Prospective - Edito : Mémoire de poisson rouge

Journée de la Terre, de la Mer, de la Paix , du braille, de l’art, de l’asthme, de la lutte contre l’homophobie, de la femme, du vélo, du yoga, du rangement de bureau, de la secrétaire, de la courtoisie au volant, du compliment… En entendant aux nouvelles l’annonce de toutes ces journées, nous avions commencé à les collectionner pour vous en parler quand nous serions arrivés à un nombre honorable. Et puis nous avons découvert que quelqu’un avait eu cette idée avant nous : Vincent Tondeux, créateur de l’excellent site www.journee-mondiale.com que nous vous invitons à découvrir. Vous pensiez que le calendrier comptait 365 (parfois 366) jours. Baliverne ! Si l’on en juge d’après le nombre de Journées ainsi célébrées dans le monde, il en compterait 460 ! On vous propose, presque chaque jour, une nouvelle cause, voire deux ou davantage.

Le travail est fêté le 1er mai dans le monde entier. D’autres causes sont justement mises en valeur : la prévention des crimes contre l’humanité (27 janvier), les maladies rares (28 février), la protection des données (28 janvier)…   Certaines journées sont l’occasion de mettre en valeur des sujets dramatiques et dont on parle trop rarement. Ainsi, les enfants soldats (12 février), les enfants disparus (25 mai), les enfants des rues (26 novembre). On dira qu’une journée ce n’est pas grand-chose, mais c’est déjà quelque chose : un moyen de réveiller ou de mobiliser les esprits.

Petit jeu : quelle est la journée qui correspond à votre anniversaire ? quelle est celle à laquelle vous vous identifiez ? Si vous êtes concerné par les problèmes d’environnement (5 juin), par exemple, vous approuverez la journée internationale des baleines (19 février), celle de l’ours polaire (27 février), celle de l’éléphant (12 août), du vautour (5 septembre), du rhinocéros (22 septembre) et celle du moineau (20 mars), moins ordinaire qu’on ne croit et de plus en plus rare dans nos villes et vous aurez une pensée pour chacun et pour tous le 11 mai, journée des espèces menacées.

Ces commémorations peuvent être l’occasion d’activités sympathiques en commun : observer les astéroïdes dans la nuit du 30 juin, les chauves-souris dans la nuit du 29 août, commencer le 16 décembre à tricoter un pull pour Noël.

Evidemment, lorsqu’on liste ainsi les choses, les incompatibilités sautent aux yeux : la journée nationale contre le terrorisme et l’assassinat politique, le 6 février, a lieu en même temps que la journée sans téléphone mobile. Pas pratique pour alerter les secours ! La journée de la lutte contre l’obésité (19 mai ) est mise en péril plus d’une fois : journée du pop-corn (19 janvier) , du Nutella (5 février) , du hamburger (13 octobre) et du macaron, le 20 mars, date à laquelle, heureusement, on se brossera soigneusement les dents pour la journée de la santé bucco-dentaire. Pas grave, on se sera consolé le 21 janvier avec la journée des câlins et le 6 juillet avec la journée du baiser. Et, après s’être reposé toute la journée nationale du sommeil (17 mars) on pourra se livrer à une grande bataille d’oreillers (2 avril). Et fallait-il vraiment une journée pour le topless, une autre pour la mini-jupe et une sans pantalon (le 13 janvier, brrr.) ?

On est un peu gêné de découvrir un grand n’importe quoi : on discrédite les causes les plus justes en les mettant au même plan que les sujets les plus absurdes. D’un autre côté, quand tombe la nuit, l’engagement disparait jusqu’à l’année suivante : c’est la consécration de la mémoire de poisson rouge ! Celle dont parle Coluche à propos des famines et des guerres dans le monde : « Je décide de m’intéresser ; je m’intéresse ; et après, je ne m’intéresse plus… »

Quand nous avons lu qu’en se donnant un peu de mal chacun pouvait lancer une nouvelle journée, nous avons été tentés de lancer la journée mondiale contre la bêtise. Mais à quoi bon ? Comme disait Schiller : « Contre la bêtise, les Dieux eux-mêmes luttent en vain ».

Hélène Braun

On ne connaît pas la musique

C’est dans le plus profond silence que la musique a cessé d’être enseignée en France.

Au collège, il existe une heure d’éducation musicale par semaine, occasion d’écouter des œuvres, d’apprendre un peu d’histoire musicale et de pratiquer le chant. C’est mieux que rien, mais tellement insuffisant ! Quant au lycée, la musique n’y est plus qu’une option. Enseignements du solfège et de la flûte à bec ont totalement disparu des programmes. Cette décision équivaut en fait à supprimer l’apprentissage d’une langue vivante.

La musique est un art à double clef : une langue à déchiffrer, le solfège, une pratique à maîtriser, celle des instruments de musique. Ne pas l’enseigner dans les études générales, c’est condamner l’essentiel de la population à en être privé. Que l’on s’étonne si nos artistes déplorent souvent que le public français soit l’un des seuls à chanter faux et à applaudir à contretemps.

Comme nous avons moins de fanfares ou de chorales religieuses que les pays protestants, peu d’orchestres dans les écoles, pas de big bands avant les rencontres sportives, où les jeunes peuvent-ils apprendre cette langue pourtant universelle ? Pas dans les conservatoires de musique, où la demande des familles excède tellement l’offre. Il y a moins de 5% des enfants dans un conservatoire en France, contre 30% des enfants en Suède. Et dans tous les lieux non scolaires, les cours de musique coûtent cher.

La musique favorise la pensée créative, la coordination corporelle et la discipline personnelle, développe la mémoire et les capacités cognitives. Comme le sport, elle est rassemblement à travers l’orchestre ou la chorale. Un enseignement de la musique pour tous et un orchestre dans toutes les écoles pourrait redonner aux écoliers le sens de l’effort et la joie d’apprendre.

Les expériences de pratique musicale en milieu défavorisé montrent une amélioration souvent spectaculaire des résultats scolaires. Dans les classes d’orchestre en quartiers difficiles, où le taux d’abandon de la scolarité à seize ans était écrasant, on trouve des taux de poursuite d’études de 80%.

Jean-Noël Tronc, directeur de la Sacem – propos recueillis par Karol Beffa – Commentaire, n°158 – Été 2017

Des manuels de maths chinois pour les écoliers anglais

En 2010, les écoliers de Shanghai ont été classés premiers au test PISA de mathématiques. Les écoles britanniques vont essayer d’égaler ce succès en utilisant les manuels de mathématiques des écoles primaire de Chine. A partir de janvier 2018, les professeurs des écoles auront la possibilité d’utiliser Les vraies mathématiques de Shanghai, une série de 36 manuels traduits du chinois. Une seule différence : la livre sterling remplacera le renminbi.

Quelques écoles occidentales avaient déjà adopté une pédagogie semblable, celle de  Singapour. Pour première fois un pays tout entier adoptera cette démarche.

 « Longtemps, les Asiatiques ont copié le système éducatif occidental. C’est soudain l’inverse », s’amuse  Yong Zhao, enseignant en pédagogie à l’université du Kansas.
Quelle est la différence ?

Chez nous, le maitre décrit un concept mathématique aux élèves puis leur donne des problèmes à résoudre individuellement. Certains y arrivent, d’autres pas.

La méthode chinoise est plus interactive. Les écoliers apprennent moins de concepts, mais à fond. Par exemple en abordant les fractions, le maître utilise des images et d’autres techniques visuelles pour explorer ce concept abstrait et demande aux élèves d’appliquer le principe sous-jacent de « partie d’un tout » dans toutes sortes de contextes. Les interrogations orales sont fréquentes : chacun doit expliquer devant la classe quelle solution il a trouvée, comment il y est parvenu, et quels sont les principes mathématiques qu’il a utilisé. Et ce n’est que lorsque toute la classe a démontré qu’elle maîtrise parfaitement le concept que l’on passe au suivant.

« Je suis certain que cette réforme va préparer nos enfants à leurs études futures  et aux emplois du XXIe siècle », a déclaré Nick Gibb, ministre de l’Education britannique. « La formule " nul en maths " appartiendra bientôt à un passé révolu ».

Amy Qin et Karoline Kan – International New York Times – 11 août 2017

Les universités russes vont-elles se réveiller ?

Sur la liste des cent meilleures universités du monde établie par The Times Higher Education, l’université Lomonossov de Moscou est passée, d’une année sur l’autre, du groupe des 51 à 60 premières à la 25ème place et l’université de Saint-Pétersbourg, qui jusqu’ici ne faisait pas partie de la liste, figure à présent dans le groupe des 71 à 80. Ces succès sont dus, pour l’une et l’autre, à la recherche fondamentale. Mais, globalement, en tenant compte de tous les départements, l’université de Moscou n’est encore qu’au 196ème rang et celle de Saint-Pétersbourg ne figure même pas parmi les 400 premières.

Une initiative d’excellence du ministère russe de l’Education vise à regrouper à moyen terme les 600 universités actuelles en 40 environ, une trentaine à terme plus lointain. Des budgets importants sont prévus.

Dans l’immédiat, le projet «5-100 » vise à ce que, d’ici à l’an 2020, 5 universités figurent parmi les 100 meilleures du monde. Ces établissements d’élite mettent en place des programmes d’enseignement internationalement compatibles, recrutent des enseignants et des étudiants étrangers et coopèrent avec l’économie et l’industrie pour leur apporter des innovations et du personnel qualifié. Simultanément, l’Etat russe se propose de licencier 8300 universitaires actuellement en fonction pour les remplacer par d’autres.

Les obstacles sont nombreux. Les diplômés des deux universités citées gagnent en moyenne beaucoup moins que ceux de l’Institut d’Art Contemporain de Moscou ou ceux des établissements d’enseignement supérieur à vocation sportive ; ils sont donc obligés de se trouver ailleurs des revenus complémentaires. Alors que les universités de l’Ouest ont été réformées par des managers, en Russie la tâche est confiée à  des fonctionnaires issus de l’ancienne culture. Leurs objectifs sont ceux d’hier : former des ingénieurs, des spécialistes de l’armement, des chimistes… L’art, le droit, les sciences politiques sont peu considérés par l’administration. Et comme les universités ne disposent pas en quantité suffisante des infrastructures nécessaires à la recherche et à l’innovation, à la fin de leurs études en Russie, de nombreux diplômés partent faire carrière aux Etats-Unis ou en Europe occidentale et y restent. Enfin, le climat de surveillance policière, qui a récemment conduit au licenciement de plusieurs enseignants occidentaux, n’est pas fait pour encourager les échanges internationaux.

Si on en juge d’après certains succès, par exemple celui de l’Ecole d’Informatique ITMO, à Saint-Pétersbourg, et si par ailleurs on sait la qualité des universitaires russes, le pari peut être gagné. Mais le chemin à parcourir est probablement sous-estimé par la programmation officielle. Enfin, et c’est essentiel, l’autonomie des universités, sans parler des libertés universitaires, restent inconnus en Russie.

Kerstin Holm - Frankfurter Allgemeine Zeitung – 2 août 2017

« Aux armes, etc. »

En Suisse, en milieu rural surtout, la commémoration le 1er août de la Fête nationale reste un moment important auquel participe toute la population, souvent habillée de rouge et blanc aux couleurs du drapeau : façades pavoisées et décorées, orphéons, descentes aux flambeaux ou défilés des enfants portant des lanternes et autres feux d’artifice…

Cette année, un débat sur le texte de l’hymne national brouille le message : faut-il ou non changer les paroles du chant patriotique, qui n’est officiel que depuis 1961 ? Les uns veulent préserver un hymne que l’on appelle aussi Le Cantique suisse, identifiant l’amour de la patrie et l’amour de Dieu. Ce faisant, disent les autres, le Cantique exclut les 25% de Suisses qui se déclarent sans religion et proposent une nouvelle version mettant en avant la liberté, l’équité, la solidarité et la diversité. Prudentes, les autorités fédérales ne s’expriment pas.  Ce n’est que le jour « où l’on sentira le nouveau chant porté par le peuple » qu’une démarche officielle de changement sera soumise au Parlement. Il semble qu’on en soit loin.

Dans l’immédiat, chaque commune étant libre de faire ce qu’elle veut, 13% ont renoncé cette année à organiser une célébration officielle, à la fois pour des raisons budgétaires et pour marquer leur désaccord avec la mise en cause du texte classique.

Le contraste est frappant avec la France où toutes les communes sont tenues de fêter le 14 juillet. Il y a certes des cérémonies officielles, des feux d’artifices, des bals, mais aussi des départs en vacances… La Fête nationale ne mobilise vraiment que dans les temps difficiles.

L’heure n’est pas venue de changer les paroles de La Marseillaise. Nous souhaitons bien du plaisir à celui qui s’aviserait aujourd’hui de les remettre en cause. Serge Gainsbourg, repose en paix.

Boris Busslinger – Le Temps (Lausanne) – 31 juillet 2017

Prospective.fr

 

Ma copine Alexa

Développée par Amazon en 2014, Alexa est un assistant digital qui répond à vos questions et, à votre demande, joue de la musique et chante des chansons … Quand vous rentrez à la maison et que vous l’appelez, sa petite lumière verte s’allume et vous vous sentez accueilli comme par votre chien qui remuerait la queue ou dresserait les oreilles.

Vingt-cinq millions d’Américains possèdent ce robot domestique.

Quand Sybil entend son mari Martin marmonner dans la pièce à côté, qu’elle lui dit « plus fort, je ne t’entends pas » et qu’il répond « ce n’est pas à toi que je parle », elle sait qu’il est en conversation avec Alexa : « Alexa, lui demande-t-il, quel temps fait-il ? », « Est-ce que j’ai besoin d’une coupe de cheveux ? », « Est-ce que cette chemise me va bien ? »… Et si la télévision dit « Alexa », elle s’allume immédiatement, toujours prête : la compagne idéale.

Nous sommes des créatures grégaires. Notre capacité à nouer des relations et à collaborer est l’un de nos principaux atouts. Un objet qui imite ces capacités séduit notre intelligence et touche notre sensibilité car nous avons aussi tendance à nous projeter dans le monde qui nous entoure. Nous avons beau savoir que si à la question « t’ai-je manqué ? », Alexa répond « Je suis heureuse que tu sois de retour », c’est qu’elle est programmée ainsi, nous sommes contents.

La voix est peut-être ce qu’il y a de plus intime, de plus séduisant, de plus convaincant. Notre premier lien avec le monde, c’est la voix de nos parents et nos pleurs de bébé sont la première façon dont nous nous reconnaissons, prenons conscience de nous-mêmes. Pythagore donnait ses leçons derrière un rideau afin que ses étudiants soient plus attentifs. Et il paraît qu’on écoute mieux en fermant les yeux. Or nous sommes de plus en plus bombardés d’images, avec les textos et les mails nous communiquons visuellement et nous nous parlons moins au téléphone. La communication vocale devient plus rare et plus précieuse. La principale qualité d’Alexa, c’est qu’elle parle, et, qui plus est, avec une jolie voix féminine.

Un jeune papa a invité Alexa dans son appartement pour que ses enfants soient moins accros aux écrans. Ils ont développé leurs propres relations avec elle. Un jour que son petit garçon de 6 ans n’arrivait pas à enfiler son pull, il a demandé à Alexa comment faire. Le papa a voulu clarifier la situation :

- Tu sais, c’est une machine. Elle ne t’aime pas.

- Et pourquoi je peux aimer mon singe en peluche et pas elle ?

Penelope Green – International New York Times – 19 juillet 2017

La rivière retrouvée

Une alose remonte le courant et disparaît au tournant. C’est le printemps, la saison des amours et il est normal pour ce poisson qui vit dans la mer de remonter les rivières pour frayer. Ce qui est inhabituel, c’est qu’il le fait dans un cours d’eau qui n’existait pas il y a encore deux ans.

Pendant plus d’un siècle, ce terrain du Massachusetts, Les Fermes de Tidmarsh, était une plantation d’airelles. Les baies recouvraient d’un tapis rouge le sable irrigué par de maigres rigoles rectilignes. Et puis, d’autres techniques de culture, plus rentables, ont été instaurées ailleurs, et le prix des airelles a considérablement chuté. D’où cette idée des propriétaires, mise en chantier en 2010 : une zone naturelle protégée, des aides de l’Etat, et l’on pourrait peut-être rendre aux champs d’airelles leur statut antérieur de marais côtiers.

Des projets semblables ont déjà vu le jour en Europe et aux Etats-Unis et d’autres vont certainement suivre. En cette ère de changement climatique, il est intéressant de trouver ainsi une nouvelle vocation pour les zones sinistrées par les évolutions économiques : friches industrielles, usines ou entrepôts abandonnés, terrains agricoles désertés…

Question plus générale : comment faire renaître les habitats naturels menacés de disparition et combien de temps cela prend-il ? Tidmarsh est un bon exemple de cette problématique. Il ne s’agissait pas simplement de laisser la végétation revenir toute seule. Il a fallu d’abord rechercher dans la tourbe profonde les traces des anciens cours d’eau ; puis travailler une année entière pour, à l’aide d’engins lourds, passer du sec à l’humide, détruire les petits barrages du système artificiel d’irrigation, créer une micro-topographie de monticules et de ruisselets. Tout n’est pas gagné. Ainsi, on a planté des cèdres très rares comme ceux qui existaient là autrefois, mais les pins qui avaient surgi sur le sable au temps des airelles résistent.

Finalement, les marais se sont recréés, les grenouilles et les crécerelles sont revenues…Le résultat le plus impressionnant, c’est cette rivière aux aloses, qui traverse la propriété et va se jeter dans l’océan. Et c’est comme si les animaux et les plantes enfouis sous le sable venaient de se réveiller après avoir dormi cent ans.

Jess Bidgood – International New-York Times – 12 juillet 2017

Messages à nos descendants

Les « time capsules » sont des collections d’objets et d’informations relatifs à une époque et qu’on enfouit pour que nos descendants les découvrent dans un avenir plus ou moins lointain.

On savait qu’il y en avait une dans les fondations d’un immeuble new-yorkais de la fin du XIXe siècle. Quand celui-ci a été démoli dans les années 1950, on a passé des mois à fouiller en vain les décombres. Elle est finalement tombée d’une pelle mécanique, trop abîmée pour qu’on retrouve grand-chose, sauf un enregistrement sur cylindre de cire : la conversation de deux reporters qualifiant l’année 1899 de particulièrement désastreuse avec la rupture d’un barrage, l’explosion d’une usine à gaz, la chute d’un pont sur le Niagara...

Une autre, dans le parc de Flushing Meadows, date de 1939 et doit être ouverte en … 6939. S’il y a encore alors quelqu’un pour le faire, on y trouvera la biographie de l’inventeur George Westinghouse, un exemplaire de Autant en emporte le vent, une lettre d’Albert Einstein dont la dernière phrase est : « Quiconque pense à l’avenir doit vivre dans la crainte et la terreur ».

Il en existe beaucoup encore, comme celle qui, placée dans la pierre angulaire de l’immeuble de Time & Life en 1959,  contient tout simplement un tas de magazines de l’époque ou celle de 1965, qui doit révéler dans 5000 ans un bikini, une pilule contraceptive et un disque des Beatles.

L’an dernier, la restauration d’une statue à Manhattan a permis de mettre au jour une time capsule de 1909. Les papiers qu’elle contenait, trempés, étaient devenus illisibles. On a rempli une nouvelle capsule avec, entre autres, un message du maire de New-York… On ne sait jamais…

De nos jours, les time capsules ne sont plus à la mode. Mais cela pourrait revenir.

James Barron – New York City Journal – 30 juin 2017

 

Une saison entière dans les arbres

Au sud-est du Maroc, où le climat est très sec, il n’y a, en automne, plus de quoi brouter au sol. Mais les arbres, notamment les arganiers, portent encore des feuilles. Une excellente nourriture pour les chèvres domestiques, qui grimpent afin de les brouter.
Rien d’étonnant, direz-vous : les chèvres ont le pied sûr ; certaines sont même de bonnes montagnardes et sautent allégrement de corniche en corniche. Sauf que cette espèce n’est pas née avec l’aptitude de monter spontanément aux arbres. Ce sont leurs gardiens qui le leur ont enseigné. Ils élaguent un peu les arbres pour que ce soit plus facile, aident les chevreaux à grimper jusqu’à ce qu’ils sachent le faire tout seul. Et en automne, les chèvres passent le plus clair de leur temps là-haut à se régaler.

Cette invention est aussi bénéfique aux arganiers. Beaucoup d’animaux avalent les graines ou les noyaux des plantes et les défèquent un peu plus loin, ce qui permet à ces plantes de coloniser de nouveaux territoires. Pour l’arganier, c’est en principe impossible car les noyaux sont trop gros. En revanche, les chèvres sont des ruminants : elles régurgitent une première fois pour mâcher une deuxième. Ce faisant, elles recrachent des graines à moitié broyées, les semant souvent loin de l’arbre d’origine.

Nicholas Bakalar – International New York Times – 17 juin 2018

Eureka!

Si l’on en croit Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, les scènes montrant des moments d’illumination soudaine, ce n’est que du cinéma. Et personne n’écrit d’un jet des formules mathématiques sur un tableau de verre. D’après lui, « c’est une idée fausse, dangereuse et qui décourage la créativité ».
Sur un tableau de verre, peut-être pas, mais dans la pierre, c’est déjà arrivé. Un jour de 1843, le mathématicien irlandais William Rowan Hamilton se promenait le long du Canal Royal à Dublin lorsqu’il perçut comme en un éclair ce qu’étaient les nombres complexes, une équation qui deviendrait et demeure un outil fondamental pour les ingénieurs et les physiciens. Immédiatement, il la grava sur un pont de pierre enjambant le canal.

Bien des innovations sont nées ainsi d’une soudaine intuition : la régulation génique par Barbara McClintock, la mélodie de Yesterday dans la tête de Paul McCartney se réveillant un matin, la façon dont les cellules nerveuses communiquent entre elles par Otto Loewi, la compassion par Bouddha…

Les IRM en laboratoire montrent que lors de ces « moments d’Eureka » l’activité du cerveau dans le lobe temporal droit est à haute fréquence et que cet instant est précédé d’une brève absence pendant laquelle le sujet est moins conscient de son environnement. Ce qui ne se produit nullement quand il résout un problème de manière analytique.

Ces deux façons de penser, intuitive et analytique,  si elles sont différentes, sont complémentaires. La première a plus de chances de se produire lorsque le sujet est détendu, positif et comme détaché. Dans la deuxième, on est parfois plus anxieux, mais cela permet à la pensée de se canaliser, à l’esprit critique d’intervenir et d’affiner l’intuition première.

Enfin, les idées géniales, si elles ont l’air d’arriver comme par miracle, ne viennent pas de nulle part : il s’agit généralement de relations nouvelles entre des choses que l’on connaît déjà. Autrement dit, si vous avez l’ambition d’innover, travaillez les sujets qui vous intéressent et sachez en le plus possible.

(Comme le disait déjà Pasteur : « la chance sourit aux esprits préparés »).

Bref, avec tout le respect que nous devons à Mark Zuckerberg, il est faux de dire que l’idée du moment Eureka est oppressive, elle est libératrice au contraire. Gravez-le sur le verre, la pierre, ou mieux postez-le sur Facebook.

John Kounios – International New-York Times – 13 juin 2017

 

Courteline pas mort

La plupart des organisations engagent des démarches de dématérialisation tout en tentant le plus longtemps possible de préserver l’ordre en place. On parvient à maintenir certains emplois, mais on en fait des bullshit jobs. Plutôt que de changer les processus, on leur rajoute une couche numérique, ce qui les alourdit encore. Le fonctionnaire est persuadé qu’il travaille mieux, la société de services informatiques a remporté un beau contrat, et on arrive ainsi à « des fausses victoires saluées par tous, sauf par les utilisateurs ».

L’un de ces utilisateurs décrit son parcours du combattant pour faire renouveler les passeports de ses enfants :  difficile prise de rendez-vous par Internet, achat des timbres fiscaux sur le Web, formulaires plus compliqués que sur le papier et … obligation de les doubler par des questionnaires papiers, spectacle fascinant de sept personnes au travail qui n’ont rien à faire tandis que la queue s’allonge au huitième guichet, impossibilité de récupérer les passeports qui sont dans une boîte à chaussures à deux mètres du guichet, parce que « l’informatique est en panne »… Un vrai sketch. Des jours et des heures gaspillés pour lui-même son épouse et ses jumeaux, qui devaient aussi être présents … Le ministère de l’Intérieur, royaume du père Ubu !

Le numérique permet en principe d’organiser de manière beaucoup plus efficace tout ce qui relève du traitement de l’information. Or l’établissement d’un passeport relève d’abord de la saisie d’information puis de leur vérification. Sauf que les institutions en général et l’administration en particulier ont un mal fou à réorganiser le travail, à faire, par exemple, que des agents ne restent pas désœuvrés simplement parce qu’il n’y a pas d’usager au guichet.

Pierre Pezzardi et Henri Verdier - Des startups d’Etat à l’Etat plateforme – Fondapol (Fondation pour l’innovation politique) - janvier 2017

Jean-Marc Vittori – Les Echos – 4 juin 2017

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