EDITORIAUX 2006

Octobre 2006
Prospective : parlons plutôt des Chinois…

Il n’est question que de l’avenir de la Chine, à laquelle les augures promettent un grand destin. Ils ont sans doute raison, mais, en prospective, nous préférons nous intéresser aux Chinois.

C’est le formidable esprit d’entreprise des personnes qui fait le dynamisme du pays. Les Chinois aspirent ardemment au bien-être et à la réussite pour eux-mêmes et leurs familles. Pour ce faire, ils sont prêts à travailler autant qu’il le faudra et considèrent la mobilité comme une donnée naturelle de la vie (quitte à s’organiser pour être enterrés au village, auprès de leurs ancêtres).

C’est, à notre point de vue, la réelle différence entre la Chine et l’Inde. La société indienne est enracinée dans des cultures incroyablement complexes, ancrées dans une longue Histoire. Et, pour tout Indien, où qu’il soit, l’Inde reste la mère patrie : on aspire à y revenir après avoir fait carrière, on va y chercher des épouses pour ses fils…

Par contraste, la civilisation chinoise a été, au XXe siècle, « rabotée » par une succession de terribles épreuves : l’occupation japonaise, le communisme, la révolution culturelle. La continuité avec le passé confucéen n’est pas encore pleinement rétablie, les liens sociaux n’ont pas retrouvé le niveau de complexité, comparable à celui de l’Inde, qu’ils avaient dans le passé, et les solidarités familiales et locales n’ont pu encore retrouver la vigueur qui était la leur.

Les Chinois ne peuvent éprouver vis-à-vis de leur pays la même affectio societatis que témoignent au leur les Indiens. Leur sentiment national, puissant, à nouveau mêlé de fierté, ne les empêche pas de s’exiler dans l’espoir d’assurer la réussite de leurs enfants.

On ne prend pas la mesure de leur mobilité : ce sont, principalement encore, les habitants des zones rurales qui s’agglomèrent dans n’importe quelles conditions à la périphérie de leurs villes ; ce sont les Chinois qui rejoignent les communautés traditionnellement installées dans le Sud Est asiatique, où la puissance de leur nation atténue désormais leur sentiment chronique d’insécurité ; ce sont les personnes qui partent seules à l’aventure à travers le monde – Sibérie, Europe… ; ce sont les professionnels qui accompagnent les entreprises chinoises dans des opérations de coopération technique, comme c’est le cas, dans des conditions impressionnantes, en Afrique ; et si demain les Chinois sont autorisés à voyager librement, la diffusion capillaire de leur présence universelle deviendra plus évidente encore… et posera à nouveau des problèmes internationaux.

La Chine, se sont ces foules dont Adam Smith – dont elles n’ont jamais entendu parler – est la véritable référence. Ce sont ces entreprises résolument mondiales et qui accumulent les performances – c’est en septembre que pour la première fois les exportations chinoises ont légèrement dépassé celles des Etats-Unis. Ce sont ces innombrables professionnels qui constituent tous ensemble une nouvelle classe moyenne, qui commence à pressentir les responsabilités que son pouvoir lui imposera de prendre.

Le pouvoir politique croit encore être seul à la manœuvre, à travers ses plans et ses stratégies. Il ne l’est déjà plus et le sera de moins en moins demain. En cela, sa problématique prospective n’est pas différente de celle des autres grands Etats qui devront apprendre à préférer progressivement aux armes du pouvoir celles de l’autorité.

Armand Braun

On comprendra mieux ce point de vue sur la Chine en lisant, si on le peut, un ouvrage paru aux Etats-Unis en 1988 : Ancestors, 900 years in the life of a Chinese family, (ed. Morrow), par Frank Ching, journaliste d’origine chinoise ayant longuement collaboré au Wall Street Journal.

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