans lesquels le programme a été conçu. De plus, les concepts issus de la théorie de l’information se retrouvent dans la physique. Après tout, avec une toute petite différence dans notre ADN, nous sommes supérieurs aux chimpanzés ; alors pourquoi pas des êtres qui nous sont supérieurs avec eux aussi une toute petite différence d’ADN ?
Si nous ne sommes que des personnages d’un immense jeu informatique, suffira-t-il de commencer une nouvelle partie pour revivre ? Ou bien la fin du monde dépend-elle d’un bug informatique ?

En tout cas nous avons intérêt à être intéressants, sinon nos créateurs là-haut, quels qu’ils soient, risquent de tout débrancher !

Clara Moskowitz – www.scientificamerican.com – 7 avril 2016
Elon Musk – BFMTV – 3 juin 2016

Navigateur de vagues

Il y a 60 000 ans, des hommes sont partis d’Asie du Sud-Est et sont arrivés sur les îles de Micronésie, au beau milieu de l’Océan Pacifique. Ils avaient navigué sur des milles et des milles, sans aucun instrument et sans aucune idée possible de leur destination.  Comment ont-ils fait ? Les premiers Européens à se le demander ont été Magellan et ses successeurs, qui, ont remarqué que les habitants de Micronésie naviguaient au large sans instruments et sans se perdre.

Les Micronésiens s’orientent en mer en se basant sur le gonflement des vagues : soulevées par une tempête très lointaine (en Alaska, dans l’Antarctique, en Californie ou en Indonésie), elles communiquent leur mouvement de l’une à l’autre, à la manière des ondes sonores.

Alson Kelen est le dernier à maîtriser cet art.  Il a rallié en canoë Aur, un atoll des Iles Marshall, depuis Majuro, la capitale. Il était suivi par une autre embarcation avec à son bord trois scientifiques occidentaux -  un anthropologue, un médecin et un océanographe – désireux de comprendre comment une technique apparemment purement intuitive et en réalité hautement sophistiquée, qui se riant de la complexe dynamique des fluides permet, au milieu de nulle part, de trouver sa direction et, le moment venu, de savoir que la terre est proche.

« L'observation de la mer parle beaucoup à qui sait la regarder paisiblement avec amitié », a commenté un vieux loup de mer à qui nous avons soumis la présente brève.

Kim Tingley – International New York Times – 19 mars 2016

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