Prospective - Edito : L’intelligence, mode d’emploi

Intégrer l’ubérisation dans un monde où l’on apprend autant de ses pairs que de ses pères, faire du numérique un outil au service de l’éducation pour tous, appliquer les découvertes des neurosciences à l’apprentissage, doper la mémoire en manipulant les ondes cérébrales… les pistes prometteuses ne manquent pas pour faire revivre l’enseignement et l’adapter au monde du XXIe siècle. C’est sans doute le moment de rappeler quelques fondamentaux.

L’intelligence est la chose du monde la mieux partagée… à condition de savoir s’en servir. Ce fut la conviction d’Antoine de la Garanderie (1920-2010), qui, sa vie durant, a réfléchi sur les lois générales du fonctionnement mental et ses applications à la pédagogie. La somme de six de ses principaux ouvrages a été rééditée en 2013 (Réussir, ça s’apprend – Bayard Compact). J’ai eu la chance de l’interviewer il y a quelques années pour le journal de l’Aventure des métiers.

Quand nous apprenons à nager, nous commençons par décomposer les gestes jusqu’à ce qu’ils s’enchaînent automatiquement et harmonieusement. Mais nous enseigne-t-on les « geste mentaux » dont nous avons sans cesse besoin ? « Il y a pourtant des lois générales du fonctionnement mental valables pour tout être humain. » Certains ont des difficultés, non parce qu’ils sont bêtes, mais parce que, contrairement à d’autres, ils n’ont pas trouvé spontanément comment se servir de leur intelligence. Quand on le leur montre, ils se débloquent.

La base première de tout enregistrement de connaissance, c’est l’attention. Pour cela, il faut évoquer. L’évocation est la première loi du fonctionnement mental : d’abord on perçoit, puis on se redonne en esprit ce qu’on a perçu. Prenons l’exemple d’un roman ou du démontage d’une voiture. Certains vont évoquer de préférence visuellement : ils reverront en imagination un film répétant le démontage ou illustrant le texte. D’autres vont évoquer auditivement : ils entendront les phrases du texte ou l’explication de la manœuvre. Si l’on a des difficultés d’attention, on peut s’améliorer en exerçant volontairement ses gestes mentaux. Un visuel imprime dans sa tête les schémas et les cartes. Un auditif a besoin de se les raconter. Mais pour que la leçon soit sue, il faut que le visuel ajoute des mots aux images et l’auditif des images aux mots.

Pour comprendre, chacun évoque ce qu’il perçoit et le compare avec l’évocation de quelque chose qu’il connaît déjà. Certains privilégient l’analogie. D’autre perçoivent plutôt la différence.

Antoine de la Garanderie distingue aussi les « applicants » et les « explicants ». Les premiers, comprennent en agissant, en copiant rapidement les gestes qu’ils voient faire. Les deuxièmes, plus hésitants mais plus perfectionnistes, ont besoin de décortiquer longuement le pourquoi et le comment avant d’oser se lancer.

Le geste mental indispensable à la mémorisation est la projection dans l’avenir : au moment où l’on évoque ce qu’on veut retenir, il faut voir ou entendre dans sa tête les circonstances où l’on se servira de ces nouvelles connaissances. Les étudiants qui ont le plus de chances de réussir des concours difficiles sont ceux qui, au moment où ils les préparent, se voient déjà devant le jury d’examen. Les comédiens parviennent à retenir des rôles très longs parce qu’en les apprenant ils s’imaginent en train de jouer sur la scène. Les meilleurs raconteurs d’anecdotes se réjouissent d’avance du rire qu’ils vont susciter.

Se concentrer, comprendre, retenir et imaginer, nous en sommes tous capables. Ce n’est pas une affaire de don, mais de manière d’opérer. Et de volonté. « Les hommes se distinguent plus par leur volonté que par leur intelligence. Je ne nie pas qu’il y ait des aptitudes, mais on ne sait jamais jusqu’où un être humain peut aller à partir du moment où il prend les bonnes voies. »

Hélène Braun

Les meilleures intentions …

Mesure antidiscriminatoire initiée par le gouvernement Obama : les chercheurs d’emplois postulant auprès d’une centaine d’établissements publics ne devront plus remplir dans leur premier questionnaire de candidature la rubrique « casier judiciaire » ; et les entreprises privées sont encouragées à en faire de même. Le candidat ne devra répondre à la question que lorsqu’il aura été sélectionné et aura en face de lui un interlocuteur auprès de qui il pourra expliquer ce qui lui est arrivé et justifier de sa bonne volonté.

Problème : aux Etats-Unis on sait que la population carcérale est en majorité constituée de jeunes Afro-Américains déscolarisés. Certes, la société américaine a évolué : en 1958 seulement 4% des Américains étaient en faveur des mariages mixtes ; ils étaient 87 % en 2013. Mais les tribunaux sont souvent plus sévères à l’égard des Afro-Américains. Surtout, ces derniers sont depuis des générations tombés dans la criminalité à cause de leur pauvreté et de leur ignorance. Il faut réfléchir à des remèdes de fond et non à la simple interdiction d’une coche dans un questionnaire.

Car, pour ne pas risquer d’embaucher un ancien détenu, les recruteurs ont désormais tendance à éliminer d’office tous les jeunes hommes noirs sans diplômes. Ce faisant, on aboutit au contraire de ce qu’on recherchait : non seulement on empêche la réinsertion de ceux qui ont purgé leur peine, mais on bloque l’accès aux emplois aux jeunes Noirs non diplômés et blancs comme neige ! Une mesure destinée à lutter contre une discrimination provoque une autre discrimination.

Sendhil Mullainathan – International New York Times - 22 août 2016

Les activistes 2.0

Deux jours après la victoire du Brexit, le 23 juin, une pétition réclamant l’organisation d’un nouveau référendum circulait déjà. Lancée par un citoyen sur le site du Parlement britannique, elle comptait 4,11 millions de signataires deux semaines plus tard.

Outre-Manche, le gouvernement propose à ses ressortissants de soumettre des requêtes populaires et s’engage, via son « comité des pétitions de la Chambres des communes », à débattre sur chaque texte paraphé plus de 100 000 fois. En janvier 2016, les 576 000 signatures de la pétition pour que Donald Trump soit interdit de séjour au Royaume-Uni – en réponse au vœu du milliardaire d’interdire le sol américain aux musulmans – avait occasionné un débat de trois heures entre députés, avant que le gouvernement ne fasse savoir qu’il n’appliquerait pas l’interdiction, mais condamnait les propos de Mr. Trump.

Les nouveaux activistes 2.0 sont partis vers d’autres combats, constamment sollicités pour parapher leur indignation du moment sur des sites spécialisés tels qu’Avaaz, Mes opinions, We sign it ou Change.org. N’importe qui peut y lancer sa requête puis, sur certains sites, afficher les retombées de son texte sous la bannière « Victoire ».

Sur ces réseaux protestataires, les pétitions sont classées par catégories, façon grand magasin du mécontentement. Des dizaines de milliers de pétitions sont lancées chaque mois : contre les filets de dinde vendus dans les supermarchés, pour que la bière Bavaria 8.6 devienne végane, contre la fête traditionnelle mexicaine du canard Kotz Kaal pato ou pour que les Etats-Unis construisent la même Etoile noire que celle de la saga Star Wars

Ce qui compte c’est le nombre. Qu’importe si parmi les millions de signataires beaucoup des « slactivistes », activistes fainéants qui s’engagent d’un click comme ils zapperaient d’une publicité à l’autre et que d’autres sont de fausses personnes, des bots, logiciels robotisés qui créent des signatures aussi improbables que Kim Il-sung ou Napoléon Bonaparte …

Amusant ? Voire. La facilité et l’anonymat de la démarche ouvrent le champ à toutes les dérives. Car, à côté des pétitions plus ou moins fantaisistes, sévissent les rumeurs malveillantes, la violence verbale. Alain Minc : « Vous comprenez la délation des années 1940 en vous promenant sur le Web. Dès lors qu’il y a garantie d’anonymat, c’est comme si le Web mettait à l’état brut la violence latente qui parcourt nos sociétés. Dans ce monde où cohabitent virtuel et réel, la pulsion de mort devient très facile à exécuter. »

Julie Rambal – Le Temps (Lausanne) – 16 juillet 2016
Alain Minc - propos recueillis par Pascal Pogam et François Vidal – Les Echos – 22 août 2016

Papa est en bas, qui fait du chocolat

La table est un lieu de sociabilité et de convivialité. Les Français le savent mieux que d’autres. Les Américains, qui le pratiquent moins, ont le mérite de le prouver scientifiquement.

Avant d’être une question de goût ou de santé, les choix alimentaires sont culturels. Une étude menée par Zoe Liberman de l’université de Cornell (Etats-Unis) et son équipe de chercheurs en psychologie, Katherine Kinzler, Amanda Woodward et Kathleen Sullivan, montre que cela commence très tôt dans la vie. Elles ont mis en situation 200 bébés de 1 an (avec leurs parents).

En voyant un adulte exprimer son goût pour un aliment, le bébé s’attend à ce qu’un autre adulte, ami du premier et parlant la même langue, l’aime aussi. Mais pas si les deux adultes se comportent en ennemis ou parlent des langues différentes.

Aimer la bouillie ou les cailles, c’est sans doute une question de culture. Mais il y a des choses qui dégoûtent tout le monde, quelle que soit la culture. Les bébés le sentent-ils ? Oui : quand un adulte montre sa répugnance vis-à-vis d’un aliment, le bébé s’attend à ce que tout autre adulte le déteste aussi.

Les bébés identifient certaines différences culturelles : élevés dans un milieu où l’on ne parle que l’anglais, ils s’attendent à ce que des gens qui parlent deux langues différentes aiment des aliments différents ; mais les bébés bilingues devinent que deux personnes parlant des langues différentes peuvent aimer les mêmes aliments.

Ainsi, l’éducation du goût des enfants ne dépend pas seulement de ce qu’on leur met dans leur assiette ou leur biberon. Elle est aussi fonction de ce qu’ils observent du monde des adultes. Il est donc important de convier les bébés à la table des grands … des grands qui, bien sûr, s’alimentent sainement et joyeusement.

Katherine Kinzler – International New York Times – 22 août 2016

Million dollars babies

Tout le monde en rêve : travailler dans l’une ou l’autre des prestigieuses entreprises de la Silicon Valley ! Mais en pratique, les choses sont loin d’être simples. Au-delà de la variété des domaines, le cœur de métier de ces entreprises (Google, Apple, Amazon …) consiste à transformer des connaissances récentes, dans des domaines tels que la physique, l’ingénierie ou l’informatique, en produits et services qui n’existent pas encore et qui, s’ils s’imposent, vont très vite conquérir l’univers en expansion de l’intelligence artificielle. Les exemples sont nombreux et bien connus. C’est donc pour ces entreprises un enjeu vital que de recruter ceux qui disposent de compétences hors normes comme, par exemple ces ingénieurs d’élite surnommés « 10X ». Le « marché » est important, il est mondial, mais il comporte des limites. Ces métiers n’intéressent pas les femmes et le nombre des femmes américaines diplômées en informatique a diminué de moitié en vingt ans. Il ne peut s’agir que de jeunes : autour de trente ans, soit on a accédé à la direction, soit on s’est reconverti ailleurs. La compétition est donc âpre. Elle n’est pas limitée aux entreprises de la Silicon Valley car l’industrie est elle aussi très demandeuse. C’est à juste titre qu’on parle de guerre des talents.

D’abord, on va cueillir ces brillants sujets « au berceau », au sein des universités où ils se forment : Stanford, Carnegie Mellon, Harvard… Puis on cherche à les retenir avec toutes sortes de méthodes : la distribution d’actions (avec l’espoir de devenir riche, qui a quand même été vérifié pour beaucoup ces dernières années), des congés parentaux prolongés, une aide au logement (problème critique dans la région), des moyens pour équilibrer vie professionnelle et vie privée ... Et, avant tout, des salaires astronomiques (la rémunération médiane chez Google dépasse 150 000 $ par an).

Adrian Lobe – Basler Zeitung – 5 août 2016
Anaïs Moutot – Les Echos – 19 août 2016

La bataille de la noix de coco

C’est un ingrédient discret, peu connu. Il est utilisé dans de nombreux produits cosmétiques et agroalimentaires : les crèmes glacées, les laits infantiles, la margarine, les shampoings, les suppositoires. C’est l’huile de coprah, issue de la pulpe séchée de noix de coco.

L’huile de coprah est difficilement substituable. Et, avec moins de 3 millions de tonnes produites par an (contre 60 millions pour la palme), c’est un marché infime et en danger.

D’une part, elle est produite essentiellement aux Philippines et en Indonésie où sévissent de graves intempéries. A chaque typhon, les prix grimpent. En 2013, le cyclone tropical Haiyan, le plus puissant de l’histoire contemporaine, a détruit ou endommagé 44 millions de cocotiers aux Philippines. En un mois, le prix de l’huile de coprah a alors flambé de 50% à Rotterdam.

D’autre part, elle est menacée par la mode, aux Etats-Unis et plus récemment en Europe, de l’eau de coco, dont on prévoit qu’elle sera le futur jus d’orange. Celle-ci a été lancée en 2010 par Madonna, qui a investi une fortune dans la marque Vita Coco, boisson en vogue du tout Hollywood et du tout New-York.

Or l’huile de coprah est fabriquée à partir du fruit mûr et l’eau de coco à partir du fruit vert, dont on consacre un nombre croissant à cette boisson en plein essor.

Des programmes de développement de cocoteraies sont mis en œuvre au Vietnam et au Cambodge, mais il faudra attendre cinq à six ans avant qu’elles ne commencent à donner des noix de coco.

Muryel Jacque – Les Echos – 19 août 2016

Les parcs naturels à l’heure de pointe

Les vacanciers rêvaient de calme, de sérénité, de paysage somptueux où l’on ne rencontre de loin en loin que quelques daims et des écureuils. Certes, la nature est toujours au rendez-vous, mais gâchée par des foules en maillots de bain, traversant les prés, marchant le long des routes ; des files de voitures, des navettes bondées, des queues épiques aux toilettes… Les parcs naturels américains ont vu leur fréquentation exploser (307 millions en 2015, soit 5% de plus qu’en 2014) ; les infrastructures n’ont pas forcément suivi et la plupart des visiteurs s’en tiennent bêtement aux circuits balisés.

Certains parcs envisagent de limiter le nombre d’entrées dans les prochaines années. En attendant, ils ont déjà du mal à faire respecter des règles de politesse et de prudence élémentaires. L’an dernier, les rangers du parc Yellowstone ont dressé 52 000 procès-verbaux d’avertissement (20% de plus qu’en 2014), essentiellement à l’encontre de gens qui s’approchaient trop des ours, des élans et des bisons, malgré cette mise en garde publiée sur le site web du parc : « Pas de selfie près des animaux ». Cette année, un visiteur, s’imaginant qu’il était abandonné a mis un bébé bison à l’arrière de son SUV. Les rangers lui ont passé un savon et ont ramené le veau à sa mère, mais la troupe de bison l’a rejeté et il a fallu l’euthanasier.

Un week-end de juin, le président Obama et sa famille, en visite au parc Yosemite, ont ajouté aux embouteillages. C’était justement le jour où Javier et Alexis avaient choisi de se marier dans la chapelle de la vallée. La noce a eu un mal fou à se faufiler jusqu’à l’autel. La mariée elle-même n’a pu rejoindre son fiancé en voiture et a dû traverser la forêt à pied et elle est arrivée, en escarpins répugnants et le bas de sa robe blanche maculé d’herbe et de boue.

Jim Carlton – The Wall Street Journal - 3 août 2016

Le miel et les oiseaux

C’est une Histoire comme ça à la Rudyard Kipling, mais celle-ci est vraie.

Les abeilles sauvages africaines sont particulièrement agressives, ce qui les protège de la plupart des gourmands, dont les singes. Mais les hommes, notamment les Yao du nord du Mozambique, peuvent récolter leur miel en coopérant avec des oiseaux de la famille des pics.

Homme et oiseau se parlent : l’homme appelle l’oiseau en disant « brrr – hmm » ; puis ils s’en vont ensemble dans la forêt, l’un volant, l’autre marchant ; quand l’oiseau repère un nid dans un arbre, il s’en approche et jacasse d’une manière toute particulière. L’homme n’a plus alors qu’à grimper, enfumer les abeilles et casser le nid. Puis il recueille le miel et laisse à l’oiseau la cire qu’il adore et qu’il est capable de digérer.

Pour recueillir le miel, l’homme utilise une hache de pierre et le feu. Cette coopération remonte donc sans doute au Paléolithique. Bien avant que le chien ne soit domestiqué, l’homme et l’oiseau se parlaient et partaient ensemble à la cueillette du miel.

Natalie Angier – International New York Times – 25 juillet 2016

La mauvaise réputation : bévue dans un zoo

En 1947, le zoologiste bâlois, Rudolf Schenkel, pionnier de la sociologie des loups, décrit la compétition et la dominance au sein d’une meute et lance l’expression « animal alpha ». Vingt ans plus tard, l’américain L. David Mech, reprend l’idée, l’amplifie par ses propres observations et vulgarise le terme dans un ouvrage qui devient un best-seller (The Ecology and Behavior of an Endangered Species, 1970).

La notion de «mâle alpha » est ainsi prête à l’emploi dans la culture générale qui l’adopte avec enthousiasme, oubliant au passage que Schenkel parlait d’un couple dominant, et pas seulement d’un mâle … Quoi qu’il en soit, le « loup alpha » (avec parfois ses acolytes, « beta », « delta » et « oméga ») inspire des réflexions sur le leadership en entreprise, devient un modèle de programmation algorithmique (Grey Wolf Optimizer). Il s’invite même dans la psychologie des religions, lorsque le psychiatre A. Garcia invente la notion d’  « Alpha God » (2015) pour décrire la manière dont les sociétés monothéistes imaginent leur dieu.

Entretemps, Mech, ayant passé treize ans à observer une meute de loups sur une île au Canada, déclare en 1999 : nous nous sommes trompés, les individus alpha censés dominer le groupe à l’issue d’un processus de compétition n’existent pas. La plupart des études sur la dynamique sociale de loups ont été conduites sur des regroupements artificiels d’animaux en captivité. Schenkel observait les loups du zoo de Bale. Et Mech lui-même, a observé des loups en liberté, mais, comme cela arrive souvent, il a vu ce qu’il avait lu chez Schenkel plutôt que ce qu’il avait sous les yeux. A l’état sauvage, le « couple alpha » est en réalité un couple parental, dont le reste du groupe est la progéniture. En fait, « la meute de loups typique est une famille ». Exit le modèle classique de la dominance animale.

Mais on ne l’entendra pas. Maintenu en vie par des ouvrages de management, l’ « animal alpha » continue à rôder dans les limbes de concepts zombies – les idées mortes-vivantes qui grignotent notre cerveau.

Nic Ulmi – Le Temps (Lausanne) – 15 juillet 2016

Les Mexicaines ne veulent plus ressembler à des Botero

Le peintre Fernando Botero est colombien. Mais c’est au Mexique qu’on a le plus l’impression de trouver les originaux de ses portraits. Car, dans l’épidémie d’obésité mondiale, le Mexique est champion. 70% des Mexicains sont en surpoids ! C’est une vieille histoire : dans la tradition mexicaine, être gros a toujours été un signe de bonne santé. Le nombre particulièrement élevé d’enfants en surpoids est un héritage : leurs parents et grands-parents l’étaient aussi. Conséquence : 15% des adultes de 20 à 79 ans souffrent de diabète, le taux le plus élevé du monde. En 2015, 76 000 personnes en sont mortes. Et la proportion des personnes en surpoids ne cesse d’augmenter.

En cause, les habitudes alimentaires traditionnelles – une cuisine lourde, pratiquement pas de légumes ni de fruits – à laquelle s’est ajoutée la malbouffe moderne. Les milieux les plus modestes sont les principales victimes, car la junkfood qu’on trouve facilement et partout et qui semble moins chère, remplit mieux l’estomac que les légumes, coûteux et qui exigent une certaine préparation. Les gens des milieux ruraux, qui ont connu la sous-alimentation, sont encore plus susceptibles de devenir obèses et diabétiques.

La consommation de soda est la plus élevée du monde. D’après l’OMS, chaque Mexicain boit chaque année 163 litres de soda, 40% de plus que les Américains du Nord. Les Mexicains boivent pratiquement davantage de soda que d’eau.

Enfin, tout ceci est aggravé par les nouveaux modes de vie urbains qui font qu’on ne bouge plus assez.

Les pouvoirs publics se sont alarmés de la situation. Des campagnes de sensibilisation ont été menées pour convaincre la population de changer ses habitudes alimentaires. La vente de junkfood a été réglementée dans les écoles, les enceintes sportives et les jardins publics. Des fontaines d’eau purifiée ont été installées partout et effectivement la consommation de sodas a diminué de 6% en un an.

Enfin, un effort particulier et imaginatif a été consacré à l’exercice physique. Si, avant d’entrer dans le métro, vous faites dix mouvements accroupi-debout- bras-tendus, devant une machine qui vous enregistre, votre trajet est offert. Et des marches des escaliers d’établissements publics jouent des notes différentes sous le poids des gens. Les enfants surtout s’amusent ainsi à faire de la musique en montant et en descendant et encouragent leurs parents à en faire autant.

Nicole Anliker – Neue Zürcher Zeitung – 14 juillet 2016

Les tweets vengeurs ne sauveront pas les lions d’Afrique

Le 1er juillet 2015, un Américain a tué Cecil, le lion favori d’une réserve du Zimbabwe, provoquant ainsi un immense mouvement d’opinion à travers le monde. Une pétition en ligne réclamant « Que justice soit rendue au lion Cecil » a recueilli plus d’un million de signatures ; une association de défense des animaux a réclamé la prison pour le chasseur ; une célèbre animatrice de la télévision britannique a même suggéré qu’il fallait lui prendre « sa maison, son travail (il est dentiste) et son argent » ; de toute façon, a-t-elle ajouté, « il a déjà perdu son âme. »

Trois lignes aériennes américaines ont annoncé qu’elles refusaient désormais le transport de trophées de chasse. L’Australie, la France et les Pays-Bas en ont interdit l’importation. Le WWF a inscrit les lions d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique Centrale et d’Inde sur la liste des espèces menacées.

Hélas, toute cette colère n’a en rien freiné le déclin catastrophique de la population des lions qui a déjà, en vingt ans, diminué de 43%. C’est que la chasse aux trophées n’est pas le vrai problème. Les lions disparaissent d’Afrique pour une raison tout autre : les Africains ont faim, ils tuent dix fois plus de lions que les amateurs de trophées …  et c’est pour les manger !

Ayant exterminé pour ce faire la faune des autres territoires, ils chassent désormais dans les parcs nationaux et autres réserves naturelles. Ils y ont déjà éliminé les buffles, les antilopes et les autres gros animaux qui sont la proie des lions. Seuls subsistent les phacochères et les babouins, que l’Islam interdit de consommer. Les bergers piègent aussi les lions pour protéger leurs troupeaux et pour faire commerce de leurs os, très prisés dans la pharmacopée chinoise.

C’est ainsi que le Lion a effectivement disparu d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. Il n’y reste au total que 400 individus. Et 20 000 sur l’ensemble du continent, contre 200 000 au milieu du XXe siècle. On prévoit qu’il en disparaitra encore 10 000 lors de la prochaine décennie.

L’Afrique sans lions ? C’est impensable ! Mais les campagnes en ligne ne sont pas une solution. Monter des patrouilles anti-braconnage dans les zones protégées, développer des alternatives permettant aux populations locales de se passer de la « viande de brousse » en sécurisant les enclos des animaux domestiques, offrir des compensation aux éleveurs qui doivent vivre aux côtés des fauves … C’est ainsi que la communauté internationale devrait aider les Africains si elle veut que survive l’Afrique des lions, des éléphants et des rhinocéros.

Richard Conniff – International New York Times – 9 juillet 2016

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