PROMOUVOIR LA DÉMARCHE PROSPECTIVE

prospective>>> L’université la plus ancienne va renaître
>>> Le plein emploi … en Allemagne
>>> Les faucons de l’Amour et l’amour des faucons
>>> Juste ciel: il y en a du monde là-haut !
>>> Le boom de l’enseignement supérieur en Asie
>>> L’étrange odyssée des créatures marines venues de l’autre bout du monde
>>> La politique de l’enfant unique en Chine, suite
>>> La « bidonvilisation » du monde
>>> L’éducation à l’autonomie
>>> Les téléphones intelligents rendent ils idiots ?

L’université la plus ancienne va renaître

Détruite en 1193 par les troupes de l’envahisseur turc Kakhtiar Khilji lors de sa guerre contre le bouddhisme, l’université de Nalanda, située dans le Bihar, l’Etat actuellement le plus pauvre de l’Inde, est en train de renaître.

Elle a connu la gloire entre le Ve et le XIIe siècle. Elle accueillait alors 10.000 étudiants et 2.000 enseignants et on y enseignait plus de 100 disciplines, notamment la philosophie, la théologie, les arts et les sciences. Sa réputation était telle qu’elle attirait des étudiants de Chine, du Japon, de Corée, du Tibet, de Mongolie, du Sri Lanka et de Turquie. C’était la plus ancienne du monde. Quand elle a disparu, l’université d’Oxford et celle de Bologne en étaient à leurs balbutiements et celles de Cambridge et de Paris n’existaient pas encore.

Le retour qu’elle effectue est encore modeste. Seules les facultés d’histoire, d’écologie et d’études environnementales fonctionnent. Ses 16 étudiants se réunissent dans un centre de conférences extérieur. On prévoit des cursus de linguistique et littérature, économie et gestion, relations internationales, informatique et nouvelles technologies, études bouddhiques, philosophie et religions comparées. Les travaux de construction devraient commencer cette année et s’achever en 2017.

C’est A.P.J. Abdul Kalam, président de l’Inde de 2002 à 2007, qui a lancé l’idée en mars 2006. Nitish Kuma, ministre en chef du Bihar a affecté 184 hectares au nouveau campus, à 12km des ruines de l’université originelle. Il a trouvé un collaborateur enthousiaste en la personne du Prix Nobel d’économie, Amartya Sen, nommé président de la future université. Celui-ci avait visité les ruines de l’ancienne université quand il était enfant et avait été « stupéfié par la vision qu’elle offrait à l’humanité ».

Les architectes ont étudié ces ruines en détail. L’épaisseur des murs, qui permettait de conserver la fraîcheur à l’intérieur, les grands espaces ouverts, qui favorisaient l’interactivité, les briques et les plans d’eau se retrouveront probablement dans le nouveau campus. Cet établissement accueillera 2.000 étudiants et devrait un jour devenir autosuffisant, en cultivant ses propres fruits et légumes.

Shamik Bag – Livemint (New Delhi) – 13 septembre 2014
Repris par Courrier International – 13 novembre 2014

 

Le plein-emploi … en Allemagne

Il y a dix ans, il y avait 5 millions de chômeurs en Allemagne, la Sécurité sociale s’effondrait et le nombre des salariés diminuait sans cesse. Puis sont entrées en vigueur les réformes Hartz, qui ont accru la flexibilité du marché du travail. Il n’y a jamais eu tant de salariés (42,6 millions), le sud du pays connaît le plein-emploi et les chômeurs sont de moins en moins nombreux. Les emplois fictifs assurés par les administrations pour occuper les chômeurs ont été abolis. Les épreuves liées aux nombreuses restructurations sont oubliées.

Pour que cette situation favorable se poursuive, il faut maintenir ouvertes les vannes de l’immigration. En effet, si la flexibilisation des conditions de travail a redonné sa chance à l’emploi, c’est l’arrivée continue de travailleurs venus d’ailleurs qui permettra de la maintenir. Les réserves de main d’œuvre allemande sont en voie d’épuisement, y compris les femmes au foyer et les retraités. Il y a lieu d’espérer que les réticences témoignées vis-à-vis de l’immigration par une partie de la population ne vont pas se développer. Ce qui se passe démontre bien qu’il n’y a pas de problème intrinsèque de l’emploi. L’Allemagne a eu le courage et la clairvoyance de se débarrasser des pesanteurs de l’administration et du politiquement correct. Saura-t-elle maintenir ce cap ? La difficile condition du monde pose des problèmes à ses entreprises. Elle se sent en revanche mieux placée que d’autres pays pour réussir la révolution digitale en cours et à venir.

Sven Astheimer – Frankfurter Allgemeine Zeitung – 6 janvier 2015

Les Faucons de l’amour et l’amour des faucons

C’est la belle histoire de chasseurs reconvertis en défenseurs de leur propre gibier.

Les Faucons de l’Amour sont d’assez petits oiseaux de proie essentiellement insectivores. Ils se reproduisent en Sibérie, en Chine orientale et en Mongolie au printemps puis, de la mi-octobre à la mi-novembre, profitant de forts vents d’ouest et se nourrissant de libellules qui migrent dans l’autre sens, ils s’en vont prendre leurs quartiers d’hiver en Afrique du Sud. En route, ils font étape en Inde, dans Etat du Nagaland où ils forment d’impressionnants dortoirs à la canopée des arbres.

La tribu Naga pratiquait traditionnellement l’agriculture et la chasse. Un barrage hydro-électrique construit en 1999 sur le fleuve Doyang a inondé une grande partie de leurs terres agricoles. Les Nagas on alors fait des brûlis pour récupérer des terres sur la jungle, mais les éléphants sauvages venaient les piétiner. Ils ont appris à pêcher dans le réservoir, mais ne pouvaient le faire qu’en surface : plus profondément, les filets s’accrochaient et se déchiraient sur les arbres immergés.

Dans le même temps – pour une raison mal définie, peut-être la multiplication des termites dont ils raffolent – la population des faucons migrateurs faisant étape sur le site a explosé : rien que dans le village de Pangti, près du barrage, ils sont plus d’un million d’individus ; c’est le rassemblement d’oiseaux de proie le plus important du monde. Les Nagas, convertis au christianisme au temps de l’Empire britannique, ont vu là le doigt de Dieu et se sont tournés vers la chasse intensive au faucon (ils les mangent eux-mêmes ou les vendent). Les chasseurs en tuaient chaque année 100.000 à 400.000 et chacun gagnait ainsi 500 $, soit la moitié du revenu moyen annuel dans le pays.

Proche du Myanmar, le Nagaland, a été longtemps un territoire interdit. Mais en octobre 2012, quelques ornithologistes amateurs se sont rendus à Pangti. Là, ils ont été choqués par le spectacle de milliers de cadavres d’oiseaux. Ils ont pris des photos et les ont postées sur le net. Grand embarras pour l’Inde qui venait juste de participer à une conférence internationale sur la protection des espèces migratoires !

Branle-bas de combat chez les écologistes qui sont venus former les villageois. Ceux-ci ont été passionnés par leurs récits de la vie des Faucons de l’Amour et impressionnés d’apprendre quel incroyable voyage aller-retour ils effectuaient chaque année. Maîtres dans l’art de tendre des filets au-dessus de la canopée des arbres, ils ont aidé les ornithologistes des ONG concernées à capturer, baguer et relâcher les faucons pour mieux les étudier. Désormais les habitants de Pangti ne chassent plus les Faucons de l’Amour mais enseignent à leurs enfants à les respecter et à les aimer.

Une belle histoire, mais pas un conte de fée : les Nagas ont perdu un revenu appréciable ; ils essaient de se reconvertir à l’éco-tourisme, mais ce n’est pas gagné car leur pays est difficile d’accès … et puis on continue à chasser le Faucon de l’Amour un peu plus loin…

Gardiner Harris – International New York Times – 6 janvier 2015
http://www.cms.int/raptors/sites/default/files/amur_falcons_nagaland_11_2013.pdf


Juste ciel: il y en a du monde là-haut !

Le vaisseau spatial Kepler, lancé il y a cinq ans par la NASA, a découvert 4 .175 planètes potentielles, dont 1.004 bien avérées. La plupart d’entre elles, cependant, se situent à des centaines d’années-lumière, trop loin pour qu’on puisse les étudier en détail. Mais il y en des centaines qui ressemblent à notre Terre : elles sont un peu plus grandes que la Terre, mais elles sont aussi faites de rochers et, avec la bonne dose de lumière et d’eau, elles pourraient se révéler des petits jardins d’Eden.

Un groupe d’astronomes conduits par Guillermo Torres du Centre d’Astrophysique de Harvard-Smithsonian a trouvé 8 nouvelles planètes tournant autour de leur étoile à des distances compatibles avec la présence d’eau à l’état liquide. D’autres astrophysiciens ont réussi à peser précisément certaines petites planètes rocheuses, dont la densité et la composition seraient exactement semblables à celles de la Terre. Ceci porte à plusieurs douzaines le nombre de planètes où pourraient exister de la vie.

D’autres projets spatiaux prévoient des explorations plus fines de telles exoplanètes. Il y a notamment des méthodes pour occulter la lumière d’une étoile afin de mieux percevoir toutes les planètes qui orbitent autour d’elle, y compris celles qui sont encore les moins visibles.

Les planètes susceptibles d’abriter des formes de vie semblables à celles que nous connaissons sont surnommées planètes « Boucle d’Or », parce que – comme dans le conte pour enfants, où la petite fille choisissait la chaise ni trop haute ni trop basse, le plat ni trop chaud, ni trop froid, etc. – elles se situent à la juste distance de leur étoile, ni trop près, ni trop loin.

Dennis Overbye – International New York Times – 7 janvier 2015


Le boom de l’enseignement supérieur en Asie

Au cours des cinq dernières années, les universités d’Asie du Sud-Est ont commencé à figurer dans les premiers rangs des classements des universités mondiales. Certains départements de recherches de Singapour et de Malaisie ont été salués pour leurs travaux, ce qui leur a valu d’attirer de plus en plus d’étudiants du monde entier. Sur les dix universités asiatiques les mieux classées, l’Asie du Sud-Est réussit une belle performance : quatre se trouvent en Malaisie et deux à Singapour. La Malaisie a été citée par Gwang-Jo Kim, directeur du Bureau régional de l’Unesco pour l’éducation en Asie et dans le Pacifique, comme étant l’un des moteurs clés des trois principales évolutions attendues pour l’enseignement supérieur : la massification, la diversification et l’internationalisation.

Comme la possession d’un diplôme d’études supérieures est en passe de devenir une condition préalable à l’embauche, de plus en plus de jeunes Asiatique décident de poursuivre leurs études au-delà de l’enseignement secondaire. D’après la Banque mondiale et l’Unesco, 16% des bacheliers au Cambodge et 50% en Thaïlande s’inscrivent dans des établissements d’enseignement supérieur. Les établissements publics, où les droits d’inscription sont peu élevés, sont en général même les meilleurs.

Par ailleurs, l’enseignement à distance a transformé l’accessibilité de l’enseignement supérieur, notamment en Chine et en Thaïlande, où le nombre de ceux qui y ont recours augmente chaque année. C’est l’apparition d’une éducation « glocale », où les étudiants ont des aspirations mondiales mais préfèrent rester dans leur pays ou région d’origine pour se former.

Bridget Di Certo – Southeast Asia Globe (Phnom Penh) – 9 octobre 2014
Repris par Courrier International – 8 janvier 2015


L’étrange odyssée des créatures marines venues de l’autre bout du monde

Un morceau de digue de béton, polystyrène et acier, mesurant 20 mètres de long et pesant 132 tonnes, arraché aux côtes japonaises par le tsunami de 2011, avait dérivé à travers le Pacifique pour atteindre en juin 2012 les côtes de l’Oregon. Plus étonnant, il apportait avec lui des organismes qui s’y étaient accrochés et avaient survécu : des moules, des vers, des bernacles… « Tuez-les tous », avait dit le Dr. Chapman, spécialiste de la vie marine. On les avait grattés, enfouis sous des tonnes de sable et on avait passé à la flamme tout ce qui pouvait rester.

70% de débris dus au tsunami ont coulé, mais les 30% restants continuent de dériver et abordent régulièrement les côtes américaines, de l’Alaska à la Californie et à Hawaii. Ils amènent avec eux des plantes et des animaux d’Asie. 265 espèces exotiques sont déjà arrivées ainsi, dont 30% n’avaient jamais été vues aux Etats-Unis. Or, ces envahisseurs risquent de mettre en péril les espèces indigènes, de détruire la pêche et d’altérer à jamais l’écosystème. Même les scientifiques spécialistes de la vie dans les Océans n’en croient pas leurs yeux : comment ces créatures ont-elles pu survivre au froid et à la tempête sur des milliers de kilomètres ? Certaines étaient mortes à leur arrivée. D’autres s’étaient reproduites en route. Et beaucoup d’entre elles, se sont certainement déjà établies sur les côtes américaines, sans qu’on s’en soit rendu compte.
Les invasions marines ne sont pas une nouveauté. C’est ainsi que, par exemple, les escargots terrestres inconnus à Hawaii y ont accosté à bord d’un arbre déraciné qui flottait. La navigation a accéléré le processus. Une nouvelle espèce arrive chaque jour sur les côtes de la Méditerranée, toutes les deux semaines sur les côtes de la baie de San Francisco. La plupart du temps, elle ne survit pas. Mais celles qui survivent sont un danger potentiel.

Dans le cas de la conséquence du tsunami de 2011, la différence c’est que les débris ne sont pas des arbres mais des objets fabriqués par l’homme, durs, non biodégradables et donc capables d’emmener très loin leur cargaison.

Les scientifiques continuent de guetter, d’observer, de s’inquiéter.

Katy Muldoon – The Wall Street Journal – 14 janvier 2015


La politique de l’enfant unique en Chine, suite

Il y a trente-cinq ans, devant le risque de surpopulation, la Chine imposait la politique de l’enfant unique dans les villes. Celle-ci a évité la famine mais a produit des effets très négatifs : un déficit de filles (120 garçons pour 100 filles alors que le ratio naturel est de 105/100) et toutes ses conséquences perverses ; une génération de « petits empereurs », enfants gâtés insupportables et qui auront plus tard seuls la charge de leurs parents et grands-parents et d’une manière générale, seront tous ensemble trop peu nombreux pour assumer les retraites.

La pyramide des âges est d’ores et déjà inversée et cela ira en s’aggravant. 1/5 des personnes âgées dans le monde vit en Chine. Les plus de 65 ans sont déjà au nombre de 110 de millions, ils seront 210 millions en 2030 et en 2050 ils représenteront un quart de la population (soit plus que tous les habitants des Etats-Unis réunis). Aujourd’hui à la seconde où cette brève est rédigée, la Chine compte 1.371.259.307 habitants, d’après China population clock.

Devant cette menace de vieillissement accéléré, le pouvoir a décidé fin 2013 d’un net allégement des contraintes liées à la politique de l’enfant unique. Jusque-là, seuls les couples dont les deux membres étaient eux-mêmes enfants uniques avaient le droit à un deuxième enfant. Désormais, il suffit qu’un seul des deux parents le soit pour que le couple soit autorisé à procréer à nouveau.

11 millions de couples étaient concernés et on comptait sur 2 millions de naissances supplémentaires immédiatement. En fait, environ 1 million de couples ont déposé une demande pour avoir un deuxième enfant, dont seulement 30.000 à Pékin où le gouvernement local comptait sur 54 .000 naissances supplémentaires par an.

Plusieurs explications peuvent être avancées. Nous entrons dans l’année de la Chèvre selon l’astrologie chinoise, un signe que beaucoup de parents cherchent à éviter à leurs enfants. L’éducation d’un enfant coûte très cher dans une société aussi concurrentielle. Enfin, la fécondité ne se commande pas ; en particulier, avoir deux enfants quand on est soi-même enfant unique n’est pas toujours un choix spontané.

L’enjeu est pourtant de taille : la Chine risque de devenir vieille avant d’être riche.

Gabriel Grésillon – Les Echos – 14 janvier 2015
Claude Leblanc – L’Opinion – 15 janvier 2015
Laurie Burkitt – The Wall Street Journal – 20 janvier
countrymeters.info/en/china


La « bidonvillisation » du monde

Le rapport Global Risks publié chaque année avant le Sommet de Davos (qui s’est tenu du 21 au 24 janvier) consacre pour la première fois un chapitre entier à l’urbanisation rapide et incontrôlable.

En 1950, à peine un tiers de l’humanité habitait en ville. Depuis 2008, c’est plus de la moitié de l’humanité. En 2050 ce seront les trois-quarts : nous serons alors 6,3 milliards d’urbains sur une planète de 9 milliards d’habitants.

Or, plus de 40% de l’expansion urbaine mondiale se fait dans les bidonvilles. « Un tiers de la population urbaine, soit plus de 1 milliard de personnes, habite dans des bidonvilles. Et cela ne cesse d’augmenter, non plus en raison de l’exode rural, mais parce que c’est en ville que l’on naît aujourd’hui le plus », indique Julien Damon, professeur d’urbanisme à l’Institut d’Etudes politique de Paris.

Cette pression démographique entraîne un développement anarchique de quartiers composés de maisons fragiles, surpeuplées et non reliées aux réseaux d’eau potable et d’assainissement. Elle induit aussi un étalement progressif des mégapoles au détriment des zones rurales.

La santé est le risque le plus préoccupant : la densité et l’insalubrité de certains grands centres urbains les rendent particulièrement vulnérables aux pandémies. On l’a vu pour Ebola en Afrique, H1N1 dans la région de Mexico, le SRAS autour de Hong Kong et Taïwan.

Autre danger sanitaire : les carences alimentaires et la pollution. La pollution atmosphérique devient davantage un problème de pays émergents que de pays développés, principalement à cause des transports : véhicules anciens, carburant de mauvaise qualité, réseau embouteillés.

Les plus grandes métropoles sont très vulnérables aux effets du changement climatique. Notamment, parce qu’elles se trouvent souvent en bord de mer, où elles peuvent subir des cyclones et la hausse du niveau des eaux.

Selon l’OCDE, les besoins en infrastructures de transports, de télécommunications, d’énergie et de traitement de l’eau devraient représenter 3,5% du PIB mondial d’ici à 2030, soit plus de 70.000 milliards de dollars.

Ce besoin d’infrastructures peut également être vu comme une opportunité. A condition que les villes des pays émergents trouvent des moyens de contenir leur croissance et d’offrir les services publics correspondants …

L’avenir est-il à la « bidonvillisation » du monde ou à l’invention de « smartcities » ?

Benoît Georges – Les Echos – 20 janvier 2015


L’éducation à l’autonomie

Tom, 4 ans : « Dis Maman, quand est-ce que tu m’abandonneras ? »

« Jamais. Pourquoi ? »

« Parce que je veux errer seul dans les rues ! »

Leonore Szkenazy, une new-yorkaise mère de deux enfants, ne connaît pas ce petit garçon français mais elle serait bien d’accord avec lui. Elle a reçu le sobriquet de « pire mère d’Amérique » après avoir écrit dans un magazine qu’elle avait laissé son plus jeune fils de 9 ans prendre le métro seul. Loin de l’impressionner, les menaces qu’elle a reçues – y compris celle d’être inculpée pour mise en danger d’enfant – l’ont encouragée.

Elle a publié en 2009 un livre de conseils : Free Range Kids : How to Raise Safe, Self-Reliant Children Without Going Nuts with Worry (« Enfant en liberté : comment élever ses enfants à l’autonomie sans devenir fou d’inquiétude »). Le mois dernier, elle a lancé, sur la chaîne américaine Discovery Life, une série d’émissions télévisée : World’s Worst Mom (« La pire mère du monde »)  destinée à aider les enfants à s’émanciper de parents surprotecteurs.

La première émission, par exemple, montre Sam, 10 ans, à qui sa mère ne laisse même pas couper sa viande de peur qu’il ne se blesse. Il a tranché du pain et des tomates et confectionné des sandwiches à ses parents. « Bien sûr, je ne vais pas faire voler en éclats toutes les craintes des parents, mais je veux leur donner assez de confiance pour qu’ils leur lâchent la bride. Les enfants ont besoin de racines et d’ailes. Les parents leur donnent les racines. Je leur donne les ailes. »

Beaucoup de parents s’imaginent qu’ils mettent leur enfant en danger s’ils ne surveillent pas leur moindre geste. La relation par les médias de toutes sortes d’horribles faits-divers aggrave encore les craintes des parents anxieux. Or, les crimes commis contre les enfants sont plus souvent le fait de proches. Surtout, les violences faites aux enfants par des inconnus sont moins fréquentes aujourd’hui que dans les années 1950, lorsque les enfants allaient seuls à l’école et jouaient dehors, sans être surveillés par des adultes.

En jouant tout seuls dehors, les enfants inventent leurs propres règles, apprennent à vivre ensemble, à négocier, à se défendre, à prendre des petits risques pour pouvoir, plus tard, en affronter de plus grands. Mais à notre époque, on a trop souvent peur de les laisser jouer au parc sans la supervision d’un adulte ou prendre leur vélo un dimanche matin pour partir à l’aventure. Il y a même des établissements scolaires qui ont supprimé la récréation !

Or, comme le répète le psychologue Peter Gray, « l’enfance devrait être le temps de jouer en liberté, non de préparer son CV pour entrer à l’université ».


Jane Brody – International New York Times – 21 janvier 2015
prospective.fr


Les téléphones intelligents rendent-ils idiots ?

Même si nos outils numériques font partie de notre vie, nous avons le sentiment désagréable qu’ils sont en train de réduire notre capacité d’attention. Il est vrai que nous zappons d’application en application. Et ce peut être très grave pour des adolescents qui passent jusqu’à 11 heures devant un écran, avec souvent des changements rapides d’attention : vidéos courtes, jeux où il faut jouer très vite, réponse à des questions sur des applications multiples, sans mentionner le design qui pousse au défilement rapide …

Des recherches montrent que cette intuition est infondée. L’attention vient d’une part de la capacité à se concentrer longuement, d’autre part du désir de le faire. La technologie ne ruine pas notre aptitude : il s’agit d’une fonction cognitive fondamentale du cerveau humain et il faudrait des millénaires d’évolution pour la réorganiser et cela entraînerait d’autres bouleversements.

En revanche, c’est notre désir d’attention qui est en jeu : nous nous lassons plus vite.

Cependant, des expériences montrent que les résultats aux tests sur l’attention sont moins bons lorsqu’un téléphone portable est simplement visible. Par exemple, les cobayes devant leur simulateur de conduite « écrasent » plus facilement un piéton s’ils entendent sonner leur téléphone, même s’ils sont décidés à ne pas décrocher.

Enfin, pour comprendre ce qui se passe, il faut savoir que les neuroscientifiques distinguent deux systèmes d’attention et de pensée associative. L’une est orientée vers l’extérieur et vous l’exercez quand vous parcourez vos mails ou jouez à Candy Crush. L’autre est dirigée vers l’intérieur : vous l’exercez quand vous rêvez éveillés, organisez votre journée ou votre semaine à venir, repensez à votre passé. Or quand l’une est activée, l’autre est éteinte.

En fait, c’est une question d’équilibre. Trop tournés vers l’intérieur, nous risquons l’inaction, la rumination de pensées noires, la dépression… Trop tournés vers l’extérieur, nous exerçons moins notre imagination, notre créativité, notre élan vers l’avenir.

Les écrans ne grignotent pas notre cerveau, mais, situation sans précédent dans l’expérience humaine, ils abolissent notre désir de nous concentrer.

En attirant toujours notre curiosité vers des images extérieures, nos smartphones et autres gadgets nous privent de cette deuxième dimension vitale, notre intériorité. C’est peut-être juste une question d’hygiène de vie : il faut être capable de savoir quand faire fonctionner nos technologies, quand les laisser de côté pour nous recentrer, mettre de l’ordre dans nos pensées.

Ce serait le moyen de ne pas devenir idiots à cause des téléphones intelligents.

Daniel T. Willingham – The New York Times – 23 janvier 2015

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