Theresa May, Premier ministre du Royaume Uni, a créé au début de cette année un ministère de la Solitude. Son objet : aider les neuf millions de personnes isolées, dépourvues de liens sociaux, désemparées que compte la Grande Bretagne.
Passée inaperçue en France, cette décision peut, au premier abord, sembler étrange. Elle est tout à fait pertinente. Elle met en évidence deux phénomènes éclatants et pourtant invisibles : la condition des personnes âgées, l’omniprésence du virtuel.
Nos sociétés sont disloquées par la nouvelle situation des générations : chaque classe d’âge vit sa vie et, hormis les liens familiaux quand ils existent, elles ne se voient plus, ne se connaissent plus. La solitude touche des membres de toutes les générations, mais massivement les personnes âgées. Il y en a tant, confinées dans leur pauvreté, leurs maisons de retraite ou leurs petits appartements, vouées à passer leurs après-midi sur les bancs publics et leurs soirées devant la télévision ! « Qu’est-ce que la solitude ? », plaisante un de nos vieux amis, « c’est quand la télé tombe en panne ».
Leur méconnaissance de l’outil informatique prive beaucoup d’entre elles de l’accès à l’information et à la communication, en principe des droits constitutionnels. L’ennui, l’anxiété, le sentiment d’inutilité et l’amertume qui en résulte diminuent la résistance naturelle. Il s’agit donc, entre autres, d’un enjeu majeur de santé publique.
On comptait beaucoup sur les réseaux sociaux pour créer du lien. Pour les jeunes, les actifs, compétents, reliés, mobiles, qui communiquent aussi autrement, c’est un plus qui s’ajoute aux relations existantes. Avec une limite : qui ne connaît dans son entourage des jeunes (ou des moins jeunes), collés devant leurs écrans, étrangers au monde environnant, passant leur temps dans des univers virtuels. Que feront-ils de leur vie ?
On est en droit de penser que la création d’un ministère est une manière baroque de renouveler le débat. Qu’en sera-t-il réellement ? Le ministère de la Solitude peut n’avoir vocation qu’à être l’élégant emballage d’une réorganisation administrative et d’une extension du domaine de la bureaucratie. Si tel était le cas, il susciterait forcément la comparaison avec un autre ministère, qui portait lui aussi un joli nom : le ministère de la Vérité de George Orwell dans 1984.
Pour l’heure il faut faire confiance à la nouvelle ministre, Tracey Crouch.
Cette initiative a, de toute manière, un vrai mérite : elle met en lumière des questions essentielles et que nous éludons parce que nous ne savons pas les traiter.
Armand Braun
Il y a déjà davantage de réfugiés climatiques que de réfugiés fuyant les conflits. C’est le Conseil norvégien pour les réfugiés qui l’indique. Et ce n’est qu’un début : l’ONU prévoit 250 millions de réfugiés climatiques dans le monde en 2050. D’autres études évoquent même le chiffre de 1 milliard.
Le constat ne fait plus débat. La situation n’a rien de fatal. Les moyens existent (techniques, financiers, économiques…). L’expertise aussi. Tout le monde est d’accord : il serait possible de réduire de 80% le nombre des réfugiés climatiques.
C’est quand il s’agit de passer au concret que plus rien ne va. Aider les pays vulnérables à s’adapter, assurément. Mais qui s’en occupera ? Qui paiera pour de bon ? Comment s’assurer que les engagements seront tenus ? Que la corruption ne détournera pas les aides, comme ce fut déjà le cas en d’autres situations ? Comment donner la parole, actuellement monopolisée par des communicants publics et privés, aux gens eux-mêmes, qui meurent en silence dans la savane, le désert, ou voient disparaître leur village inondés par la mer ou dévastés par la sécheresse.
Nous négligeons les données de fond : le conflit de tous les temps entre nomades et sédentaires, dont les motivations étaient les mêmes qu’aujourd'hui ; la crispation des populations supposées accueillir les migrants et qui n’en veulent pas, pour des raisons sur lesquelles les uns et les autres portent des jugements de valeur différents ; l’incapacité des États à concevoir d’autres initiatives que d’enfermer dans des camps et souvent indéfiniment des êtres humains, qui en arriveront à nous haïr.
Voilà un autre exemple – ils sont si nombreux… – de situations dans lesquelles nous avons une claire vision de la problématique et où, dans la réalité, dominent le nyaka, le sectarisme, l’indigence de l’imagination. Une fois de plus, ce n’est pas la bonne volonté, ce sont la peur et l’impéritie qui s’opposent à toute démarche prospective. Et c’est ainsi que la fatalité, sous les bonnes paroles, est déjà à l’œuvre.
Prospective.fr
Dix-sept millions d’Européens vivent et travaillent dans un autre pays de l’Union que le leur. C’est deux fois plus qu’il y a dix ans. Longtemps considéré comme marginal, ce phénomène ne l’est plus. Il est apprécié dans les pays d’origine, notamment en Europe centrale. Des forces politiques puissantes s’y opposent désormais dans les pays d’accueil. On se souvient de l’affaire du plombier polonais. Ce phénomène migratoire est l’une des causes du Brexit. L’enjeu nouveau est à la fois de protéger les salariés qui viennent d’ailleurs et de réduire les tensions que suscite leur arrivée.
La Commission de Bruxelles va créer une Autorité européenne du travail qui permettra aux citoyens et aux entreprises de trouver leurs marques sur un marché du travail de plus en plus global en Europe. Elle jouera aussi le rôle de médiateur en cas de différends entre les autorités nationales du travail.
Tous les marchés du travail nationaux sont confrontés à un même défi : le contrat de travail conclu pour toute la durée de la vie professionnelle n’est plus la norme. Quatre Européens sur dix sont des travailleurs indépendants ou des travailleurs embauchés sur la base d’un contrat temporaire. Souvent, ils ne peuvent pas s’affilier aux régimes de Sécurité sociale. Passant d’un emploi à l’autre, ils n’accumulent pas suffisamment de droits pour bénéficier de prestations lorsqu’ils sont au chômage. Il existe aujourd'hui des applications pour réserver un taxi, commander un repas ou faire appel à un baby-sitter. Mais rien n’est prévu pour ces cas-là : lorsque l’on tombe malade, que l’on vieillit ou que l’on perd son emploi et qu’on n’est pas un ressortissant local, qui paiera l’hôpital, la retraite ou les allocations sociales ? La Commission européenne propose que tous, y compris les travailleurs qui vont d’un pays à l’autre, soient en mesure d’accumuler des droits en échange de cotisations.
Une idée évidente, conforme aux réalités, une manière d’atténuer les conséquences du vieillissement des populations professionnelles en Europe, mais que la montée des passions, aussi bien à l’est qu’à l’ouest, peut encore compromettre.
Marianne Thyssen, commissaire européenne à l’emploi – Le Monde – 29 mars 2018
Prospective.fr
Les nouvelles technologies d’exploration de la Terre vue du ciel – images prises par des satellites, radars aéroportés, drones munis de caméras – ont récemment révélé que la forêt amazonienne n’était pas du tout une forêt vierge. Dissimulés par la végétation luxuriante, des vestiges de fermes, d’habitations et de routes témoignent d’une implantation humaine très ancienne. Longtemps avant l’arrivée des premiers Européens aux Amériques, longtemps avant les civilisations précolombiennes, des hommes avaient transformé la forêt et y avaient établi des villes.
C’est un amateur de São Paulo, directeur financier à la retraite, dont le hobby est d’étudier les photos satellite disponibles sur le Net qui a, le premier, remarqué des traces circulaires de terrassements. Puis des archéologues ont passé ces découvertes en revue sur Zoom Earth et Google Earth et les ont cataloguées.
Ensuite, différentes équipes d’archéologues se sont rendues sur place. Elles ont découvert la preuve d’une ancienne présence humaine dans de vastes et nombreuses régions de la forêt amazonienne :
des tessons de poteries et des céramiques décorées ; des travaux de terrassement ; des tertres ; un sol noir, enrichi de charbon et de fertilisants, suggérant une agriculture intensive ; des villages et villes fortifiés ou entourés de fossés circulaires ou carrés atteignant par endroits 10 m de large et 40 m de profondeur ; des routes et des chaussées...
Un million au moins de personnes ont habité ces villages, cultivé ces sols, décoré ces poteries. Puis ont disparu, sans qu’on n’en sache davantage.
La végétation sauvage a recouvert les maisons, les routes et les places abandonnées. C’est la déforestation actuelle qui les révélées. À qui sait la déchiffrer, cette ancienne présence humaine est encore visible dans les variations de croissance de la flore et la répartition des différentes espèces d’arbres de cette forêt, bien plus jeune et bien moins primitive que l’on ne croyait.
En fait, un pays de jardins abandonnés.
Robert Lee Hotz – The Wall Street Journal – 27 mars 2018
La start-up néozélandaise Kitty Hawk, dirigée par Sebastian Thrun, un ancien de Google qui a travaillé sur le programme de la voiture autonome, a dévoilé un prototype de taxi volant électrique, entre le drone, la voiture et l’hélicoptère. Cora, de son nom de code, décolle et atterrit verticalement, peut atteindre la vitesse de 180 km/h et possède une autonomie de 100 km. Il peut accueillir deux passagers.
Si les tests se révèlent concluants, la société obtiendra une certification et donc l’autorisation officielle de faire voler ses taxis en 2021.
La Première ministre néo-zélandaise, Jacinda Arden a déclaré : « Nous voulons envoyer au monde le message que nos portes sont ouvertes aux personnes ayant de grandes idées et qui veulent les concrétiser. Entièrement électrique, le véhicule de Kitty Hawk devrait, avec d’autres projets, permettre à la Nouvelle-Zélande d’atteindre son objectif zéro carbone d’ici à 2050. »
Ailleurs dans le monde, on se passionne aussi pour cette solution destinée à survoler les encombrements urbains. L’entreprise chinoise Ehang a été la première à faire voler en conditions réelles un drone-taxi avec des passagers. Airbus a son véhicule volant : Vahana. Bell Helicopter et Uber se sont associés pour fabriquer le leur ; en partenariat avec la Nasa, ils mettent au point des taxis volants et un système de contrôle du trafic aérien à basse altitude.
Si la technologie progresse vite, tous ces « merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines » se heurtent encore aux craintes des autorités, notamment américaines, en matière de sécurité. Le feu vert que s’apprête à donner la Nouvelle-Zélande pourrait décoincer la situation.
Adrien Lelièvre – Les Echos – 25 mars 2018
Chaque année, des milliers de personnes gravissent les pentes menant au Camp de base sud de l’Himalaya, à 5300 mètres d’altitude. En route, elles se débarrassent de leurs ordures, emballages alimentaires, boîtes de conserve, canettes et bouteilles d’oxygène vides, tentes déchirées… Certes, une loi népalaise de 2014 exige de chaque alpiniste qu’il en ramène 10 kilos, mais elle n’est pas respectée.
Si rien n’est fait, c’est l’image même de l’Himalaya qui sera compromise. C’est pourquoi une initiative privée a été mise en place afin de collecter et recycler 100 tonnes de détritus. À ce jour, dix tonnes environ ont été ramassées, seize aires ont été aménagées, ainsi que trois toilettes. La difficulté du transport est telle que parfois les corps des victimes d’accidents sont laissés sur place…
Beaucoup plus haut encore, ce sont des satellites de toute taille, de plus en plus nombreux, envoyés par des pays ou des sociétés privées qui encombrent l’espace. La problématique est fondamentalement la même, mais à une échelle extraordinairement plus importante : à ce jour, l’économie spatiale du monde représente plus de 300 milliards d’Euros, sans parler des applications militaires.
Au Népal, il y a une loi, qui finira par être appliquée. Dans l’espace, il n’y a pas de loi, de multiples intervenants, l’indifférence vis-à-vis de quelque chose que le grand public ne peut voir, et enfin la mise en place, maintenant, de constellations d’objets tout petits mais potentiellement très dangereux en cas de collision ou de sortie d’orbite. La libre circulation dans l’espace et la facilité de réapprovisionnement pourraient même donner lieu à de véritables piratages. Il est maintenant question d’un code de conduite, de normes internationales de comportement dans l’espace. Si on se réfère aux expériences passées, peut-être faudra-t-il un grave accident pour que les acteurs concernés acceptent de se mettre d’accord pour réagir tant qu’il en est temps.
Bhadra Sharma et Kai Schultz – International New York Times – 24 mars 2018
Yousaf Butt, astrophysicien – International New York Times – 22 mars 2018
Il y a cent ans, la grippe espagnole a tué, selon les évaluations, entre 20 et 100 millions de gens ; plus que la Première guerre mondiale qui venait de s’achever. Partout, en Europe, en Amérique du Nord et du Sud, en Chine, en Indonésie et dans certains pays d’Afrique, des jeunes gens périrent en quelques jours par étouffement. Dans la seule ville de Cologne sont décédées en octobre 1918 plus de 450 personnes âgées de 10 à 40 ans.
Les grandes pestes du passé sont encore présentes dans la mémoire collective. Nous savons notamment qu’au XIVe siècle un tiers de la population européenne, soit 20 millions de personnes, y a succombé.
Étrangement, la grippe espagnole qui s’est produite au XXe siècle, semble à peu près oubliée et nous savons finalement peu de choses à son sujet.
Lorsqu’elle est apparue, les médecins ne savaient ni l’identifier précisément, à peine la décrire, seulement faire tomber la fièvre. On croyait à une peste pulmonaire car, comme pour la peste, la peau des malades noircissait après la mort.
Peut-être est-ce l’impuissance de la médecine qui a effacé ce drame de la mémoire collective : ce contre quoi les médecins ne pouvaient rien, ils s’en sont détournés. Peut-être est-ce le fait qu’elle n’était qu’une catastrophe de plus dans une époque épouvantable.
On ne sait pas non plus où elle avait commencé dans le monde. Le virologue britannique contemporain John Oxford pense maintenant que c’est peut-être en France, près du Touquet, à Etaples. Il y avait là un immense camp militaire britannique. Les conditions y étaient, si l’on peut dire, idéales pour que se déclenche une épidémie. L’infirmerie de ce camp comptait 20 000 lits.
Rappelons que c’est beaucoup plus tard qu’ont été inventés les antibiotiques (qui d’ailleurs servent à lutter contre les microbes et n’auraient pas soigné cette maladie due à un virus).
Au début des années 1980, après l’éradication de la variole, les autorités mondiales de santé déclarèrent qu’il n’aurait plus de pandémies. Peu après, apparurent Ebola, le SIDA, la grippe aviaire ...
Trois vitraux de l’église du Royal London Hospital, conçus par John Oxford, sont destinés à rappeler le drame de la grippe espagnole. Y sont représentés des cadavres de couleur violette…
Astrid Vicciano – Süddeutsche Zeitung – 24 mars 2018
Quand, une fois tous les deux ans, l’eau envahit les plaines d’inondation d’Australie, toutes sortes d’oiseaux s’y rassemblent par centaines de milliers pour s’accoupler. Mais quand l’eau se retire ils disparaissent et on ne les revoit pas avant des années. D’où viennent-ils ? Où vont-ils ? Connaître le sort et l’évolution de ces populations aurait pourtant un intérêt, pas seulement pour les ornithologues et les amoureux des oiseaux, mais sur un plan plus général.
Les zones humides dont il est ici question sont des marécages, des lacs, des étendues de boue, des tourbières. Elles ont la vertu d’améliorer la qualité des eaux et de réduire les dommages de la pollution et des inondations. Certains estiment que depuis le début du XXe siècle plus de la moitié des zones humides ont disparu à travers le monde. L’Australie en aurait perdu au moins 70%, principalement à cause de l’irrigation. Et maintenant, c’est le changement climatique qui les menace également.
La bonne ou la mauvaise santé des oiseaux qui en dépendent serait un révélateur.
Mais en Australie, il est pratiquement impossible d’étudier les populations d’oiseaux comme on le fait classiquement en les baguant : le territoire est trop étendu, les zones humides où ils vivent trop nombreuses ; la plupart des oiseaux bagués ne sont jamais retrouvés.
L’ornithologue Kate Brandis applique une autre méthode (déjà utilisée en Europe pour les oiseaux et en Amérique pour les papillons migrateurs) : en avril 2015, elle a lancé un appel public pour demander tous ceux qui trouvent des plumes d’oiseaux des zones humides de les lui envoyer par La Poste en précisant le lieu de la découverte. Deux ans plus tard, elle avait reçu 720 enveloppes envoyées par 175 correspondants depuis 500 endroits dans tout le pays. À elle ensuite démêler les plumes qu’elles contiennent, d’identifier les oiseaux auxquelles elles ont appartenu, y compris leur sexe et leur âge ; et d’y lire l’histoire de leur régime alimentaire, de leurs habitudes, des territoires qu’ils ont fréquentés.
Livia Alvbeck-Ripka – International New York Times – 23 mars 2018
La solution de facilité est une force sous-estimée et mal comprise, qui prend la main sur nos décisions. La façon la plus facile d’exécuter les tâches modèle notre vie personnelle et notre société. On s’y soumet tellement qu’on en vient à ne pas concevoir que d’autres façons de faire sont possibles : une fois qu’on a utilisé une machine à laver, on n’imagine plus de laver le moindre linge à la main, même si c’est moins cher ou plus rapide ; après avoir essayé le streaming, on trouve idiot et même indigne d’attendre l’heure annoncée d’un programme télévisé. Et les rares personnes qui refusent d’avoir un téléphone portable ou un accès Internet passent pour des hurluberlus.
Les facilités qu’offrent les techniques sont là pour nous rendre la vie plus facile. Elles sont apparues à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle avec les aliments en conserve ou instantanés, les aspirateurs, les fours à micro-onde, etc. C’était le progrès industriel dans nos maisons. On avait alors annoncé la société du loisir, où le temps libéré des tâches répétitives domestiques ou en usine serait consacré à des activités culturelles et à nos hobbies. Et c’est très bien d’avoir à sa disposition toutes sortes de possibilités, depuis les taxis jusqu’aux encyclopédies gratuites.
Mais profitons-nous vraiment de ce temps libéré ?
Et surtout, l’effort est-il mauvais en soi ? Bien au contraire : être une personne c’est aussi avoir à faire des choix, à prendre des décisions, à affronter des défis, à se donner les moyens d’aller jusqu’au bout d’une tâche ardue mais dont on pense qu’elle en vaut la peine. On devient ce qu’on est en surmontant des obstacles.
La solution de facilité gomme tout cela. Bien sûr, ceux qui prennent la benne et ceux qui font l’escalade parviennent en haut de la même montagne, mais l’arrivée sans l’expédition n’a ni la même valeur, ni le même charme.
Ne faisons pas de notre vie une suite de trajets en téléphérique.
Tim Wu – International New York Times – 17 février 2018
Traitée d’exercice idiot, la dictée a été bannie de l’école.
« Idiot toi-même, comme on dirait dans la cour de récré. Il n’y a rien de plus intelligent, de plus formateur, de plus distrayant que la dictée. Notamment sous la forme de recopiage solitaire d’un grand écrivain. Retranscrire lentement, patiemment, méditativement une page de Chateaubriand, de Nerval, de Colette, c’est s’en approprier les tournures, le lexique, les mots et les choses.
Qui disait que l’orthographe et la conjugaison sont faits de détails trop minutieux, trop illogiques pour retenir l’attention des jeunes esprits. Vraiment ? Les mêmes qu’on répute incapables d’écrire une phrase sans deux ou trois fautes sont à même de reproduire des lignes entières de signes arbitraires, incohérents, sans liens entre eux, comme on les voit dans les adresses mails de leur ordinateur. On s’émerveille de l’infaillibilité graphique des plus petits des enfants quand il s’agit de communiquer avec un copain ou une copine. Question de motivation et d’attention. L’attention, « cette prière naturelle que l’on adresse à la vérité pour qu’elle vous éclaire » (Malebranche), l’attention, priez-la, et la langue française sera sauvée.
L’orthographe, c’est aussi la politesse de la langue et il faut apprendre la politesse aux enfants tout autant qu’aux adultes. »
Jacques Julliard – Le Figaro – 5 mars 2018
Il y a des concepts d’éducation artistique qui trouvent tout de suite leur public. C’est le cas des orchestres d’enfants issus de milieux populaires. Ils permettent une découverte de la musique classique et de la pratique instrumentale jusque dans les quartiers les plus défavorisés et dans les zones rurales isolées. S’inspirant d’expériences réussies en Amérique du Sud, Laurent Bayle, directeur général de la Cité de la musique et président de la Philharmonie de Paris, a lancé Démos (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale).
Chacun de ces orchestres coûte 260.000 euros par ans, apportés à parts égales par l’État, les collectivités locales, des mécènes, particuliers et entreprises.
Les enfants, âgés de 7 à 14 ans, se voient confier un instrument et s’engagent à suivre pendant trois ans, quatre heures de cours chaque semaine, encadrés par deux musiciens et une personne du champ social ou de l’animation socioculturelle. La moitié des apprentis musiciens décide ensuite de poursuivre en conservatoire.
Déjà, 30 orchestres Démos en France offrent à 3.000 enfants tout à la fois une initiation à la musique et une formation à la citoyenneté.
Objectif d’ici à 2020 : 100 orchestres, partout sur le territoire. Laurent Bayle imagine aussi d’investir les m² encore inoccupés de la Cité de la musique pour d’autres projets pédagogiques. « La pratique musicale », plaide-t-il, « a un effet sur l’empathie, la sociabilité, l’écoute, la coordination. De tous les arts, la musique est peut-être la discipline qui a le plus d’intérêt pour les autres apprentissages.»
Martine Robert – Les Echos – 16 février 2018