Prospective edito : Information et communication, de quoi parle-t-on ?

Nous sommes redevables de dons incroyables aux nouvelles technologies de l’information : ubiquité, instantanéité, possibilité pour chaque personne d’échanger avec chacune et toutes. Un rêve, auraient estimé nos prédécesseurs.

Ce rêve réalisé est aussi porteur de nouveaux risques. L’un d’entre eux a trait à cette question à la fois grave et méconnue qu’est la confusion entre l’information et la communication.

Sous couvert d’information, on nous abreuve souvent de campagnes de communication à propos de toutes sortes de sujets : une campagne électorale, une compétition sportive, une opération marketing, la sortie d’un blockbuster, la vie privée d’une star, un scandale… Et par le biais des médias, surtout la télévision, voici fixée l’attention de millions de personnes sur une question importante, oiseuse, voire dangereuse –  souvenez-vous de la puissance radiophonique d’Hitler !

Cette confusion actuelle entre information et communication est d’autant plus perverse qu’on croit être informé alors qu’on n’est qu’abreuvé de messages intéressés. Quoiqu’on dise, l’accès de chacun à l’information véritable devient de plus en plus difficile, derrière les rumeurs, les manipulations et les fake news de toute origine et de toute nature. Les médias sont à la fois le plus formidable instrument de culture et le plus formidable instrument de déculturation.

Sans information pertinente, pas de pensée personnelle. Chaque personne devrait pouvoir écarter les lourdes et vaines couches de la communication et se doter de son propre dispositif de recueil et de tri de l’information afin d’irriguer son autonomie et sa liberté.

Et on pourrait, à la limite, se demander si les métiers de communicant et de journaliste ne devraient pas être séparés. Cela permettrait aux journalistes de repenser leur rôle dans la société pour lui conférer plus pleinement la profondeur et le sens dont il doit être porteur.

Armand Braun

La solitude, suite

Notre éditorial du mois dernier, Le Ministère de la Solitude, a suscité un grand écho parmi nos lecteurs, confirmant la réalité et l’importance du problème, chez nous en France et dans le monde entier.

Quelques jours plus tard, le journaliste américain David Brooks revenait sur la question. D’après des études conduites aux Etats-Unis, 20% des Américains se sentaient souvent solitaires dans les années 1980. Ils sont maintenant 40%. Le taux des suicides, des dépressions ne cesse d’augmenter. Les premières victimes en sont les enfants nés hors mariage de mères de moins de 30 ans. Enfin, depuis une trentaine d’années, la qualité des relations interpersonnelles dans les entreprises décline. Un médecin connu indiquait en septembre dernier, dans la Harvard Business Review : « la pathologie la plus courant que j’ai rencontrée dans ma carrière n’était ni les maladies cardiaques ou le diabète, mais la solitude. » Et il précisait : « l’impact de la faiblesse des relations sociales sur la santé est l’équivalent de la consommation de 15 cigarettes par jour et a un effet pire que celui de l’obésité. En 2012, 5,9% des jeunes Américains étaient atteints de graves maladies mentales ; le chiffre est monté à 8,2% en 2015. La solitude et l’isolation sociale expliquent beaucoup de nos autres problèmes.

Nous faisons comme si elles n’existaient pas, car elles ont pour caractéristique essentielle d’être invisibles. »

L’anthropologue britannique Robin Dunbar observe que les sociétés humaines fonctionnent à trois niveaux : le clan (la famille et les proches), le village (la communauté locale) et la tribu (le groupe élargi). Dans l’Amérique d’aujourd’hui, les clans se sont contractés, les villages ont été décimés, et les tribus sont menacées.

Tout indique que ces phénomènes vont se poursuivre et s’aggraver. Les enfants de familles riches ont des « parents hélicoptères », qui viennent les voir quand ils le peuvent. Les classes moyennes se désagrègent. Par défaut de liens, les gens déplacent leurs attentes morales et émotionnelles vers des sectes politiques, ethniques ou autres, en guerre les unes avec les autres.

David Brooks – International New York Times – 18 avril 2018
Prospective.fr

Des pleins et des vides

Depuis 2007, lorsqu’elle a rejoint la Communauté européenne, la Roumanie a vu partir 3,5 millions d’habitants, dont les deux tiers avaient entre 18 et 39 ans. 70% de la population rurale, soit à peu près la moitié des 19 millions de Roumains, vit sous le seuil de pauvreté. Environ 350 000 « orphelins économiques », dont les parents travaillent ailleurs, subsistent dans les campagnes. Les enseignants, les infirmiers et les médecins sont partis en grand nombre ; peut-être en avez-vous rencontrés quelques-uns dans nos hôpitaux et nos campagnes…

La Roumanie n’est qu’un cas parmi d’autres : l’Europe centrale se vide de ses jeunes. Ainsi pourrait-on évoquer la situation largement comparable de la Hongrie et de la Pologne. Avec une autre conséquence, elle aussi observable à travers ces pays : la montée du nationalisme, très largement l’affaire des vieux.

Ne nous leurrons pas, cette évolution n’est pas limitée à ces pays. Elle est simplement une expression un peu plus avancée d’une situation que l’on rencontre en Grande-Bretagne (ce sont les régions inquiètes parce que les jeunes les quittent qui ont voté le Brexit), en Italie (le problème du Mezzogiorno s’accentue et, ce faisant, la mafia gagne), en Espagne et, il faut bien le dire, en France même (nous avons tous entendu parler de maires ruraux qui crient au-secours parce qu’ils n’ont plus de médecins, plus d’enseignants, plus de services publics).

Comme ce phénomène devrait se poursuivre, il y a lieu de s’interroger sur ce que sera demain la géographie humaine, économique et politique d’une vaste partie de l’Europe.

Stephen McGrath – Prospect – avril 2018
Prospective.fr

Nomades des villes

Se loger devient impossible dans les grandes villes. Travailler à distance devient de plus en plus facile. Les familles et la vie familiale se sont transformées. Des professionnels nomades aspirent à trouver un lieu d’accueil, où qu’ils aillent.

Ainsi, à Londres, dans le quartier de Chelsea. Les habitants d’un immeuble qui comporte 34 chambres vivent, mangent, se distraient ensemble. Ils restent quelques semaines, quelques mois ou indéfiniment. Âgés en moyenne de 30 à 35 ans, ils n’ont pas de responsabilités familiales, sont de toutes les nationalités et exercent les métiers les plus divers : musicien, avocat, créateur d’entreprise, etc. Certains s’en vont travailler tous les jours au-dehors, d’autres dans l’espace de coworking. Ce sont tout le contraire de marginaux ou d’utopistes : des personnes profondément insérées dans la vie économique et sociale. Chacun règle 600 £ de loyer par semaine et peut donner congé avec un préavis d’une semaine. La logistique, y compris l’alimentation, sont pris en charge par le logeur. Des réseaux de communautés de ce type sont en train de se mettre en place partout.

Ce modèle, qui ne concerne pas tout le monde – un milieu, un âge de la vie, mais parmi les plus actifs et les plus symboliques du monde moderne – est fondé sur deux ruptures : avec la notion de propriété, avec le fait que le lieu où vous travaillez détermine celui où vous habitez. Il reste certes partiel, mais il suggère que les modèles sociaux et affectifs façonnés par les sociétés occidentales depuis le XVIIIe siècle vont peut-être décliner.

Jonathan Beckman – 1843, supplément de The Economist – avril-mai 2018

Les plantes sont intelligentes

Nous avons l’habitude d’associer le concept d’êtres vivants à celui d’animaux, mais ceux-ci représentent moins de 1% de la biomasse terrestre.

Les plantes ont les mêmes comportements que les animaux, mais elles font les choses différemment. Elles sont capables de mémoriser divers stimuli et de faire la différence entre eux. Ce sont des êtres sociaux, qui échangent des informations sur la qualité de l’air, du sol, la présence de pathogènes, les agressions par des insectes…

En étudiant des populations de sauge sauvage, on s’est rendu compte que la communication est plus efficace au sein d’un même groupe de plantes qu’entre différents groupes. Cela signifie qu’il y a en quelque sorte des dialectes chimiques, des petites variations dans les composés organiques volatils qu’elles émettent.

Les plantes sont capables de manipuler les animaux avec les substances chimiques qu’elles produisent. Quand une plante appelle à l’aide des fourmis pour qu’elles viennent la défendre contre un autre insecte qui va la manger, elle offre à leurs défenseurs du nectar sucré, mais aussi des drogues qui les rendent dépendants et les obligent à rester sur place.

Nous autres animaux pensons résoudre nos problèmes, mais c’est généralement en les fuyant : il fait froid, nous allons dans un endroit plus chaud ; nous nous sauvons devant un prédateur ; allons là où il y a le plus de nourriture, etc.

Confrontées aux mêmes problèmes, les plantes savent les résoudre sans bouger.

Stefano Mancuso -  propos recueillis par Pierre Barthélémy – Le Monde – 18 avril 2018

Vos gueules les mouettes !

Le Canadien Nick Burchill a reçu le titre de « pire client d’hôtel de tous les temps ».

Il y a 17 ans, au mois d’avril, il venait depuis la Nouvelle Ecosse assister à une conférence à Victoria, en Colombie britannique et avait apporté pour ses amis de la région une pleine valise de pepperonis, une spécialité de sa région dont étaient friands ces derniers.

Sa chambre au 4ème étage d’un très bel hôtel, le Fairmont Empress, n’avait pas de réfrigérateur. Mais il soufflait une brise rafraichissante et il eut alors l’idée de mettre les salamis au frais sur une table devant la fenêtre et sur le rebord de la fenêtre. Et il partit se promener.

A son retour, un spectacle d’horreur l’attendait : une quarantaine de mouettes étaient entrées dans la chambre et se régalaient. Des bouts de salamis, des plumes, des fientes et de la bave de mouettes (que les épices avaient rendues malades) volaient partout. Une tornade nauséabonde !

A sa place n’importe qui aurait appelé au secours. Lui pensa pouvoir se débrouiller seul. Il entra dans la chambre, ouvrit la fenêtre pour faire partir les oiseaux. Lorsque l’un d’eux essaya de revenir, il lui jeta une chaussure, puis une serviette par-dessus. Oiseau, godasse et serviette tombèrent tout droit sur des clients de l’hôtel qui prenaient tranquillement le thé sous la fenêtre.

Là-dessus, Nick Burchill, qui avait un rendez-vous professionnel récupéra sa chaussure, la nettoya à l’eau dans la salle de bain et, pour la sécher, y coinça un séchoir à cheveux. Le téléphone sonna. Pendant qu’il répondait, le séchoir vibra hors de la chaussure, tomba dans le lavabo plein d’eau et provoqua un court-circuit.

Une lettre du Fairmont Empress lui parvint peu après, stipulant qu’il lui était à vie interdit de remettre les pieds dans l’hôtel.

Dix sept ans plus tard, Nick Burchill eut enfin l’idée de présenter ses excuses (assorties d’une livre de peppéronis pour le personnel). Elles ont été acceptées et il a la permission de revenir avec sa famille au Fairmont Empress « à condition de laisser les salamis en Nouvelle Ecosse et la fenêtre de sa chambre rigoureusement close. »

Yonette Joseph – International New York Times – 16 avril 2018

Compter les animaux comme des étoiles

Tout a commencé par la conversation de deux voisins, professeurs à l’université John Moores de Liverpool, par-dessus la haie de leurs jardins mitoyens.  D’un côté, Serge Wich, un écologiste se plaignait de la difficulté du recensement des animaux. De l’autre, Steven Longmore, un astronome disait qu’il pouvait apercevoir des objets à des milliards d’années-lumière. Il en est résulté une association inhabituelle qui a permis d’adapter à l’observation des animaux et à leur protection contre les braconniers des instruments destinés à étudier les galaxies lointaines. Le système de drones équipés de caméras qu’ils ont mis au point est capable d’observer, nuit et jour, la faune depuis le ciel.

C’est en Afrique du Sud qu’ils ont testé leur invention. Ils ont ainsi identifié, sur une aire étroite, cinq lièvres des bochimans, l’une des espèces les plus menacées du monde. Ils cherchent maintenant des orangs-outans, des singes-atèles et des dauphins d’eau douce.

Joanna Klein – International New York Times – 14 avril 2018

L’effet Twitter

Si Twitter n’est pas un tribunal, il a néanmoins tendance à en prendre l’apparence. Découpant la population en autant de pôle de souffrances légitimes, le hashtivisme conduit à une forme de balkanisation du corps social, une sorte de guerre de tous contre tous. « Beaucoup de ces mobilisations reposent sur une intimidation collective consistant à faire taire l’adversaire par la pression du nombre. Ce sont des méthodes qui étaient celles de l’extrême-droite et qui sont aujourd’hui utilisées par ceux qui se veulent progressistes. Parce qu’elles placent les individus sous la menace d’une disqualification unilatérale, ces campagnes conduisent à ce que l’on appelle le social cooling, une sorte de refroidissement relationnel où, pour ne pas être l’objet de la réprobation de la masse, on finit par ne plus dire ce que l’on pense », commente Romain Badouard, chercheur à l’université de Cergy-Pontoise, auteur de Le désenchantement sur l’Internet, Désinformation, rumeur et propagande.

Palpable chez nous, l’effet de ce social cooling se fait sentir plus encore en Corée du Sud : dans les entreprises du pays, de nombreux hommes, craignant d’être accusés de harcèlement, réduisent au maximum les contacts avec leurs collègues de sexe féminin. Ecartées des voyages d’affaires, des virées au bar et des soirées karaoké, les salariées coréennes vivent une inquiétante double peine où à la dénonciation du harcèlement fait écho le spectre de la fantomisation sociale.

Nicolas Santolaria – Le Monde – 8 avril 2018

Prévoir

Il y a plus de 3000 ans, la reine des Hittites, un peuple qui vivait à l’époque là où se situe de nos jours la Turquie, a envoyé à son ennemi, le pharaon Ramsès II, une tablette d’argile portant ce message qui, de nos jours, serait appelé un SOS : « Je n’ai plus de quoi donner nourrir ma population ». Elle était confrontée à une période de sécheresse qui s’est étendue de - 1250 jusqu’à - 1100 avant JC. Seuls dans la région, les Egyptiens l’avaient anticipée en mettant de côté, depuis des années, une partie des récoltes. Soucieux d’éviter une nouvelle invasion hittite, Ramsès II envoya les secours demandés.

Les initiatives que l’Egypte a prises à l’époque sont remarquables : augmenter la production de céréales là où cela était encore possible, croiser les bovins avec des zébus afin de créer une race plus apte à tirer la charrue… Au fil du temps, cela n’a pas suffi, mais ce précédent lointain s’applique pleinement de nos jours.

C’est une éventualité dont nous ne saurons que trop tard si elle va se réaliser ou non : subir la situation que le Moyen Orient a vécu au temps de Ramsès II, mais cette fois à l’échelle de la planète !

Livia Albeck-Ripka -  International New York Times -  6 avril 2018

Ecrans, le péril confirmé

« Devant un écran, l’enfant est passif. Il est médusé, littéralement, et il n’apprend rien. Or, les enfants ont déjà, avant de parler, un tour de parole, un " tour de babil ", si vous me permettez ce jeu de mots lacanien, qui fait que l’enfant se synchronise avec l’adulte même dans l’échange préverbal. A 3 ans, il sait " parler avec ". Un enfant devant un écran est privé de ce type d’échanges. Cela ne pose pas seulement problème pour l’acquisition du langage, mais aussi dans le développement des capacités relationnelles. Aujourd’hui, on peut mesurer le développement de l’empathie en observant le cerveau des enfants. Or, devant un écran, il ne se passe plus rien. »

Boris Cyrulnik – propos recueillis par Mattea Battaglia et Violaine Morin – Le Monde – 28 mars 2018

Avant que la Terre ne meure de soif

Selon le dernier Rapport mondial des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau, plus du quart de la population mondiale vit déjà dans des zones soumises à des pénuries d’eau. Si rien n’est fait, ce sera plus de la moitié en 2050, soit 5 milliards de personnes pendant au moins un mois par an.

Il existe diverses solutions applicables à l’agriculture.

A Madagascar, un système de riziculture intensive a été introduit en 1984. Il a permis de multiplier par six la production de riz avec deux fois moins d’eau et dix fois moins de semences.

La Jordanie, qui se place dans le trio de tête des pays les plus arides, a renoué avec des pratiques ancestrales de gestion des terres qui, pendant des millénaires, ont favorisé la conservation des ressources et la biodiversité. Le retour à ces techniques permet aux populations de vivre décemment et de se maintenir sur leur territoire. Mieux, elles pourraient peut-être permettre à la production agricole d’augmenter de près de 20%.
New-York dispose de la plus importante source d’eau non filtrée des Etats-Unis car la ville a, depuis la fin des années 1990, protégé les trois bassins hydrologiques qui l’approvisionnent. Ce dispositif lui fait économiser chaque année plus de 300 millions de dollars en frais de traitement de l’eau.

En Chine, un consortium sino-australien s’apprête à lancer en 2020 un programme consistant à rendre les sols plus perméables et à réhabiliter les zones humides de 16 cités pilote, qui deviendraient ainsi des « villes-éponges ».

Certes, il existe un seuil au-delà duquel les impacts négatifs affectant un écosystème deviennent irréversibles. Pour autant, ces solutions naturelles méritent plus que la part marginale qu’elles occupent dans les investissements environnementaux.

Joël Cossardeaux – Les Echos – 19 mars 2018

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