PROMOUVOIR LA DÉMARCHE PROSPECTIVE

prospective>>> Quel avenir pour le ministère du Futur en Corée du Sud
>>> Les femmes et l’informatique
>>> Ou sont les idées pour demain ? Appel aux défricheurs …
>>> Le mal de l’espace
>>> La tyrannie des recettes
>>> Les rois de la savane sont-ils voués à disparaître ?
>>> Votre destin est il tracé par vos ancêtres ?
>>> Echec scolaire et échec démocratique
>>> Des emplois pour sortir de l’exclusion
>>> Des lettres venues du passé

Quel avenir pour le ministère du Futur en Corée du Sud ?

Elue en décembre 2012, la présidente de Corée du Sud, Park Geun-Hye, n’avait pas attendu sa prise de fonctions en février 2013 pour, via son comité de transition, réorganiser le gouvernement autour de nouveaux ministères. Dans le cadre du plan de croissance nationale basé sur la création d’emplois et l’innovation, le grand gagnant est un super-ministère « des Sciences, de l’Information et de la communication, et du Futur » qu’on appelle depuis couramment « le ministère du Futur ».

Ses missions annoncées concernent le courrier, les télécommunications et les entreprises. Il s’agit d’évaluer et de suivre les projets scientifiques et techniques ; d’aider au développement de la recherche et des ressources humaines ; de mener une stratégie d’informatisation, depuis l’encouragement aux start-up en nouvelles technologies jusqu’à la mise en chantier d’un super-ordinateur aussi performant que Watson en passant par l’accès à Internet de toutes les couches de la population ; de bâtir un réseau national 5G mille fois plus rapide que le 4G actuel et commercialisable en 2020.

Le gouvernement compte ainsi conquérir les marchés étrangers, à commencer par celui de la Chine. Il a fait part l’an dernier d’une augmentation en un an de 17,5% de ses exportations dans le domaine des NTIC. Enfin, il vise à terme la maîtrise de l’énergie nucléaire.

Ce plan d’économie créative, associant étroitement industrie et culture, a été publiquement lancé le 7 mars 2014 par Choi Mun-kee, le « ministre du Futur ». Souhaitons-lui d’avoir, à l’instar du héros de Gangnam Style, le hit de YouTube interprété par le changeur Psy invité à la cérémonie d’investiture de la présidente le 15 février 2014, « les idées plus musclées que ses muscles ».

Prospective.fr

 

Les femmes et l’informatique

L’inventeur de la programmation informatique fut une femme, Ada Lovelace, fille du poète Byron. Elle a traduit et annoté une description de la machine analytique de Charles Babbage, une machine à calculer intégrant des cartes du métier Jacquard et ancêtre de l’ordinateur. Elle a conçu le premier algorithme publié destiné à être exécuté par une machine et a entrevu et décrit certaines possibilités offertes par les calculateurs universels. Le langage Ada, utilisé par de nombreux développeurs, a été nommé en son honneur.

Vers la fin de la deuxième Guerre mondiale, l’armée américaine a bâti un super ordinateur destiné au départ à étudier la faisabilité de la bombe à hydrogène. Il pesait trente tonnes et a été opérationnel jusqu’en 1955. Il avait été programmé par six femmes.

Mais, comme cela se passe dans beaucoup de domaines, dès que la profession a acquis du prestige, les femmes en ont été exclues. Les Etats-Unis comptaient en 1985 37% de diplômées supérieures en informatique, elles n’étaient plus que 18% en 2012. C’est un problème.

D’abord, les produits créés par ces technologies vont modeler l’avenir des personnes. « Les femmes sont de de plus en plus consommatrices de ces produits ; elles ne vont pas les aimer s’ils ne fonctionnent pas correctement pour elles», commente Londa Schiebinger, professeur à Stanford, qui conduit le projet Gendered Innovations destiné à encourager les ingénieurs et les scientifiques à tenir compte du genre des utilisateurs dans les nouveaux produits.

Surtout, les NTIC vont manquer de personnel. On estime qu’en 2022, il y aura 1,2 millions d’emplois dans les NTIC et que les universités des Etats-Unis ne produiront que 39% de diplômés pour répondre à la demande. Recruter des femmes est une priorité. « Si nous le faisons, nous doublerons l’influence de la technologie dans le monde », dit Larry Page, l’un des fondateurs de Google … dont seulement 1/5 des ingénieurs sont des femmes. Elles sont moins nombreuses encore dans les start-up, souvent des associations de copains travaillant jusqu’à pas d’heures dans une ambiance quelquefois entachée par la misogyne ordinaire.

International New York Times – 7 avril 2014
Prospective.fr

 

Oû sont les idées pour demain ? Appel aux défricheurs …

Le Prix Le Monde de la recherche universitaire a couronné cinq lauréats qui, chacun à sa manière, ont su porter un regard éclairant sur un phénomène de société.

Muriel Montagut a travaillé sur les possibilités d’être après la torture. Tristana Pimor a étudié les trajectoires des jeunes de la rue. Toutes deux sont des praticiennes de terrain, actrices du travail social qui ont engagé un travail de recherche. Cela donne des thèses d’une remarquable densité intellectuelle et humaine.

Laetitia Ogorzelec s’est intéressée à l’expertise médicale des guérisons miraculeuses à Lourdes, un défi historique du dialogue entre autorités religieuses et médicales face à un possible enfièvrement populaire. Nicolas Marquis s’est interrogé sur la signification de l’engouement pour les ouvrages de développement personnel. Ce sont là des thèses qui nous obligent à nous décentrer et à regarder les phénomènes sociaux d’un œil nouveau.

Xavier de Larminat a étudié la réalité de la mise en œuvre des mesures de probation. Il invite à une réflexion approfondie sur ce qui fait trop souvent l’objet de discours assez superficiels ou polémiques sur les peines alternatives à la prison.

Mais ces cinq thèses relèvent toutes de la sociologie. Pas cette année de thèse d’histoire, de droit, d’économie, de philosophie. C’est pour ceux qui ont été dès l’origine au jury de ce prix, qui en ont défini les critères de sélection, un sérieux motif de préoccupation. Au moment où notre monde est appelé à conduire une vaste transition dont dépend notre survie ; au moment où les systèmes conceptuels et institutionnels hérités du passé se révèlent inadaptés à gérer les nouvelles interdépendances ; où l’empire des systèmes techniques sur les sociétés exige de nouveaux modes de régulation ; où chacun clame la nécessité d’un nouveau modèle de développement sans en tracer les lignes directrices ; au moment enfin où cent ans après le déclenchement de la première guerre mondiale, concurrences et ressentiments peuvent créer une nouvelle situation explosive, nous avons besoin que l’université joue son rôle d’élucidation et de proposition. Nous avons besoin d’historiens capables d’éclairer l’avenir par les leçons du passé. Nous avons besoin d’un nouveau droit international contribuant à humaniser le monde.

C’est un appel que nous lançons aux professeurs et aux étudiants : armez-vous de courage et d’audace ! Vous ferez peut-être grincer les dents des collègues mais n’est-ce pas le sort usuellement réservé aux défricheurs ?

Pierre Calame et Edgard Morin
Le Monde – 23 novembre 2013

 

Le mal de l’espace

Les humains ne sont pas faits pour vivre en dehors de notre Terre. Plus s’allonge le temps des missions spatiales, plus les astronautes sont en souffrance.

L’ostéoporose due à l’absence de pesanteur peut être en grande partie évitée grâce à des tapis d’exercice (comme ceux qu’on voit dans 2001 Odyssée de l’espace) et on espère pouvoir bientôt pallier aux troubles du sommeil et de l’appétit. Mais d’autres problèmes de santé, bien plus graves, sont encore loin d’être résolus.

Le corps humain se compose à 60% d’eau. En apesanteur, les liquides montent dans la poitrine et la tête, les jambes s’atrophient, la pression intracrânienne augmente …

Les globes oculaires de certains astronautes s’aplatissent au point de les rendre hypermétropes. Est-ce dû à la pression du liquide intracrânien à l’arrière des globes oculaires ? Mais dans ce cas, pourquoi plus souvent chez les hommes que chez les femmes et pourquoi davantage l’œil droit que l’œil gauche ? Ce trouble de la vue ne serait pas le symptôme d’un mal plus grave et susceptible de se déclarer plus tard ? Déjà, on s’est rendu compte qu’il va de pair avec une élévation du taux d’homocystéine dans le sang, un marqueur de maladie cardio-vasculaire : d’une manière générale, l’apesanteur aurait-elle un effet sur les processus biochimiques du corps ?

Autre problème, à la fois médical et éthique : sans le cocon protecteur de l’atmosphère et du champ magnétique terrestres, les astronautes reçoivent des doses de radiations très élevées et cela accroît leur risque d’un cancer à plus ou moins longue échéance.

Voilà quelques-unes des nombreuses questions auxquelles les médecins de la NASA devront répondre avant 2030, année prévue pour l’envoi vers Mars des premiers explorateurs humains. Leur voyage durera trois ans, six fois la durée des séjours actuels sur la Station Spatiale Internationale.

Cette dernière devrait rester opérationnelle jusqu’en 2024 au moins, en partie pour les besoin de ces recherches médicales. Ainsi, en avril 2015, Scott Kelly y commencera un séjour d’un an pendant lequel les médecins suivront au jour le jour son état de santé et le compareront à celui de son frère jumeau resté à terre.

Kenneth Chang – International New York Times – 29 Janvier 2014

 

La tyrannie des recettes

En Occident, la nourriture est un problème, voire une source d’angoisse : nous mangeons trop de mauvaises choses fabriquées d’une mauvaise façon. Or, les gens savent de moins en moins cuisiner. On s’est moqué d’une animatrice de télévision qui, en 1998, avait montré lors de son émission comment faire cuire un œuf à la coque ; elle s’était rendu compte que beaucoup de gens avaient oublié comment cuisiner les mets les plus simples ! Enseigner les bases de la cuisine n’est pas la panacée mais il est bon de cuisiner soi-même et d’ainsi prêter davantage attention à ce qu’on mange.

Pour encourager les gens à cuisiner eux-mêmes, on pense qu’il faut leur donner des recettes. On en trouve partout : dans les journaux et magazines les plus sérieux, sur les étals des librairies où elles représentent l’une des rares embellies au sein d’un marché en déclin.

Mais s’en sert-on vraiment ? Les livres de cuisine sont généralement plus souvent fermés dans la bibliothèque qu’ouverts sur le plan de travail.

Là où existe une forte culture de la cuisine, on n’a jamais eu besoin que des basiques, qui se transmettent de génération en génération. Prenez la soupe par exemple : faire revenir des oignons, ajouter des légumes, éventuellement de la viande ou du poisson, du bouillon, des herbes, des épices… A partir de là, vous pouvez inventer une variété infinie de soupes sans avoir à consulter une liste ni peser les ingrédients. Pour composer un plat savoureux, pas besoin d’être un virtuose : avec un peu d’entraînement, en faisant appel à son bon sens, à son nez, à son palais, à son oreille, tout le monde peut y arriver. Et ce n’est pas avec le compte-minute qu’on décide que c’est cuit mais en touchant et en goûtant.

La métaphore vaut ailleurs. Certes, il faut des règles de sécurité : la fabrication d’une cuisinière à gaz, le moment précédant le décollage d’un avion, la préparation d’une salle de chirurgie doivent obéir à de strictes procédures. Pour le reste, c’est une illusion de croire que nous pouvons résoudre les problèmes en appliquant une formule, qu’il y a des recettes pour la beauté, la santé, le succès … Suivre les instructions à la lettre freine le bon sens. Les enseignants, par exemple, devraient se comporter en bons cuisiniers : enseigner les basiques auxquels ils ajoutent leur propre passion.

Combien de piment ? A vous seul de goûter et décider, pas à un algorithme.

Julian Baggini, philosophe auteur de  » The Virtues of the Tables »
Prospect – 7 février 2014

 

Les rois de la savane sont-ils voués à disparaître ?

Sur les cinq grands animaux – éléphant, rhinocéros, lion, léopard, buffle – icônes de la savane africaine composant le prestigieux tableau de chasse décrit par Hemingway dans Les Neiges du Kilimandjaro au milieu des années 1930, seul le buffle échappe à la Liste rouge des espèces menacées dressée par l’Union mondiale pour la conservation de la nature (UICN).

Les éléphants sont abattus par dizaines de milliers pour alimenter les circuits clandestins de l’ivoire à destination de l’Asie. Le moratoire sur ce commerce instauré en 1989 a été impuissant à protéger les éléphants. Certes, leur population augmente au Botswana, en Afrique du Sud et en Namibie ; mais en Afrique centrale, minée par les conflits, leur nombre a diminué de 60% en dix ans et il pourrait ne plus y en avoir du tout dans dix ans.

Les rhinocéros sont braconnés pour leurs cornes qui – symbole viril servant à fabriquer des remèdes aphrodisiaques – valent 370 00 € l’unité sur les marchés asiatiques. Il ne reste aujourd’hui au total que 25 000 rhinocéros blancs ou noirs. Leur population pourrait commencer à décliner d’ici à deux ans.

Le lion est en train de disparaître d’Afrique de l’Ouest. Il en reste à peine 400 dans cinq pays : Sénégal, Nigeria, Bénin, Niger et Burkina Faso. En cause, les confrontations de plus en plus nombreuses avec les éleveurs. Comme partout sur le continent, dont la démographie va doubler d’ici à 2050, la compétition pour l’espace et l’accès aux ressources naturelles s’exacerbe.

En Afrique de l’Ouest, où les gouvernements n’ont jamais porté beaucoup d’attention à la conservation, le roi de la savane est rarement gagnant. La détérioration de la situation politique et sécuritaire de la bande saharo-sahélienne rend inaccessibles de vastes territoires. « Mes déplacements sur le terrain relèvent désormais plus du reportage de guerre que d’appui à la biodiversité », déplore Julien Calas, du Fonds français pour l’environnement mondial.

Dans l’est de la République démocratique du Congo, théâtre récurrent d’une guerre civile, il y a longtemps que les parcs nationaux servent de réservoir de faune commercialisable (les singes) et de lieu d’approvisionnements en « viande de brousse ».

Il existe des exceptions : en Namibie, la protection de la faune est un projet de développement.

Mais comment généraliser cette expérience dans des pays ravagés par la guerre et la misère, où, comme le note Philippe Chardonnet, directeur de la Fondation pour la protection de la faune sauvage, « le monde de la conservation, en utilisant trop souvent la coercition pour protéger la nature, s’est fabriqué des ennemis. En Afrique, les grands espaces vont inéluctablement se raréfier. Mais la disparition de la grande faune n’est pas une fatalité ; à condition que les populations tirent un avantage de cette cohabitation. » Oui, mais comment la financer ?

Laurence Caramel – Le Monde – 13 février 2014

 

Votre destin a-t-il été tracé par vos ancêtres ?

Comment mesurer la mobilité sociale en termes de revenus, de richesse, de profession, de longévité ? Gregory Clark, professeur d’économie à l’Université de Californie, Davis, a trouvé une manière de le faire de façon statistiquement significative. Il a relevé au Chili, en Chine, en Angleterre, en Inde, au Japon, en Corée du Sud, en Suède et aux Etats-Unis des noms de famille fortement connotés socialement et a regardé comment avait évolué à travers les siècles le statut de ceux qui le portaient. Il a constaté que l’ascenseur social est bien plus lent qu’on ne se plait à l’imaginer. Ni le libéralisme, ni la démocratie, ni l’éducation de masse, ni le déclin du népotisme, ni la fiscalité redistributive, ni l’émancipation des femmes ne l’ont boosté. L’ascenseur social monte et descend, certes, mais très lentement, aussi lentement aujourd’hui qu’au Moyen-Age.

Prenons l’exemple de la Suède. C’est – avec le Danemark, la Finlande, l’Islande et la Norvège – l’une des nations les plus égalitaires. Etonnamment, la mobilité sociale n’y est pas plus grande – ni aujourd’hui, ni au XVIIIe siècle – qu’en Angleterre ou aux Etats-Unis. Il existe toujours des nobles en Suède : environ 56 000 Suédois portent le nom d’une grande famille anoblie en 1626. Une autre élite est celle des descendants d’intellectuels ou de marchands qui ont latinisé leur nom au XVIIe et XVIIIe siècles (le plus célèbre est le botaniste Carl von Linné qui a publié ses travaux sous le nom de Carolus Linnaeus). Etant donné le souci égalitaire de la société suédoise, on pourrait s’attendre à ce qu’ils ne soient pas mieux dotés. Or, ceux qui portent un nom noble ou latinisé sont, pour la plupart, plus riches et plus diplômés que la moyenne de la population.

Cela vaut en en Angleterre, où est né le capitalisme industriel ; aux Etats-Unis, la société la plus hétérogène du monde ; en Inde, où la démocratie naissante est encore entravée par le vieux système des castes…

Si vous êtes citoyen britannique doté d’un nom de famille assez rare et qu’un homme portant le même nom a étudié à Oxford ou Cambridge autour de 1800, vous avez quatre fois plus de chances d’y être admis que quelqu’un d’autre.

Statistiquement, votre statut dans la société a beaucoup de chances d’être annoncé par celui de vos arrière-arrière-arrière grands parents.

Cela signifie-t-il que les individus n’ont pas de contrôle sur leur destin ? Certes non. Dans nos sociétés méritocratiques modernes, le succès dépend bien sûr de l’effort personnel. Mais ne se pourrait-il pas que la volonté de lutter, le talent de prospérer, la capacité à rebondir soient également dans les gènes ?

Gregory Clark, auteur de « The Son also Rises: Surnames and the History of Social Mobility » – International New York Times – 22 février 2014

 

Echec scolaire et échec démocratique

La France s’illustre par un écart gigantesque entre le taux de vote de ses diplômés et des autres. Pour la tranche des 25-34 ans, 40 points séparent ces deux mondes. L’OCDE nous classe dans le lot des cinq pays où la fracture entre les jeunesses est la plus irréductible : les autres cancres étant les Etats-Unis (49 points d’écart), l’Allemagne (45), la République tchèque (42) et l’Autriche (42). A la présidentielle, seuls les 2/3 des sans diplôme ont voté, contre 90% des diplômés du supérieur.

L’école n’y est pas pour rien. Elle réussit à faire croire aux plus faibles qu’ils ne sont pas dignes d’elle alors que c’est elle qui n’a pas su s’adapter à eux et les conduire aux apprentissages.

De plus, l’école française ne donne pas le goût de la démocratie. La compétition prend trop le pas dans la classe sur la collaboration. Comment voulez-vous que les jeunes aient ensuite envie de faire société, de travailler ensemble ? L’abstention est la première échéance à payer pour cette école qui n’éduque pas assez. Et ce n’est sans doute qu’un premier acompte : la facture pourrait être bien plus élevée.

Chaque homme politique espère secrètement que la bombe à retardement de l’échec scolaire attendra son successeur pour exploser. En ne votant pas, les 120 000 non-diplômés qui quittent l’école pleins de rancœur sans avoir le kit minimal de survie lancent là un SOS.

L’école française rate donc deux buts à la fois. Elle n’est pas efficace du point de vue des apprentissages. Elle n’est pas non plus capable de former des citoyens. Elle qui a été le ciment de la nation française est en train de devenir le lieu de l’entre-soi pour ceux qu’elle élit, et de l’exclusion pour les autres. Ce n’est pourtant pas une fatalité. Certaines écoles « bienveillantes » savent créer de la cohésion sociale. Une compétence dans laquelle l’école française pourrait bien mieux faire à peu de frais.

Maryline Baumard – Le Monde – 27 mars 2014

 

Des emplois pour sortir de l’exclusion

Deux mondes qui ne se rencontrent habituellement pas : d’un côté d’une longue table en bois, 80 ingénieurs en informatique de la société Zendesk de San-Francisco, une assiette en carton à la main, font la queue pour recevoir leur déjeuner ; de l’autre, 6 SDF servent du poulet grillé, du riz et de la salade qu’ils ont eux-mêmes préparés. Il s’agit là d’un programme de réinsertion dont l’acronyme, CHEFS, signifie « surmonter le fait d’être sans abri (le « sans-abrisme » comme on dit en Belgique) par un emploi par un emploi dans la restauration » (Conquering Homelessness through Employment in Food Services). Avantage pour l’entreprise : une réduction fiscale non négligeable : 14 entreprises ayant adhéré à ce programme ont en 2012 économisé 1 903 321 $ de taxes dont elles ont été dispensées.

En 2013, Zendesk – qui par ailleurs encourage le bénévolat dans les œuvres caritative et fait don de matériel informatique – a dépensé 100 000  $ en donations à des initiatives locales, dont 3 500 $ pour CHEFS. Twitter agit de même et plus de 400 de ses employés font du travail bénévole dans le voisinage. Les sans-abri se sentent doublement valorisés, parce que des gens qui sont d’un autre monde leur parlent, parce qu’ils acquièrent un vrai savoir-faire professionnel. Une femme qui travaillait ainsi vient d’être recrutée dans la cantine d’une entreprise qui se situe en dehors de la zone où s’applique cet avantage fiscal.

Ce dernier est aussi un outil de recrutement pour des start-up en compétition avec les immenses campus des géants comme Google et Facebook. Bien sûr, il ne s’agit pas là d’une baguette magique : tous les exclus ne vont pas ainsi se réinsérer, tous les criminels ne vont pas s’acheter une conduite, mais la société Zendesk est si satisfaite de l’expérience qu’elle a décidé de la poursuivre, même quand les facilités fiscales ne s’appliqueront plus.

Nick Bilton – International New York Times – 31 mars 2014

 

Des lettres venues du passé

Nous avons tous au moins un professeur cher à notre mémoire, qui nous a inspiré et nous a aidé à devenir ce que nous sommes. Bruce Farrer est l’un d’eux. Peu de temps après avoir commencé sa carrière en 1961 dans la petite ville de Fort qu’Appelle au Canada, il a eu l’idée d’un projet pédagogique à long terme : que chacun de ses élèves âgés de 14-15 ans, s’écrive à lui-même une lettre décrivant sa vie vingt ans plus tard. Situation familiale, métier, ville de résidence… tous se sont appliqués à détailler leur avenir idéal sur environ dix pages.

Des travaux que le professeur aujourd’hui âgé de 72 ans avait promis de leur envoyer lorsqu’ils seraient adultes, vingt ans plus tard.

Quand il a pris sa retraite en 2002, il avait conservé précieusement cinq coffres pleins de ces lettres. Cette année, c’était au tour des anciens élèves de 1994 de recevoir la leur. Pour les retrouver, il a remué ciel et terre et fait notamment appel aux réseaux sociaux. La plupart ont été ravis de relire leurs rêves d’adolescents, même si quelques-uns ont été embarrassés de constater à quel point ils étaient immatures. Tous ont été touchés de la fidélité de leur ancien professeur. Le plus étonnant c’est que pour certains, le projet décrit dans la rédaction a été respecté à la lettre, même s’il paraissait complètement improbable. « L’un de mes élèves était obsédé par le groupe Abba, il rêvait d’aller vivre en Suède et d’épouser une belle blonde de là-bas. Vingt ans plus tard, c’est exactement ce qu’il a fait ! »

Metro.com.uk
Direct Matin – 9 avril 2014

 

 


 

 

 

 

Print Friendly, PDF & Email