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Prospective : la liberté d’expression.
Voici un triple éditorial ! Celui d’Armand Braun ; le commentaire qu’il a inspiré à notre correspondant aux Etats-Unis, Charles Stewart ; les dix principes de la libre expression tels qu’ils ont été proposés par Timothy Garton Ash, professeur à l’Université d’Oxford, dans son ouvrage à paraître : Free Speech : Ten Principles for a Connected World.
Armand Braun
Conquête de ceux qui nous ont précédés, la liberté d’expression est inscrite dans la Constitution et fait partie de notre culture.
Mais voilà que des éléments nouveaux tendent à la contraindre. D’abord, les considérations de sécurité, qui conduisent les Pouvoirs publics à encadrer la liberté d’expression, sans pour autant la mettre en cause. Aussi des données d’époque que nous ne connaissions pas jusque-là : le politiquement correct, déjà évoqué dans l’éditorial du mois dernier à propos de sa vogue dans le monde universitaire ; le changement dans l’esprit du temps, encore plus évident dans les pays anglo-saxons que chez nous.
Aux Etats-Unis, certains Etats imposent d’enseigner le créationnisme au même titre que les lois de l’évolution ; la figure des Pères Fondateurs est mise en cause en relation avec ce que l’on croit savoir de leurs comportements privés ; les ouvrages de Mark Twain ou de Truman Capote sont localement interdits sur la base de griefs divers, dont le manque de respect pour l’autorité. A Washington, des activistes ont exigé que l’équipe locale de football américain, les Redskins (Peaux Rouges) renonce à cette dénomination « raciste » ; les Indiens ont fait remarquer que ce nom ne les gênait pas et que les activistes en question étaient tous blancs.
Il y a par ailleurs la multiplication des phénomènes d’enclavement, territoriaux (religieux…) ou autres (sectes, groupuscules…) qui édictent leurs propres règles, imposent leurs propres valeurs et prétendent leur subordonner la liberté d’expression des autres.
Que faire ? Tout le monde se le demande. L’autocensure s’installe, confortée par la légèreté des médias d’information. La pensée s'aligne, se met en ligne, porte la main à la casquette et le petit doigt sur la couture du pantalon. Il n’y a pour le moment d’autres réponses que la colère sourde et les choix électoraux extrêmes.
Comment défendre et illustrer la liberté d’expression ? La réponse, en principe, relève de l’Etat. C’est ainsi qu’ont été adoptées dans le passé des lois contre le racisme, l’intolérance et la diffamation. Aujourd'hui, on se satisfait trop de discourir dans le cadre des simulacres que sont la négociation, le dialogue ou la démocratie dite participative…
Rappelons-nous que la liberté, que nous croyons aller de soi, est notre valeur majeure, conquise de haute lutte par nos prédécesseurs. C’est le premier mot de la devise nationale. Et la liberté d’expression en est l’une des formes.
Il y a là une question éminemment prospective. La qualité de notre avenir à tous dépendra de ce qu’il adviendra de la liberté et, entre autres, de la liberté d’expression. Pour sortir par le haut de cette impasse actuelle, il faudrait sans doute retrouver les questions de fond qui n’ont pas été revisitées depuis les XVIIIe et XIXe siècles.
Comme l’écrivait Descartes, « la liberté est la puissance positive de se déterminer. »
Charles Stewart
La liberté d’expression est un sujet difficile et complexe. Il n’est pas possible de s’opposer en justice à des opinions que l’on n’approuve pas. Mais Descartes parlait pour lui-même. Pour les autres, credent ergo sunt : ils croient, donc ils sont. Les religions séculières et leurs militants ne se comportent pas autrement que les fidèles des religions sacrées.
En anglais, il y a deux mots pour « liberté » : liberty et freedom. La nuance est difficile à expliquer aux Français. En simplifiant, freedom signifie ne pas subir la captivité, à l’esclavage ou à l’oppression. Liberty a trait, entre autres, à la liberté d’expression (Liberty is subject to law; freedom is unqualified). Freedom est en conflit avec le droit à la vie privée. Les médecins et les avocats doivent respecter le droit à la vie privée de leurs clients. L’Etat doit restreindre la liberté de s’informer en relation avec notre droit à la sécurité.
La liberté d’expression, c’est aussi le droit d’offenser. Personne ne peut opposer son veto à un discours, une opinion ou une croyance qu’il désapprouve. On ne doit pas tolérer l’intolérance vis-à-vis des différences. Aucune minorité, ni même la majorité, n’a le droit de ne pas subir d’offense. La liberté d’expression, c’est aussi le droit de mentir, mais pas de diffamer. Mais ce droit peut aller jusqu’à la fabrication consciente de fausses nouvelles.
La recherche de la vérité est un chemin pavé d’erreurs. Il ne faut pas qu’existe un ministère de la Vérité. L’ordre et le respect de la Loi, ce n’est pas la vérité. Il ne doit pas y avoir de ministère de l’Ethique. C’est autre chose. Ces autres domaines sont l’affaire des enseignants, des manuels, des écrivains et des journalistes, des prêtres et des philanthropes.
Les gangs idéologiques ne sont pas différents des autres. Nous avons le droit de connaître les opinions des autres, d’en tenir compte ou pas, de les approuver ou pas. Même quand les points de vue des autres sont des erreurs, l’erreur n’est ni un crime ni un péché. Nous pouvons nous énerver à propos d’opinions que nous désapprouvons, mais nous ne devons pas faire preuve d’intolérance à propos du droit des autres à avoir leurs propres opinions.
Le droit primordial, c’est le droit de savoir. Toute restriction au droit d’expression est une limitation du droit de savoir.
Comment apprenons-nous ? Empiriquement, par les sens, l’observation, l’expérimentation, la généralisation. Par la logique : en allant du connu à l’inconnu, en vérifiant des hypothèses, par la déduction et la synthèse. Mais avant tout par l’autorité : la crédibilité de ceux qui ont observé, expérimenté et interprété, de ceux qui ont appris par leur travail. Ceux-là sont les mieux qualifiés pour nous informer, nous protéger de l’ignorance, éviter la censure. Le rôle de l’Etat est de nous protéger de l’ignorance et de nous garantir que ce que l’on nous dit à propos des biens et services est exact. Il n’a rien à faire dans le domaine des idées.
Timothy Garton Ash
1 – Nous les humains devons être libres et capables de nous exprimer ainsi que de rechercher, recevoir et partager l’information et les idées, indépendamment des frontières.
2 – Nous ne proférons pas de menaces de violence et n’acceptons pas l’intimidation violente.
3 – Nous faisons tout ce que nous pouvons pour favoriser la connaissance et n’acceptons aucun tabou.
4 – Nous exigeons des médias non censurés, variés, dignes de confiance, à partir desquels nous aurons l’information nécessaire pour participer aux décisions et à la vie politique.
5 – Nous nous exprimons ouvertement, courtoisement mais sans équivoque, à propos de tout ce qui peut nous différencier les uns des autres.
6 – Nous respectons les adeptes de toutes les croyances, pas nécessairement le contenu de leurs croyances.
7 – Nous devons être capables de protéger notre vie privée et notre réputation, sans pour autant nous opposer à la recherche de la transparence quand celle-ci est d’intérêt général.
8 – Nous devons être en mesure de contester toutes les limitations à la liberté d’information, même si celles-ci portent sur des sujets tels que la sécurité nationale.
9 – Nous défendons Internet et les autres systèmes de communication contre les limitations illégitimes que chercheraient à leur imposer des pouvoirs publics et privés.
10 – Nous décidons pour nous-mêmes et en acceptons les conséquences.
Rendre hommage aux ancêtres est une obligation en Chine et dans les communautés chinoises à travers le monde. Cet hommage a d’autant plus de valeur qu’il est personnalisé. Quand une personne chère décède, les objets dont elle aimait à s’entourer doivent l’accompagner dans l’autre monde. On pense ici au fameux empereur qui, à Xi’an, avait emmené avec lui des représentations en terre cuite de toute son armée : tant de statues de soldats et de chevaux que toutes n’ont pas encore été découvertes.
Mais comment concilier le culte des ancêtres, le souci de leurs préférences et les moyens financiers souvent modestes dont on dispose ? Avec des représentations en carton ou en papier d’objets familiers (la pipe du grand-père ou son bonzaï) ou correspondant aux désirs du défunt (Mercédès, télévision à écran plat, climatiseur…), qu’on peut se procurer pour quelques dollars dans des boutiques spécialisées et qu’on brûle ensuite sur les autels.
A Chinatown à New-York ainsi qu’à Hong-Kong sont ainsi apparues des effigies de chaussures ou de sacs de marques. L’une de ces dernières, Gucci, filiale du groupe français Kering, s’en est émue, au nom de la propriété intellectuelle : après tout, ces copies sont des contrefaçons et doivent donc être interdites…
La presse
Le terme de science participative désigne, comme l’explique François Houllier, PDG de l’Institut national agronomique (INRA), « des formes de production de connaissance scientifique auxquelles des acteurs non-scientifiques-professionnels, individus ou groupes, participent de façon active et délibérée ».
Les modalités et sujets des sciences participatives sont multiples : prêter du temps de son ordinateur personnel, optimiser des algorithmes, partager ses données de santé, scruter le ciel, noter la date d’arrivée des hirondelles ou des martinets, compter les papillons dans son jardin, etc.
4% seulement des Français sont au courant mais, quand on leur explique, ils sont une majorité à être prêts à s’y impliquer.
Le potentiel est immense, tant du côté des participants que des besoins. Ainsi 10 000 volontaires pour prêter du temps machine de leur PC représente la puissance d’un centre de calcul d’une université. 25 000 « chasseurs de Higgs », c'est à dire de collisions de particules effectuées au CERN, ont analysé plus de 100 000 images.
Hervé Morin – Le Monde – 25 mai 2016
Les coraux sont des animaux dénués de système nerveux, cousins des méduses. Ils sont parmi les plus anciens à vivre sur Terre. Les récifs coralliens couvrent moins de 0,2% de la superficie des océans mais abritent 30% de la biodiversité marine connue. A elles seules l’Indonésie, l’Australie et les Philippines concentrent la moitié des récifs coralliens. Leur beauté à couper le souffle fait la joie des plongeurs et a valu à la Grande Barrière de corail s’étirant sur 2 300 km au large de la côté nord-est de l’Australie d’être inscrite par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité.
Mais ils sont exposés à des périls grandissants : le réchauffement de l’eau, bien sûr ; mais aussi l’acidification des océans due à l’accumulation du dioxyde de carbone, qui fragilise le corail, un peu comme l’ostéoporose fragilise le squelette humain. Le dérèglement climatique se traduit également par une multiplication et une montée en puissance des tempêtes et des cyclones, qui ravagent les récifs coralliens sur leur passage. Un autre ennemi mortel du corail est l’acanthaster pourpre, une espèce invasive d’étoile de mer qui le tue en dévorant ses polypes et a proliféré dans toutes les eaux du globe.
Est-il encore temps de sauver les récifs coralliens ? C’est la question à laquelle devront répondre les chercheurs embarqués sur la goélette Tara dédiée à l’exploration et à la défense de l’environnement marin et qui est partie le 28 mai de Lorient pour un voyage de deux ans et quatre mois destiné à observer une quarantaine d’archipels coralliens.
Le développement est une cause majeure de la menace qui pèse sur eux : nitrates contenus dans les pesticides, dragages géants destinés à rendre possible l’expansion des ports industriels, augmentation du trafic maritime … L’avenir des coraux est une approche possible de cette question majeure : comment rendre compatible la bonne santé de notre environnement et une expansion de l’activité humaine qui se fera de toute manière ?
Yann Verdo – Les Echos – 23 mai 2016
Martine Valo – Le Monde – 25 mai 2016
L’Ode à la Joie, dernier mouvement de la Neuvième Symphonie de Beethoven, est devenue l’hymne de l’Union européenne. Elle symbolise la concorde entre les Etats membres, réalité ou aspiration.
La situation de l’Europe étant ce qu’elle est aujourd'hui, notre ami Anthony Judge cherche à établir une relation entre la théorie de l’harmonie en musique et ce qui se passe dans le monde politique. En musique il y a ce qui est harmonique et ce qui ne l’est pas. Le premier peut-être à essayer d’en tirer une théorie a été Pythagore, qui, dans l’atelier d’un forgeron, avait mis en relation la longueur des outils et les sons qu’ils donnaient.
C’est l’occasion de rappeler que la musique électronique, qui est bien autre chose que Beethoven, est un précurseur innovant depuis plus de soixante ans. Les musiciens, mathématiciens, ingénieurs ont favorisé des rapports fondateurs entre science et musique depuis les années 1930. La musique a été le premier « art d’expérimentation » des ordinateurs, machines universelles qui, tout en libérant les créateurs, ont engendré de nouvelles pratiques ainsi que des pouvoirs de production (empowerment) qui ont permis à des amateurs de proposer des alternatives à la production musicale classique, mais également à la fabrication d’instruments. Ainsi, assiste-t-on aujourd'hui à l’éclosion de « luthiers » électroniques. La musique électronique nous raconte la manière inspirante dont les créateurs et les ingénieurs ont façonné les machines, la musique, notre époque, notre culture ou peut-être tout simplement nos vies.
Anthony Judge - Laetus in Praesens
Jean-Louis Fréchin, président de l’agence Nodesign – Les Echos – 23 mai 2016
On savait depuis longtemps qu’un immense océan avait recouvert l’hémisphère nord de la planète rouge. Mais on ne voyait pas trace des lignes côtières. L’explication vient d’être trouvée par Alexis Rodriguez, géologiste de Mars à l’Institut des Sciences planétaires de Tucson (Arizona) : il y a 3,4 milliards d’années, une météorite plongeant dans cet océan a déclenché un formidable tsunami dont les vagues de plus de 130 mètre de haut les ont effacées. La météorite a créé un cratère de 30 kilomètres de diamètre. Ensuite, Mars a connu une intense période glaciaire. Puis, quelques millions d’années plus tard, deuxième météorite, deuxième tsunami. L’épaisse couche de glace s’est dispersée et a parachevé l’effacement de la côte.
On pourrait comparer ce phénomène à ce qui se produirait si on jetait une voiture dans une piscine pleine de peinture rouge : la peinture déborderait et sécherait, masquant les rebords de la piscine.
Nicholas St. Fleur – International New York Times – 23 mai 2016
Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), près des trois quarts de la biodiversité cultivée a disparu des campagnes depuis un siècle. Parmi les milliers de variétés de pommes, d’avocats, de blé, d’orge, de pois chiches ou de pommes de terre qui peuplaient les champs et les vergers au début du XXe siècle, seulement quelques dizaines sont encore exploitées. C’était un moyen d’optimiser la production agricole pour lutter contre la faim. La contrepartie, c’est le risque d’amnésie, la perte de milliers d’années de sélection, la disparition d’un patrimoine agronomique irremplaçable.
D’où, au Spitzberg, en Norvège, une chambre forte creusée sous la montagne. Elle abrite, depuis 2008, protégés par le grand froid (-20°), des doubles des semences détenus par les banques génétiques du monde. Dans ce conservatoire dorment plus de 541 millions de graines, représentant un total de 843 400 échantillons de variétés différentes appartenant à 5 128 espèces domestiques ou leurs équivalents sauvages. La plupart ne sont plus cultivées. Certains pays y ont aussi déposé quelques variétés d’arbres forestiers, la Norvège y a entreposé des échantillons de la flore du Svalbard et l’Australie deux végétaux qu’on ne trouve qu’en Antarctique.
En théorie, le potentiel de germination de graines gardées à très basse température peut être maintenu intact pendant plusieurs siècles. Mais comment en être sûr ? A quelques km de la chambre forte, au fond d’une galerie de l’une des nombreuses mines de charbon désaffectées de l’île de Spitzberg, la banque génétique norvégienne poursuit une expérience scientifique programmée pour un siècle. Des semences stockées au début des années 1980 sont récupérées et semées tous les cinq ans. Jusqu’à présent, leur potentiel de germination s’est, chaque fois révélé intact.
Stéphane Foucart – Le Monde – 19 mai 2016
En 1440, un prêtre est brûlé vis à Londres pour hérésie. Ses partisans improvisent un sanctuaire sur le lieu de l’exécution. Le curé de l’église proche mélange des épices aux cendres dans l’espoir de susciter une plus grande dévotion : le parfum agréable – une odeur de sainteté – confirme la vertu du défunt. Les autorités londoniennes ripostent en transformant le lieu de pèlerinage en décharge, les hérétiques devant être associés à la puanteur des immondices.
Notre interprétation du fonctionnement des sens est issue du modèle scientifique des Lumières.
Au Moyen-Age, les connotations morales et spirituelles faisaient partie intégrante des sensations perçues.
La vue transmettait le bien - les reliques étaient exposées – ou le mal - le mauvais œil.
Le toucher pouvait apporter une force spirituelle et juridique. Les pèlerins fréquentaient beaucoup les sépultures des saints – Certaines sépultures de saints comportaient une ouverture pour permettre aux pèlerins d’y descendre afin de se rapprocher du sacré. Prêter serment en posant la main sur un livre saint garantissait la sincérité.
Le son pouvait être bon ou mauvais. La voix de l’ange Gabriel faisait venir l’Esprit-Saint sur la Vierge Marie ; les enluminures médiévales montrent d’ailleurs l’Esprit passer par son oreille. L’hérésie se transmettait par l’ouïe. Il n’était pas nécessaire de la comprendre pour être infecté, entendre des paroles mauvaises suffisait. C’est pour cette raison que les recensions médiévales comportent parfois un sixième sens : la parole. Elle faisait à cette époque partie des « sens de la bouche » : le goût était l’aspect entrant et la parole l’aspect sortant.
Cette interprétation persiste encore dans la langue (« foudroyer du regard », « ne pas pouvoir sentir quelqu’un »… ) et dans certaines croyances : le pouvoir des cristaux ou l’aromathérapie ; même les plats « faits maison » qui révèlent non seulement le savoir-faire du cuisinier mais aussi une partie de sa personnalité.
Les hommes et les femmes du Moyen-Age étaient très différents de nous : leurs sens les mettaient à la fois en contact direct avec autrui, avec le monde matériel, mais aussi surnaturel. Et les conséquences de ce contact – via la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher – étaient un aspect crucial de leur vie.
Chris Woolgar – Aeon (Londres) – 28 avril 2006 – repris par Courrier international – 19 mai 2016
L’Anglais Gavin Pretor-Pinney adore les nuages. Ce sont d’après lui les objets « les plus dynamiques, les plus évocateurs et les plus poétiques de la nature ». Pour attirer le public à une conférence sur ce sujet lors d’un festival en Cornouaille, il a imaginé un titre racoleur : « Conférence inaugurale de la Société des amateurs de nuages ». Des auditeurs demandèrent à adhérer à cette société. Il la créa donc sous forme d’un site web, avec un formulaire pour adhérer moyennant 15 $ et une galerie de photos sur laquelle on pouvait poster ses plus belles photos de nuages. Au bout de deux mois, la société comptait 2 000 membres. Pretor-Pinney, dont la proposition de livre sur les nuages avait été précédemment refusée par 28 éditeurs, put enfin publier Le guide du chasseur de nuages puis Le guide du collectionneur de nuages.
Pendant ce temps, il se passait quelque chose sur la galerie de photos : des portraits de nuages qu’on n’avait jamais observés arrivaient des Etats-Unis, de Norvège, du Canada, d’Ecosse, de France…
Pretor-Pinney présenta ce nouveau type de nuage à la Société Royale de Météorologie afin qu’elle lui donne un nom. Mais les nouveaux nuages ne peuvent être entérinés que par la Météo mondiale, une branche des Nations Unies, qui a publié le premier Atlas des nuages en 1896 et n’a plus nommé de nouveau nuage depuis 1953.
Finalement, ce nouveau type de nuage apparaît dans l’Atlas publié en 2014, pas comme un nouveau nuage mais comme un trait supplémentaire, asperitas, de nuages déjà répertoriés.
Levez les yeux et regardez, nuages anciens ou nouveaux, tous sont merveilleux…
Jon Mooallem – International New York Times – 7 mai 2016
Tout le monde le sait, la population allemande vieillit. Peu de gens le savent, ce n’est plus vrai. On était certain que la diminution de la population, qui se poursuivait depuis deux décennies allait continuer et que l’Allemagne n’aurait que 60 millions d’habitants vers le milieu du siècle. Evidemment, 2 millions d’immigrants ont afflué en Allemagne en 2015 : des familles ayant fui le Moyen-Orient en guerre, mais aussi beaucoup de jeunes en provenance de l’Est en crise de l’Union européenne. C’est un phénomène très important. Il met toutes les collectivités locales allemandes sous tension. Comme en même temps l’émigration s’est poursuivie, ce sont 1,14 millions de personnes supplémentaires qui résident en Allemagne. Le nombre des habitants est actuellement de 82 millions. Parmi eux, beaucoup de bébés …
Le vieillissement anticipé se poursuit mais la nouvelle génération venue d’ailleurs modifie les données globales. Les perspectives précédentes avaient conduit à une réduction de l’investissement public, alors bien compréhensible, mais qui a aujourd'hui pour conséquence que l’on construit trop peu de logements, que l’on forme trop peu d’enseignants, que l’on embauche trop peu de policiers et que l’on renonce à repeupler les vastes zones rurales qui se désertifient.
Alors que l’équilibre budgétaire était la priorité antérieurement, il s’agit désormais de préparer l’avenir car l’attraction de l’Allemagne ne faiblit pas. Il va falloir engager des programmes massifs d’investissement en termes d’équipements et de services publics. Toutes choses égales par ailleurs, c’est une perspective comparable à celle de l’époque de la reconstruction, au lendemain de la dernière Guerre.
Andreas Rinke et Christian Schwägerl – Neue Zürcher Zeitung – 7 mai 2016
Les paléoanthropologues Katherine Zink et Dan Lieberman de l’université de Harvard ont étudié la façon dont nos ancêtres se sont mis à consommer de la viande. Un tournant qui a influencé notre évolution anatomique.
Nous descendons de singes herbivores qui, grâce à une puissante mâchoire et de grosses prémolaires, passaient le plus clair de leur temps à mastiquer des feuilles. La viande apparaît dans le régime alimentaire du genre Homo il y a environ 2,5 millions d’années. Or Homo erectus présentait une réduction sérieuse de l’appareil masticatoire et de la taille des dents. La découverte du feu pour la cuisson ne s’est généralisée que plus tard, il y a 500 000 ans.
C’est certainement grâce aux outils en pierre, apparus avant le feu, que l’homme a pu attendrir la viande. Pour le vérifier, les chercheurs ont donné à mastiquer à des volontaires de la chèvre crue, dont la chair ferme est proche de la viande préhistorique. Sans traitement préalable, cette viande crue est presque impossible à mastiquer avec nos petites dents. Mais en la découpant avec des outils, c’est possible.
Un scénario évolutif se dessine : l’usage d’outils et plus tard du feu, pour apprêter et consommer la viande aurait permis d’extraire davantage de calories tout en diminuant l’énergie et le temps de mastication nécessaires. En conséquence, les individus dotés de dents plus petites et de mâchoires moins fortes ont survécu tout aussi bien que leurs congénères (résultat de ce que les évolutionnistes appellent le relâchement d’une contrainte sélective). Cette réduction de la taille des mâchoires a modifié la forme de la face, permettant l’apparition de lèvres plus mobiles, essentielles pour former des mots.
Ainsi, de nouvelles pratiques culturelles ont permis l’évolution progressive de notre anatomie et la modification en profondeur de notre identité biologique. Comment les développements technologiques que nous vivons vont-ils à leur tour influencer notre évolution future ? Nous en remettre de plus en plus aux machines pour nous déplacer ou penser à notre place n’est sans doute pas sans conséquences sur notre destin biologique.
Nicolas Gompel et Benjamin Prud’homme, généticiens – Le Monde – 20 avril 2016