EDITORIAUX 2004
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Février 2004
Exposer et réguler un tabou : la dénonciation Parmi toutes les initiatives exigées par notre époque devrait figurer une loi européenne sur la dénonciation. Un sujet si déplaisant que sa simple évocation peut créer un mouvement de recul. Un sujet, pourtant, qu’il devient indispensable d’aborder de front, de manière explicite. Aux Etats-Unis, à la fois pour des raisons de sécurité et pour révéler les scandales du monde du travail, la dénonciation fait figure d' »acte quasi-héroïque, à forte valeur éthique, un élément de la réussite de l’entreprise, dont chaque salarié serait le garant ». (Guillaume Eliet, avocat à la Cour, Les Echos, 14 janvier 2004). On a même trouvé un mot pour nommer la dénonciation en entreprise : « whistleblowing » (donner un coup de sifflet). Et la loi américaine protège ces dénonciateurs. En Europe, et notamment en France, il peut arriver que la non-dénonciation représente une forme de non-assistance à personne en danger, comme le montrent l’affaire des disparues de l’Yonne, où des dénonciations auraient pu arrêter la série des crimes, ou encore les nombreux cas d’enfants maltraités, tus par les proches. La législation française oblige à porter à la connaissance des autorités judiciaires les faits répréhensibles dont on serait témoin et punit ceux qui ne dénonceraient pas à l’autorité compétente un crime dont ils auraient connaissance. Mais la dénonciation reste un phénomène exceptionnel. Elle est sans aucun doute appelée à jouer un rôle plus reconnu : dans la vie économique – l’affaire Parmalat, après d’autres, contribuera au développement d’un « whistleblowing » européen ; dans le domaine de la sécurité et plus spécifiquement la lutte contre le terrorisme ; dans les affaires de drogue et de blanchiment des capitaux (les intermédiaires financiers sont déjà tenus, le cas échéant, à une « déclaration de soupçons ») ; et il est question de mettre en place des « citoyens relais », chargés d’une mission de surveillance, assortie d’une fonction sociale, en milieu urbain. L’approche américaine a prouvé son utilité. Mais elle s’inscrit dans un contexte historique qui n’est pas le nôtre : les Etats-Unis ne sont pas, comme nous, marqués par les souvenirs, dans ce domaine entre autres, des années noires de l’Occupation ; la société américaine est fondée sur le contrat et chaque citoyen se sent concerné par les tâches d’intérêt collectif (cf. les affiches WANTED, Lucky Luke et les Dalton – dont nous n’oubliions pas que c’est une BD née de ce côté-ci de l’Atlantique !). L’histoire des sociétés européennes, façonnée par des hiérarchies – la féodalité, la monarchie absolue, la démocratie jacobine – est à tous égards différente. En Europe, la dénonciation à l’autorité supérieure est une trahison. A l’école, le rapporteur est mis à l’index par les copains. Enfin, il faut tenir compte, plus encore que des contextes nationaux, des médias, avec leur puissance, leur ubiquité et leur goût du sensationnel. Plutôt que de nous en tenir à « dénoncer, c’est mal », il devient nécessaire d’aborder les faits de manière explicite, en pleine lumière, dans des conditions qui nous permettent de façonner les normes désormais nécessaires. Il faudrait inventer nos propres solutions. Nous disposons pour agir de différents éléments : la construction européenne, moyen de conjuguer, à partir d’une expérience partagée, les apports positifs des diverses cultures nationales ; la possibilité de sanctionner des dénonciations qui s’avéreraient relever en fait de la diffamation (définition du Petit Larousse : qui porte atteinte à la réputation de quelqu’un par la calomnie) ou de la délation (dénonciation, fondée ou mensongère, pour des motifs intéressés et méprisables – même source) ; et nous pouvons, tous ensemble en Europe, établir en concertation les règles d’éthique qui écarteraient de pernicieux débats entre responsabilité et culpabilité. La question est éminemment prospective : elle soulève des enjeux pour les libertés, la vie en société, le système démocratique, qui ne sont ni occasionnels ni susceptibles d’être circonscrits à l’intérieur d’un domaine ou d’un autre. Elle peut donner lieu à des épreuves, à des moments de vérité. Elle porte sur le bien et le mal, la fin et les moyens, appelle des règles du jeu appropriées, explicites, acceptables par chaque personne, par chaque collectivité nationale. Elle mériterait de donner lieu à la création d’un Comité des sages, à l’échelle de l’Europe. Armand Braun |
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Citation
« Si le monde d’hier n’avait pas existé, celui d’aujourd’hui ne pourrait pas envisager celui de demain. »
Pierre Dac
Clin d’oeil
Les requins ont existé bien avant les arbres sur Terre et les anneaux autour de Saturne.
@quikipedia – 8 juin 2023 – cité par Prospect magazine – août-septembre 2023
À lire
Dans « L’homme, l’animal et l’éthique », Georges Chapouthier, neurobiologiste et philosophe, présente à propos de cette problématique les réponses de grands philosophes et les analyses de la biologie moderne concernant la douleur et la conscience. Il démontre comment l’apport des droits de l’animal a modifié la morale et donne des conseils pratiques sur ce qui pourrait être amélioré dans nos relations avec les animaux.
Il propose par ailleurs, aux associations et aux écoles, un jeu pédagogique : « La fresque des animaux »
https://www.jne-asso.org/2023/04/23/lhomme-lanimal-et-lethique-quelques-reflexions-essentielles/
Lire à ce sujet la « rencontre avec Georges Chapouthier »
À voir
Le « Festival Photo La Gacilly » propose une expérience photographique immersive et déambulatoire au cœur d’une trentaine de galeries à ciel ouvert, présentant le meilleur de la création photo contemporaine qui interroge notre relation au monde et à la nature.
Les photographies habillent les rues, les jardins et les venelles de La Gacilly, dont le magnifique patrimoine bâti et naturel offre un écrin parfait aux plus de 800 images exposées. L’espace public devient un espace scénique, partagé et accessible à tous, gratuitement.
Le thème de cette vingtième édition : « la nature en héritage ».
À La Gacilly en Bretagne, jusqu’au 1er octobre
https://www.festivalphoto-lagacilly.com/festivalphoto-lagacilly.com
Courrier des lecteurs
Après avoir lu votre édito de septembre 2022 sur le droit à l’image des léopards, ma compagne et moi nous nous sommes rendus compte qu’il y en avait partout. Nous avons donc inventé un jeu : chaque fois que nous voyions un vêtement ou un accessoire portant ces motifs (sur une personne, pas en photo ou dans une vitrine) nous avons mis I€ dans une tirelire (représentant un léopard, évidemment). Au bout de trois mois, nous avions économisé de quoi nous offrir dans un restaurant étoilé un délicieux repas … végétarien. Mieux que la Caisse d’Épargne !
SLG, Paris