EDITORIAUX 2003

Novembre 2003
La prospective, métier du chef d’entreprise

Tout chef d’entreprise s’interroge aujourd’hui : que vendrons-nous demain ? quel sera notre métier ? que faire pour que demain le monde ait encore besoin de nous ? La stratégie, dont c’était le rôle, répond désormais moins parfaitement à ces questions. Sa démarche consistant à analyser l’existant, à en valoriser les contenus les plus porteurs, à centrer l’entreprise sur ses domaines d’excellence, conserve sa pertinence. Mais elle perd de son efficacité en un moment où l’impératif d’optimisation, sans perdre de son utilité, est néanmoins relayé par celui de création, où la plupart des marchés du présent sont reconfigurés et qu’émerge, dans la confusion, un nouveau contexte techno-organisationnel mondial. Le chef d’entreprise se retrouve avec son équipage dans la condition qui était celle des premiers explorateurs avec pour seul moteur, le vent, pour seuls repères, les étoiles, pour seul instrument, le gouvernail. Et c’est pourquoi, par nécessité, le chef d’entreprise devient prospectiviste.
C’est une pratique tout à fait différente de son métier. Aujourd’hui, c’est la stratégie qui représente un langage commun entre les dirigeants d’entreprise, les experts qui les accompagnent et l’environnement de l’entreprise. Ses méthodes sont explicites, accompagnées plus qu’il n’en faut de logiciels, de transparents et de démonstrations sur des tableaux de papier.
Passer à la prospective, en échappant à la croyance répandue selon laquelle celle-ci n’est qu’un simple éclairage sur l’avenir, un adjuvant à la stratégie, c’est effectivement une sorte de rupture. La démarche de la prospective comporte trois phases : l’identification du souhaitable, l’élaboration de nouveaux projets, leur mise en œuvre. Là où le processus stratégique, après avoir passé en revue les facteurs, se focalise sur des priorités, dans le contexte connu, la prospective, qui prend en compte la créativité, l’intuition, une certaine sensibilité à l’air du temps, cherche à faire du neuf. Elle est une synthèse qui, alliant la réflexion et l’action, intègre différents horizons de temps, fait appel à diverses disciplines et intègre le contexte humain et l’environnement.
La vraie difficulté de la prospective c’est que sa mise en œuvre doit être, pour l’essentiel, assurée au sein même de l’entreprise, les concours extérieurs devant se conjuguer très étroitement avec un travail interne. Or, cela n’est pas simple. Par exemple, la réflexion stratégique rapproche le dirigeant de son entourage, l’objectif commun est évident ; la réflexion prospective peut l’en isoler, le chef d’entreprise donnant l’impression de prendre du recul vis-à-vis de ce qui est à leurs yeux l’essentiel. D’autre part, à partir du moment où le processus prospectif, quand tout va bien, fait apparaître d’autres objectifs, il induit des périls pour l’organisation, l’appel à des compétences que l’on n’a pas, la mise en cause de la préférence humaine pour le statu quo. Le chef d’entreprise doit alors s’attendre à des tensions dont, d’expérience, nous savons à quel point elles peuvent revêtir un caractère émotionnel, voire violent. Et si, parce que la recherche prospective n’aboutit pas assez vite ou parce que lui-même préfère le consensus à la confrontation, le chef d’entreprise laisse aller le cours naturel des choses, c’est sa propre autorité qui sera en péril.
C’est dire que l’éclair de la création, si rien ne peut surgir sans lui, ne réussira que si le dirigeant est prêt à traverser une longue succession d’épreuves et s’il réussit à identifier et à motiver pour qu’elles s’engagent des personnes capables de contribuer à la conception de nouvelles configurations de projets et, plus encore, à leur mise en œuvre.
Le métier de chef d’entreprise, c’est désormais avant tout cela. Le management, tel qu’il est entendu et enseigné aujourd’hui doit se réinventer autour de l’impératif prospectif. C’est la nouvelle mission du chef d’entreprise pour l’époque qui vient : la création de l’avenir.

Armand Braun

Print Friendly, PDF & Email