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prospective>>> Terrorisme intellectuel à l’université
>>> Braver les crocodiles pour voter !
>>> L’ère du blabla
>>> Agriculture : les biocontrôleurs ne sont pas une panacée
>>> Eloge de l’insomnie
>>> Les deux faces de la reconnaissance des visages
>>> Les jeunes et la mondialisation
>>> Des chaussées pavées de bonnes intentions
>>> Le changement climatique et la fin de l’Age de Bronze
>>> Pandémie galopante de surpoids

Terrorisme intellectuel à l’université

Relisez Villon, rappelez-vous mai 68 : la contestation étudiante est une donnée de toutes les époques. Mais que se passe-t-il ce printemps dans les universités américaines ? On leur accorde le dernier mot dans une folie du politiquement correct et fait de certains étudiants de nouveaux gardes-rouges !

Le Collège de Wellesley a dû démonter une statue grandeur nature d’un homme en sous-vêtements sous prétexte que celle-ci pouvait raviver des souvenirs de harcèlement sexuel chez quelques étudiants.

Au collège Oberlin (Ohio) a circulé un temps un guide de bonne conduite adressé aux enseignants. Il leur est dit de se méfier de tout texte ou image risquant de traumatiser les étudiants, de tout ce qui pourrait suggérer, par exemple, l’infériorité des transgenres ou des utilisateurs de fauteuils roulants : « Soyez attentifs à toute évocation de race, de classe, de sexe, de genre, d’incompétence. Sachez que toute forme de violence est traumatique et que vos élèves ont pu vivre en dehors de l’université des expériences que vous ne pouvez imaginer ou comprendre. Ainsi, le roman de Chinua Achebe, Le monde s’effondre, dont l’action se situe dans le Nigéria de l’époque coloniale, a beau être un trésor de la littérature mondiale, il peut réveiller de mauvais souvenirs chez des lecteurs ayant subi le racisme, le colonialisme, la persécution religieuse, la violence, le suicide… »

Ailleurs, c’est Le marchand de Venise de Shakespeare (relents d’antisémitisme) ou Mrs Dalloway de Virginia Woolf qui sont mis en cause au prétexte que leur lecture peut causer chez certains « un choc post-traumatique »…

Oubliée la confiance dans le bon sens des professeurs, oubliée la valeur de la provocation intellectuelle. Les enseignants commencent à se poser sérieusement des questions : comment établir un programme de littérature ou d’histoire de l’art quand des étudiants qui se sentent visés par un passage des œuvres à étudier ou par une phrase prononcée en chaire peuvent aller porter plainte en justice ?

Devrait-on traiter les livres comme les paquets de cigarette et apposer sur chaque ouvrage une étiquette « attention danger » ? Mettre en garde contre Gatsby le magnifique à cause de ses passages violents et misogynes ? Contre Huckleberry Finn à cause de ses allusions racistes? Et barrer d’un X les aventures érotiques des dieux de l’Olympe ?

C’est le bûcher des humanités ! Ne vous étonnez pas si bientôt les Américains délaissent pour les MOOCS leurs universités hors de prix et où s’installent l’intolérance et l’ignorance.

Profondément agacé, le journaliste Bret Stephens s’adresse directement à la classe 2014 : « Vous n’êtes plus au jardin d’enfants. Le cocooning, c’est fini. Les idées importantes ont toujours été offensantes. Accommodez-vous, délectez-vous des agressions. Désapprenez ce que vous avez appris. Soyez libres ! La Genèse elle-même nous enseigne que le savoir s’acquiert au prix de l’innocence. »

Daniel Henninger – The Wall Street Journal – 15 mai 2014
Jennifer Medina – International New York Times – 19 mai 2014
Bret Stephens – The Wall Street Journal – 21 mai 2014
Prospective.fr

 

Braver les crocodiles pour voter !

Avec 814 millions et demi d’électeurs, l’Inde est la démocratie la plus peuplée du monde. Chaque vote compte. Chaque hameau, même s’il ne compte qu’un seul électeur, doit pouvoir participer au scrutin.

Au moment des élections, six millions de « fantassins » de la démocratie, escortés par 11 millions de soldats ou de policiers, effectuent un prodigieux parcours d’obstacles. De l’Himalaya à la mer d’Arabie, à dos de chameau dans les déserts du Rajasthan, bravant les hordes d’éléphants sauvages dans l’Etat de Meghalaya, marchant des heures et des heures, ils transportent isoloirs et machines à voter de 5 kilos chacune (au moins deux, au cas où la première tomberait en panne) jusqu’aux confins du pays.

Peu de territoires posent autant de défis que l’archipel d’Andaman et Nicobar, 550 îles couvertes de forêts sauvages à 1200 kilomètres du continent indien.

Biswajit Roy, instituteur de 41 ans, a déjà été en mission en 1998, 1999, 2005 et 2009. Cette année est la plus difficile de toutes : il a la charge d’Hanspuri, 261 électeurs, un village loin de tout.

La veille du jour J, avec toute sa troupe et des équipements de camping, il embarque sous le soleil brûlant de midi à bord de deux canots de bois bricolés en hors-bords de fortune. Conscients des risques de tremblement de terre ou de tsunami, ils vont, une prière aux lèvres, essayer de ne pas chavirer dans la mangrove infestée de crocodiles puis la mer, marcher des heures à la queue-leu-leu sur les pistes de la jungle, se balancer sur d’étroits ponts de fortune… En arrivant le soir aux chaumières au milieu des palmiers, épuisés ils s’écroulent. Un peu plus tard, ils installent les isoloirs pour le lendemain, 7 h du matin. A 6 heures du soir, le vote est clos.

La marée étant trop basse le soir, les officiels campent une nuit de plus en montant la garde autour des deux urnes. Le lendemain, le chemin de retour est encore plus difficile : le moteur de l’un des canots heurte quelque chose et tombe en panne. Tout l’équipage prend place à bord de l’autre, surchargé, qui s’enfonce dangereusement dans l’eau mais arrive à bon port.

Enfin, mission accomplie. Et cela en valait la peine : la participation à Hanspuri a été de 80%.

Biman Mukherji et Shefali Anand – The Wall Street Journal – 25 avril 2014

L’ère du blabla

Il y a quelques années, le philosophe américain Harry Gordon Frankfurt, a publié On Bullshit (traduit en français sous le titre : L’Art de dire des conneries). Il y fustigeait la propension de bon nombre d’intellectuels à s’extasier devant les discours parfaitement creux de certains de leurs collègues, supposés éminents.

Mon propos est plus simple. Il ne concerne pas les foutaises haut de gamme pour élites intellectuelles. Ce qui importe, c’est l’attention massive, planétaire, quotidienne, désormais accordée à ce qui n’a pas d’autre appellation possible que …. « n’importe quoi ». A moins de dénommer ce nouveau sport international  bullshit telling, car il s’agit aussi de mettre en récit le vide, de feuilletonner le rien. Les grands vecteurs de ce néant globalisé sont le Web, les réseaux sociaux et les chaîne d’information continue. Leur utilité n’est certes pas en cause. Mais leurs effets pervers ne sont pas niables.

Une maxime guide cette pratique de la mise en récit continuelle de la non-information : « Je n’ai rien à dire, mais c’est ça la nouveauté ». L’envoyé(e) spécial(e) sur le tarmac explique que l’avion va atterrir dans 30, 20, 10, 2 minutes. Dans la carlingue, selon arrivage, un président, une première dame, des otages libérés, un chef d’Etat étranger, un panda blessé. Devant l’Elysée ou Matignon, ou la Maison-Blanche ou le Kremlin, l’envoyé(e) spécial(e) annonce qu’aucune réaction officielle n’a pour l’instant été annoncée.

Des cohortes d’experts, professionnels des talk-shows et gloseurs multicartes, se sont constitués afin que jamais la moindre bribe d’insignifiance ne demeure sans débat. Peu importe qu’il s’agisse de vrais sujet ou de rien. L’impératif est d’opposer des points de vue, d’avoir des désaccords et des simili-contenus à mettre en scène avant qu’une autre mini-foutaise ne vienne chasser celle de l’instant.

Ailleurs, c’est moins construit. Les vidéos les plus vues sur le Web montrent des cochons qui font du skateboard, des bébés qui rotent en riant. Sur les réseaux sociaux, c’est : « regardez ma part de pizza, mon burger, mon nouveau sweat … »

Il existe quantité d’autres aspects positifs de la communication généralisée. Mais nous accoutumer en silence à la propension à faire mousser l’insignifiance n’est pas la meilleure idée.

Roger-Pol Droit – Les Echos – 9 mai
Et Coluche, il y a déjà longtemps …


Agriculture : les biocontrôleurs ne sont pas une panacée

Limiter, voire supprimer les pesticides est indispensable. Cependant, l’alternative ne peut pas être réduite aux seuls lâchés de plantes ou d’animaux capables de détruire les nuisibles. Dans la majorité des cas, nous ne disposons d’aucun recul pour juger de l’impact de l’introduction d’espèces exotiques sur les écosystèmes d’accueil et les modifications des interrelations entre espèces.

L’introduction d’un charançon européen aux Etats-Unis pour lutter contre des chardons introduits a aujourd’hui un impact sur les chardons indigènes. La coccinelle asiatique, qui a été relâchée en très grand nombre dans plusieurs régions françaises, réduit certainement les populations de pucerons, mais on constate des allergies pour l’homme et des dégâts sur les fruits et on n’a pratiquement aucune donnée quant à son action sur les autres espèces. Il a fallu toute la persuasion de quelques scientifiques pour éviter le lâcher de limaces de mer tropicales susceptibles de brouter l’algue caulerpe introduite en Méditerranée.

L’homme continue donc à jouer avec son environnement en introduisant, volontairement ou non, des espèces exotiques – insectes, mammifères, oiseaux – parfois problématiques et en introduisant ultérieurement d’autres espèces pour les combattre. Alors que ce processus de déplacement et d’introduction d’espèces est reconnu depuis de nombreuses années comme un facteur majeur de dégradation et d’homogénéisation des biodiversités, il n’est toujours pas question de principe de précaution, ni dans sa composante causale (on pourrait mieux contrôler les introductions) ni dans sa gestion a posteriori (on pourrait chercher à éliminer les cas dès qu’ils sont connus). De plus, l’accélérateur du réchauffement climatique facilite encore l’implantation durable des espèces exotiques.

A chaque occasion, on peut remarquer que, hormis quelques programmes de recherche, la surveillance des effets inattendus de ces introductions sur des organismes non cibles reste peu efficiente quand elle est mise en place. Cela semble résulter tant de la difficulté de cette surveillance générale (que surveiller, à quelle distance, à quelle échelle de temps, etc.) que du peu de moyens mis en œuvre pour ce faire.

La démarche actuelle reste celle du jardinier qui estime son environnement sous contrôle, avec des comportements et des outils volontairement simplistes : il est plus simple d’acheter une caisse de biocontrôleurs que de remettre en question des itinéraires techniques ou des organisations spatiales d’exploitation. Pourtant le rôle des bandes enherbées, des haies bocagères, la diversification spatiale des plantations et les bandes alternées de culture ont montré leur efficacité dans ces contrôles. Il faudrait d’emblée avoir une vision plus large et une préoccupation de durabilité.

Philippe Clergeau, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, département Ecologie et gestion de la biodiversité, et Yves Bertheau, directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique et membre du Haut Conseil des biotechnologies – Le Monde – 14 mai 2014


Eloge de l’insomnie

Combien d’insomniaques de par le monde, combien de petites pilules absorbées chaque soir !

Or, cette volonté de dormir huit heures d’affilée est une création de l’ère de l’électricité. Quand ils se couchaient avec les poules, les gens avaient un sommeil en plusieurs phases. Ils s’endormaient peu après la tombée de la nuit puis se réveillaient vers minuit ; là, pendant quelques heures, ils parlaient, priaient, lisaient (à la chandelle), faisaient l’amour, buvaient, voire cambriolaient… Comme l’écrit Roger Ekirch dans son ouvrage At Day’s Close, une remarquable histoire de la nuit dans l’Occident d’autrefois, « Il y a toutes les raisons de penser que le sommeil segmenté, comme celui de la plupart des animaux sauvages, a depuis très longtemps été la règle chez les humains. »

A notre époque où l’on essaie de faire le plus de choses possibles dans la journée, nous nous figurons le sommeil comme une activité biologique à gérer, un problème qui interfère avec des choses plus importantes. Quel dommage d’avoir perdu ce sentiment délicieux que procurent les profondeurs de la nuit !

D’autres cultures attachent beaucoup d’importance aux événements nocturnes. Les Toraja de l’île indonésienne de Sulwesi, par exemple, ne dorment jamais seuls ou à deux, dans des chambres calmes, comme nous autres Occidentaux. Les membres d’une même famille dorment tous ensemble à même la terre, dans une pièce unique de leur case, partagent les couvertures et se serrent les uns contre les autres pour se réchauffer. Ils ont le sommeil fragmenté des hommes d’autrefois. Parce qu’ils se réveillent souvent, ils se souviennent de leurs rêves et y prêtent attention. Les moments de rêve et d’éveil glissent les uns dans les autres. Dans ces espaces incertains aux confins du sommeil, ils vivent des expériences spirituelles qui nous sont devenues étrangères.

Si nous acceptions de ne pas dormir coûte que coûte mais de vivre ces états de semi-veille, nous pourrions nous aussi, en notant par exemple nos rêves avant qu’ils ne se dissipent, apprendre à nous réapproprier cette part de merveilleux que notre civilisation écarte comme irrationnelle et qui est en chacun de nous.

Combien de piment ? A vous seul de goûter et décider, pas à un algorithme.

T.M. Luhrmann, anthropologue – International New York Times – 15 mai 2014


Les deux faces de la reconnaissance des visages

Joseph J. Atick, un des pionniers de la reconnaissance faciale, a soudain des doutes.

Certes, cette technique a de nombreux avantages. Le code unique qui est le vôtre, votre visage, vous accompagnera partout. Plus besoin de cartes d’identité ou de mots de passe, qu’on peut perdre, oublier ou se faire voler. Les seuls et uniques traits de votre visage vous donneront accès immédiat à votre smartphone, votre appartement, votre garage, votre compte bancaire, votre club de sport…

Déjà cette technique identifie les photos de vos amis sur Facebook, par exemple. Elle est utilisée pour écarter les indésirables des casinos de Las Vegas. Au Japon, certains magasins s’en servent pour blacklister les clients kleptomanes et ceux qui se plaignent tout le temps. A Knickerbocker Village, un ensemble immobilier de 1600 appartements à New-York, adieu clefs, badges et codes : les portes s’ouvrent automatiquement à qui de droit, grâce à une technique biométrique alliant reconnaissance du visage et du mouvement ; une vitrine pour la société israélienne FST Biometrics qui a inventé ce système.

La technique pourrait surtout permettre de vérifier l’authenticité des identités et en particulier se révéler une protection efficace contre les terroristes aux frontières et dans les aéroports.

Cependant, à la différence des empreintes digitales et de l’ADN, la reconnaissance des visages n’a pas besoin du consentement de celui qui peut désormais être repéré dans la foule. Que se passerait-il si elle était détournée par des autorités malveillantes pour désigner les ennemis du pouvoir ?

Natasha Singer – International New York Times – 19 mai 2014


Les jeunes et la mondialisation

2014 est la dernière année du monde où il y aura un record absolu de naissances. Aucune année dans le passé il n’y a eu tant de naissances. Aucune année dans l’avenir, à vue humaine, il n’y en aura autant ! C’est le moment de faire le point sur la jeunesse, ses sentiments et ses projets.

Dans moins de dix ans, le monde sera gouverné par des gens qui n’auront pas connu autre chose que la mondialisation. La plupart des jeunes de 16 à 29 ans, la perçoivent comme une opportunité. Quatre pays font exception : la Turquie, la Grèce, le Maroc et la France. La jeunesse japonaise est la plus dépressive mais elle a un rapport positif à la globalisation.

Chez les Français s’opposent le bonheur privé et le malheur public : « moi, ça va ; mon pays, non ». Comme tous les jeunes du monde – l’exception des Suédois et des Indiens – ils éprouvent une défiance radicale vis-à-vis du fait institutionnel (mais pas vis-à-vis de l’Europe) et se construisent un monde à eux autour de leur famille, de leurs amis, de leur travail.

La France est fâchée avec la globalisation et n’aime pas son présent. On ne peut pas demander à sa jeunesse de choisir entre aimer son époque et aimer son pays.

Dominique Reynié, directeur-général de Fondapol – Intervention à l’Académie des sciences morales et politiques lors de la remise du prix 2013 Olivier Lecerf à Jean-Jacques Salaün, directeur général d’Inditex France – le 20 mai 2014


Des chaussées pavées de bonnes intentions

La Norvège a du pétrole, de l’électricité et … de fausses bonnes idées.

Pour limiter les émissions de CO², on y a encouragé l’usage de la voiture électrique. Et avec succès, grâce à toutes sortes de mesures pour promouvoir celle-ci : incitations fiscales, bornes de recharge, péages gratuits … 27 500 automobile voitures électriques parcourent désormais les routes de ce pays de 5 millions d’habitants. Le maire d’Oslo, Fabian Stang, qui parcourt lui-même les rues de sa ville sur un vélo électrique, se vante d’être à la tête de la « capitale du véhicule électrique ».

Pour le plus grand bien de l’environnement … mais la prise de tête des conducteurs de bus. Car, parmi toutes les facilités accordées aux heureux propriétaires de ces Tesla Model S, Nissan Leaf et autres Peugeot iOn, il y a la permission d’emprunter à toute heure les couloirs de bus.

Ces derniers, bloqués derrière les voitures, ne parviennent plus à respecter leurs horaires. Les passagers interpellent les conducteurs de bus : « Mais qu’est-ce que vous attendez ? Vous êtes en train de me mettre en retard pour la sortie de l’école », « Vous allez me faire rater mon train ! » Et ces derniers, habituellement réputés pour leur calme, commencent à exploser.

Ellen Emmerentze Jervell et John D. Stoll – The Wall Street Journal – 22 mai 2014


Le changement climatique et la fin de l’Age de Bronze

Le changement climatique est loin d’être une nouveauté. Il y a longtemps déjà, les disettes ont été la cause première de l’effondrement de grandes civilisations.

Ainsi, autour de 1200 avant JC, une interminable sécheresse en mer Egée et en Méditerranée orientale a contribué à des famines touchant de larges populations, à des désordres et, en fin de compte, à la destruction de villes autrefois prospères. On a pu déterminer le temps qu’a duré cette sécheresse et son importance grâce à l’analyse des pollens fossiles et des traces d’oxygène et de carbone dans les dépôts alluviaux. A la même époque, la mer Méditerranée s’est sérieusement refroidie en surface : les précipitations se sont raréfiées, d’où une crise agricole, aggravée encore par des tremblements de terre. Pendant au moins 300 ans, la sécheresse a touché les territoires que sont aujourd’hui la Grèce, Israël, le Liban et la Syrie.

Ces observations scientifiques sont corroborées par les textes de l’époque, inscrits sur des tablettes d’argile. Le roi Hittite (aujourd’hui la Turquie) implore ses voisins de lui expédier des cargaisons de céréales : «Faites vite, nous allons mourir de faim ! ». Le royaume d’Egypte et les villes de la côte syrienne ont envoyé des provisions, mais cela n’a sans doute pas suffi.

Des correspondances entre les Egyptiens, les Hittites, les Cananéens, les Cypriotes, les Minoens, les Mycéniens, les Assyriens et les Babyloniens sont des mises en garde contre les attaques de navires ennemis sur la Méditerranée. Car les populations de l’ouest, elles-mêmes poussées par la famine, traversaient la mer et devenaient à la fois des réfugiés et des conquérants.

L’Age de Bronze fut suivi d’une période sombre, pendant laquelle la brillante civilisation de la fin du second millénaire avant JC cessa brusquement d’exister. Il fallut des siècles pour reconstruire.

Nous vivons dans un monde qui a bien plus de points communs avec la fin de l’Age de Bronze qu’on ne pourrait le croire, avec, comme l’écrit l’archéologue britannique Susan Sheratte, « une économie et une culture à la fois de plus en plus globale et de plus en plus incontrôlable, où les crises politiques à un endroit de la planète peuvent se répercuter très loin ailleurs. »

Il y a tout de même une grosse différence : c’est surtout la nature qui a causé la chute des civilisations de l’Age de Bronze ; c’est peut-être nous-mêmes qui provoquerons notre propre chute.


Eric H.Cline – International New York Times – 29 mai 2014


 

Pandémie galopante de surpoids

Une équipe internationale de plus de 150 chercheurs coordonnée par l’Institut de métrologie sanitaire et d’évaluation (IHME), un centre de recherche de l’Université de Washington, avec un financement de la Fondation Bill et Melina Gates, a publié dans la revue médicale The Lancet du 29 mai une étude basée sur l’ensemble des données concernant le poids des gens dans 188 pays du monde. Le tableau est terrifiant : près d’un humain sur trois souffre d’obésité ou de surpoids. Au cours des trois dernières décennies, ce fléau sanitaire s’est considérablement aggravé, dans les pays pauvres comme dans les pays riches, progressant au total de 28% chez les adultes et de 47% chez les enfants et les adolescents.

Comme le résume le coordinateur de cette étude, le Pr Emmanuela Gakidou, « la progression du surpoids et de l’obésité a été importante, générale et rapide ». De fait, la population mondiale affligée d’une surcharge pondérale est passée de 857 millions d’individus en 1980 à 2,1 milliards en 2013.

Désormais, près de 30% de l’humanité est en surpoids. C’est une véritable maladie qui provoque diabète, troubles cardiovasculaires, hypertension et arthrose et cause 3,4 millions de morts par an dans le monde. Elle reste majoritairement une plaie des nations développées, où vivent près de 2 personnes obèses sur 3. Parmi les Etats où l’obésité a le plus gagné de terrain figurent les Etats-Unis, l’Australie, le Royaume-Uni. Mais les pays émergents sont de plus en plus concernés. Dans de « top 10 » des nations qui, à elles seules, totalisent plus de la moitié des individus obèses, on trouve à présent, aux côtés des Etats-Unis et de l’Allemagne, des géants démographiques : Chine, Inde, Russie, Brésil, Mexique, Egypte, Pakistan et Indonésie.

Sur la période 1980-2003, la progression a été la plus forte dans les pays du Moyen-Orient, particulièrement au Bahreïn, en Egypte, en Arabie saoudite, dans le sultanat d’Oman et au Koweït. C’est dans cette aire géographique, ainsi qu’en Afrique du Nord, en Amérique centrale, dans les Caraïbes et dans les Etats insulaires du Pacifique, que sont atteints les taux les plus élevés de corpulence pathologique. Le record revient aux îles polynésiennes des Samoa, où 69% des femmes sont obèses.

A l’échelle de la planète, les jeunes ne sont pas épargnés et c’est l’un des enseignements les plus alarmants de l’étude. Dans les nations développées, près d’1 jeune sur 4, garçon ou fille, est obèse ou en surpoids. Dans celles en développement, c’est le cas d’1 sur 8.

Conclusion : « A la différence d’autres risques sanitaires majeurs, comme le tabac ou la malnutrition infantile, l’obésité ne recule pas dans le monde. L’objectif des Nations unies de stopper la progression de l’obésité d’ici à 2025 est très ambitieux et a peu de chances d’être atteint. Seul remède : une action urgente et coordonnée pour aider les pays, notamment à faibles ressources, à intervenir plus efficacement contre les déterminants majeurs que sont l’apport excessif de calories, l’inactivité physique et la promotion des produits alimentaires par l’industrie. »

Pierre Le Hir – Le Monde – 30 mai 2014

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