PROMOUVOIR LA DÉMARCHE PROSPECTIVE

prospective>>> Les nations à l’ère du du numérique
>>> La criminalité diminue aux Etats-Unis. Pourquoi ?
>>> A l’école de la voyance
>>> La nouvelle Route de la Soie
>>> Le plombier polonais, deuxième épisode
>>> Solar Impulse ou l’art d’entreprendre au XXIe siècle
>>> La forêt amazonienne, suite (et fin?)
>>> Avocat de l’espace
>>> Choc des cultures en Papouasie
>>> Rosa, rosa, rosam…

Les nations à l’ère du numérique

En juin 2013, nous avions évoqué dans notre éditorial la situation du Portugal. Ce pays s’est sorti d’une crise difficile et son économie repart doucement. En revanche, il ne dispose pas des ressources (compétences, capitaux, équipements, entreprises, ressources naturelles …) qui lui donneraient les moyens de se projeter dans l’avenir. Et nous avions esquissé l’idée suivante : les Portugais sont nombreux à travers le monde, la plupart ont réussi leur vie dans leur pays d’adoption, mais ils n’ont pas oublié leurs racines ; on pourrait imaginer que les citoyens résidant sur place et les nationaux expatriés se retrouvent au sein d’une communauté portugaise redéfinie, qui s’entendrait pour promouvoir la mère patrie, reconstituer les fondements qui, dans un lointain passé, ont fait du Portugal l’une des premières nations du monde.

Cette proposition n’a soulevé aucun écho. Nous avons essayé d’en faire part à des médias de Lisbonne ou de Porto, mais à notre connaissance, en vain.

Pourquoi y revenir aujourd’hui ? Parce que tous les pays sont à la recherche des ressorts de leur développement futur. Mais leurs problèmes immédiats sont si difficiles que la préparation de l’avenir n’est les soucis de personne. Les gens qui y sont contraints prennent en charge eux-mêmes, sans compter sur la nation, la réussite de leur vie et de celle de leurs enfants. Par exemple, les Kosovars, qui ont durement lutté pour leur indépendance, émigrent aujourd’hui en masse parce qu’ils ne trouvent pas chez eux les ressources nécessaires.

Notre époque vit sous le double signe du désarroi et des chances qu’offre l’imagination. Le désarroi est celui de nombreuses personnes mais aussi de nombreuses nations. Les chances sont partout. Le numérique instaure entre les pouvoirs à base territoriale et les pouvoirs immatériels, les membres des mêmes familles sur place et dans le monde, des relations radicalement nouvelles. Au temps d’Internet, ce qui était inconcevable auparavant l’est devenu. C’est le conformisme intellectuel qui interdit de le percevoir.

Le premier pays qui osera prendre le risque d’une vie démocratique aux formes ex nihilo gagnera. Il devrait se donner pour modèle Henri le Navigateur, ce prince portugais du XVe siècle : il a rêvé au-delà de l’horizon, il est à l’origine de toutes les grandes découvertes des siècles suivants. Et il a sauvé son pays tout en ouvrant le monde à l’ère moderne.

Prospective.fr

 

La criminalité diminue aux Etats-Unis. Pourquoi ?

En 1994, devant la recrudescence de la criminalité, Bill Clinton a signé la loi contre le crime la plus ambitieuse de l’histoire. Elle étendait la peine de mort et offrait aux Etats des milliards de dollars pour recruter davantage de policiers et construire de nouvelles prisons. Entre le début des années 1970 et 2009, la proportion d’Américains incarcérés dans les prisons d’Etat ou fédérales a quadruplé pour représenter aujourd’hui 1,5 millions de personnes, auxquels s’ajoutent les centaines de milliers de détenus des établissements pénitentiaires locaux.

Or les crimes et délits violents avaient déjà atteint leur pic au début des années 1990 et amorçaient une phase de recul au cours de laquelle les chiffres des meurtres, vols et agressions allaient être divisés par deux. Cette chute n’a été nulle part aussi impressionnante qu’à New-York, où seuls 328 homicides ont été déclarés en 2014, contre 2 245 en 1990. Le recul des crimes graves s’est accompagné de celui de la délinquance juvénile, car quand les jeunes grandissent dans un environnement sûr, ils deviennent responsables.

Cela dit, les raisons de la chute de la criminalité sont floues. Y a-t-il une corrélation entre la chute de la violence et le vieillissement de la population, la faiblesse de l’inflation et même le recul de l’exposition au plomb des jeunes enfants ? On pourrait le croire, mais la criminalité a aussi baissé dans d’autres pays comme le Canada qui n’ont pas connu ces changements.

Ce qui est sûr, c’est que la fermeture des marchés de la drogue ouverts, où les dealers opéraient au vu et au su de tout le monde, a limité les violences armées dans de nombreuses zones urbaines. Et la concentration des forces de police sur les lieux sensibles (un pâté de maison, un bar…) a permis de réduire le crime sans le déplacer ailleurs.

Récemment, de nombreux Etats ont légiféré pour réduire les peines des auteurs de crime peu violents et améliorer les soins proposés aux détenus toxicomanes ou alcooliques. On s’accorde sur l’intérêt des mesures qui ne relèvent pas du système pénal. Il s’agit notamment de développer l’aide aux sujets à risques dès la prime enfance, les programmes d’aide aux toxicomanes et les soins de santé mentale. Ne pas faire de la prison un substitut à l’hôpital psychiatrique.

Erik Eckholm – The New York Times – 13 janvier 2015
repris par Courrier International – 19 février 2015

A l’école de la voyance

Ce n’est pas Poudlard mais presque. Il existe quelque part en Angleterre un manoir victorien où l’on peut suivre des cours de voyance extra-lucide. Cela fait cinquante ans que des médiums se forment au Collège Arthur Findlay, qui accueille chaque année 5000 élèves, voyants amateurs ou professionnels. Car le talent de médium n’est pas seulement un don des dieux, il faut le perfectionner.

Comment entendre ce que disent les morts ? Qu’est-ce qu’un ectoplasme ? Comment aider les gens à communiquer avec leur animal de compagnie (vivant ou mort) ? Tels sont quelques-uns des sujets abordés pendant le cursus.

Depuis l’Oracle de Delphes qui avait prédit son sort funeste à Œdipe, le métier a bien changé. Le voyant s’est substitué au curé ou au psy : il est avant tout le confident et le guide de vie des personnes en désarroi. Il consulte en face à face ou sur Skype. En Grande-Bretagne, il lui est, par la loi, interdit de prétendre savoir prédire l’avenir à coup sûr. Son rôle est de rassurer. Il doit interpréter le discours des chers disparus d’une manière qui aide les survivants à faire leur deuil et à continuer leur vie.

Et le voyant doit bien faire comprendre à son client que, quel que soit le message en provenance de l’au-delà, le vivant doit toujours exercer son libre arbitre. Après tout, ce n’est pas parce qu’on est mort qu’on a raison : l’oncle Jim, qui donnait de mauvais conseils quand il était vivant, n’a pas changé après son décès.

Matthew Dalton – The Wall Street Journal – 3 mars 2015


La nouvelle Route de la Soie

La Route de la Soie est un très ancien réseau de pistes dont on trouve des traces 2000 ans avant notre ère. Elle était la voie des échanges entre l’Asie et l’Occident. On y transportait la soie, bien sûr, dont les Chinois avaient le secret, mais aussi la laine, le lin, le jade, l’ambre, l’ivoire, la laque, le verre, le corail, la porcelaine, les épices, les armes … Le voyage était long et dangereux : incursions de barbares, attaques de brigands, instabilité politique et militaire dans les régions traversée. A la Renaissance s’ouvrirent les voies maritimes dédiées d’abord au commerce des épices. Peu à peu la route terrestre fut abandonnée.

Aujourd’hui, à cause notamment de la piraterie dans l’Océan Pacifique, la marine marchande n’est plus sûre. Des projets grandioses d’autoroutes sont esquissés, mais les chantiers évoqués sont immenses et les camions qui les emprunteront seront fort polluants. Le gouvernement chinois a opté pour le rail.

Le premier train de marchandises a été inauguré en novembre 2014. Il part de Yiwu, dans l’est de la Chine, pour atteindre Madrid 21 jours plus tard. C’est la Trans-Eurasia Logistics, une joint venture entre la Deutsche Bahn et la Compagnie des chemins de fer russes, qui assurent la logistique. Et cette dernière est complexe.

Le chemin de fer serpente sur plus de 13 000 km à travers le Kazakhstan, la Russie, le Belarus, la Pologne, l’Allemagne, la France. Régions subtropicales, déserts arides, steppes glaciales : les températures les plus extrêmes se succèdent. L’écartement des rails change à trois reprises au cours du voyage. Les containers (bien isothermes) doivent être transbordés par des grues à la frontière du Kazakhstan, à celle de la Pologne et à l’arrivée en Espagne.

Des siècles plus tard, sur les traces des caravanes de chameaux disparues, le métal et l’électricité donneront à la mythique Route de la Soie son visage du troisième millénaire.

Andrew Browne – The Wall Street Journal – 4 mars 2015
elperiodico.com


Le plombier polonais, deuxième épisode

Il est omniprésent, le discours qui veut réserver les emplois aux nationaux. Il se fonde sur de solides évidences au premier rang desquels figurent les chiffres du chômage. Et pourtant il a tout faux.

On connait bien les aspirations de ceux qui vont travailler ailleurs. Ainsi, Thabata Martins, diplômée d’une école d’infirmières en Espagne, a, en un an et en vain, envoyé une centaine de CV. Aujourd’hui, loin du soleil de Malaga, elle est très heureuse de pouvoir exercer le métier qu’elle a choisi et pour lequel elle s’est formée, dans un service d’urgences de Leicester, en Angleterre. L’économie en expansion de la Grande-Bretagne a d’abord attiré des Européens de l’Est. Parmi les personnes recensées en Grande-Bretagne en 2011, 521 000 étaient venues de Pologne entre 2004 et 2011. Aujourd’hui, c’est au tour des Espagnols, des Portugais et des Grecs.

On connaît moins les soucis des employeurs qui, ayant du mal à recruter auprès des nationaux, sont bien heureux de les embaucher. Des 4 000 infirmières du groupe hospitalier de Leicester, 200 partent chaque année à la retraite. Les soins ne seraient plus assurés convenablement si l’on ne pouvait embaucher des infirmières en provenance d’autres pays. De l’avis général, les Britanniques prêts à travailler dur, de nuit ou très tôt le matin, se font rares. Greencore, un fabricant de sandwiches, s’apprête donc à lancer une campagne de recrutement en Hongrie. Et le célèbre chef britannique Jamie Oliver a déclaré que sans la main d’œuvre étrangère il aurait été obligé de fermer plusieurs de ses restaurants.

C’est le cas, connu, en Grande-Bretagne et en Allemagne. Ce l’est aussi, plus discrètement, en France.

Stephen Castle – International New York Times – 5 mars 2015


Solar Impulse ou l’art d’entreprendre au XXIe siècle

L’avion Solar Impulse a commencé sa première tentative de tour du monde.

Son inventeur est Bertrand Piccard, citoyen suisse de 57 ans, qui a déjà accompli le premier tour du monde en ballon. Il avait une vision : celle d’un avion capable de voler avec l’énergie du soleil, sans se brûler les ailes comme Icare.

Comme l’a fait Apple dans un autre domaine, il a innové en assemblant des technologies de rupture, sans dépenser des fortunes en recherche. Pour fabriquer le corps et les ailes de l’avion, à la fois très légers et ultrarésistants, il pensait trouver un avionneur. C’est un chantier naval suisse, Decision, spécialiste des fibres de carbone, qui l’emporta. Car l’innovation vient souvent d’ailleurs : les fabricants de chandelles ne s’étaient guère intéressés à l’électricité ; les spécialistes des télécommunications ricanaient au début des années 1990 quand on osait évoquer l’hypothèse d’un Internet capable de transmettre l’essentiel des appels téléphoniques…

Bertrand Piccard a su faire partager sa vision et trouver 150 millions de francs suisses auprès des pouvoirs publics helvétiques et du secteur privé. Chaque fois que c’était possible, Solar Impulse a demandé à ses sponsors d’apporter leur savoir-faire : le chimiste belge Solvay travaille sur les matériaux avancés ; Omega mesure le temps, la trajectoire de l’appareil et son inclinaison ; Nestlé mitonne des plats légers et très nutritifs pour les pilotes ; le prestataire informatique Altran a conçu un simulateur de vol. Et tous ces sponsors vantent le rêve auprès de leurs clients.
C’est l’entreprise collaborative du XXIe siècle qui s’esquisse, celle où les frontière s’interpénètrent, où chacun trouve son intérêt.

Jean-Marc Vittori – Les Echos – 17 mars 2015


La forêt amazonienne, suite (et fin?)

Longtemps, la forêt amazonienne a absorbé davantage de gaz carbonique qu’elle n’en rejetait, ralentissant ainsi les changements climatiques. Hélas, cette capacité est en train de se perdre. La mortalité des arbres a augmenté de plus d’un tiers depuis le milieu des années 1980. Chaque année, les activités humaines émettent 35 milliards de tonnes de gaz carbonique dans l’atmosphère. Dans les dernières décennies, un quart de ces émissions étaient absorbées par les océans, un autre quart par les arbres. La moitié non absorbée est sans doute responsable du changement climatique.

Or plus le gaz carbonique augmente, plus les plantes souffrent et deviennent incapables de le neutraliser. Ce sont les forêts tropicales intactes qui sont le principal absorbeur de CO2 de la planète ; la jungle amazonienne représente la moitié de ces forêts.

Un accroissement du CO2 a, dans un premier temps, accéléré la croissance des arbres. Mais, depuis l’an 2000, la pousse des jeunes arbres est en chute. Et dans le même temps, la mort des vieux arbres est en hausse. Un véritable cercle vicieux !

On n’est pas sûr des raisons exactes de ce phénomène. Plusieurs facteurs sont sans doute à l’œuvre. Le climat de l’Amazonie est devenu plus instable. Des épisodes de sécheresse intense ont, en 2005 et 2010, tué des millions d’arbres. Dans le même temps, l’accroissement du gaz carbonique dans l’atmosphère a accéléré le cycle vital des arbres : ils poussent plus vite, mûrissent plus vite, vieillissent plus vite, meurent plus tôt. Et c’est ainsi que le taux de mortalité dépasse le taux de natalité (si l’on peut s’exprimer en termes démographiques …).

Ces observations s’appliquent-t-elles aux autres forêts tropicales du monde et aux forêts des zones tempérées ou boréales ? On ne peut l’affirmer mais on peut le craindre.

 Gautam Naik – The Wall Street Journal – 19 mars 2015

 


Avocat de l’espace

Quand Sagi Kfir se présente comme « avocat de l’espace et conseiller d’une compagnie minière d’astéroïdes », ses interlocuteurs éclatent de rire et lui demandent quel personnage de Star Wars il défend : Chewbacca ou Han Solo ?

Or ce n’est pas une blague. Vols commerciaux, hôtels de l’espace, fournisseurs de satellite, chercheurs de ressources sur astéroïde : le Droit de l’espace n’est plus un sujet de science-fiction, ni même un objet de spéculation pour un avenir lointain. Il y a urgence. C’est une nouvelle matière dans les facultés de Droit et un thème pour des symposiums internationaux.

Qui est responsable en cas d’accident entre deux vaisseaux spatiaux ? Si une compagnie minière trouve un filon de métal précieux sur un astéroïde et le ramène sur Terre, à qui appartient la cargaison ? Telles sont quelques-unes des questions qui vont bientôt se poser.

Si, sur la Lune, un astronaute britannique assassine un confrère américain, il est admis que c’est le Droit américain qui s’applique. (Remarque de prospective.fr  : il s’agit ici d’un article paru dans un journal américain ; s’il s’agissait d’un quotidien britannique le journaliste aurait sans doute évoqué le schéma inverse). En revanche, il n’est pas sûr qu’il y ait un recours possible contre un pickpocket de l’espace. Il n’y a pas de précédent, donc pas de jurisprudence !

Sagir Kfir est tombé dans Star Wars quand il était petit. Né en Israël, il est arrivé très jeune aux Etats-Unis, alors qu’il parlait à peine l’anglais. Son plus ancien souvenir : une sortie scolaire où il a assisté à une projection de ce film. « Depuis, explique-t-il, j’ai été obsédé par tout ce qui vole. » A 42 ans, il est toujours aussi fan. Spécialiste du Droit de l’aéronautique, il a commencé sa vie professionnelle dans le secteur des crashs aériens, puis a rejoint Deep Space Industries dont il est le principal juriste.

« Nous ne construisons pas de fusées, nous ne faisons d’astronomie. Nous sommes des explorateurs et des moissonneurs de l’espace, des fabricants et des fournisseurs ». Voilà comment se présente cette entreprise, qui aime à rappeler aux sceptiques le succès d’aventures historiques comme la Compagnie des Indes orientales au XVIIe siècle.

Parmi les sceptiques, il y a les parents et les beaux-parents de Sagi. Mais pas son épouse, aussi fondue de Star Wars que lui. Il embarquera peut-être à bord d’un vaisseau spatial dès que cela sera possible. Il souhaiterait aller sur la Lune. Pas sur Mars, dont il se dit déjà familier des paysages : ce sont presque les même que ceux du Parc national d’Anza-Borrego, dont il aime, le week-end, découvrir les 243 000 hectares de désert à bord de sa vieille Toyota, sa « petite Millenium Falcon » personnelle.


Bradley Hope – The Wall Street Journal – 24 mars 2015


Choc des cultures en Papouasie

Les travaux de Margaret Mead ont fait connaître Manus, petite île de Papouasie-Nouvelle-Guinée. C’était pour elle « l’endroit le plus merveilleux que l’on puisse connaître en Nouvelle-Guinée ».

Manus n’est plus ce paradis. La croissance démographique y est pour beaucoup. Et le réchauffement climatique est une réalité : les fruits et les cultures ne mûrissent plus à la date habituelle, quand ils murissent ; les palmiers à bétel, qui font vivre tout un pan de l’économie locale, sont menacés ; les sagoutiers, dont les troncs râpés donnent une fécule alimentaire, sont deux fois plus petits que jadis ; et d’immenses vagues grignotent les terres.

A présent, l’île affronte un nouveau défi, qui est aussi une chance : le gouvernement australien a décidé en 2013 de lui sous-traiter l’accueil d’une partie de ses immigrés. En échange, elle octroie 35 millions d’euros à l’île pour des équipements dont elle a un besoin criant : routes, écoles, services de santé.

Mais le centre de détention agace. Les pêcheurs estiment que les ferrys desservant l’île dérangent les poissons. Nahau Rooney, 47 ans, femme politique, fille d’un des chefs qui avaient impressionné Margaret Mead, dit : « Certains choses sont bonnes, d’autres sont mauvaises, le plus grave c’est que nous n’avons pas voix au chapitre ». Elle s’inquiète de cette manne financière tombant sur une population qui n’y est pas préparée. La consommation d’alcool grimpe. Les habitants de Manus vivaient dans une économie de pêche, de cultures vivrières et d’échanges. Les trois-huit et l’argent sont de rudes chocs.

Il est prévu de lâcher bientôt les réfugiés dans la nature. Quel accueil les insulaires leur réserveront ils ? « Nous avons une culture d’intégration », dit Kimai Naiy, enseignant à la retraite. « Je serais heureux que les demandeurs d’asile restent ici et embrassent cette terre ».

Margaret Mead avait mis en valeur la résistance, la créativité et la détermination de ce peuple, bienveillant, jovial, fier et travailleur à tirer le meilleur parti des situations auxquelles il a été confronté. Chaque fois que l’île a été surprise par l’Histoire, elle a heureusement surpris en retour. Espérons qu’elle le fera une fois de plus.


Jo Chandler – The Monthly (Melbourne) – février 2015
Repris par Courrier International – 26 mars 2015


Rosa, rosa, rosam…

… bientôt, plus personne ne comprendra la chanson de Jacques Brel !

Lentement mais sûrement, l’éviction des langues anciennes de l’enseignement secondaire se poursuit. Dommage : on peut trouver au moins deux bonnes raisons de le regretter.

D’abord, la vertu stimulante des langues anciennes. Un problème de mathématique présente un énoncé clair et comporte un nombre calculable de solutions, toutes également valables. Alors que la traduction d’un texte latin pose, à chaque ligne, des questions confuses qui admettent un nombre indéfini de solutions, plus ou moins bonnes. Or la vie, et en particulier la vie professionnelle, est pleine de questions de ce genre. Et l’esprit de finesse, dans le monde d’aujourd’hui, est souvent plus précieux que l’esprit de géométrie.

La deuxième raison tient à la maîtrise du langage. Pour apprendre une langue vivante, le meilleur moyen est de s’immerger dans un bain linguistique, d’assimiler la pratique et la répétition. L’étude du latin, en revanche, oblige à bien identifier la nature et la fonction des mots, leurs liaisons logiques, la structure des phrases, les différentes modalités du discours, qui s’exprimeront par des modes verbaux différents : affirmer, douter, sous-entendre, concéder, déduire, etc. Une gymnastique qui permet de mieux maîtriser les langues contemporaines, et d’abord la sienne. Une arme aussi dans toutes les circonstances où la capacité de persuasion fait la différence.

Décidément, la France aurait encore besoin de latinistes.

Le billet de Favilla – Les Echos – 26 mars 2015

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