EDITORIAUX 2007

Janvier 2007
Prospective du prix de l’énergie

On le constate en observant les évolutions en cours concernant le pétrole, le gaz, l’électricité : des données apparemment évidentes sont en fait aléatoires, des données méconnues jouent un rôle important.

L’accroissement rapide de la consommation, les aléas politiques et les problèmes d’environnement se bousculent pour laisser prévoir en prospective la hausse des prix de l’énergie. Après les affaires d’Iran ou du Venezuela, ce sont les considérations écologiques qui priment, les conséquences des changements climatiques s’imposant progressivement comme une priorité politique.

Mais d’autres facteurs, importants eux aussi, laissent au contraire prévoir la baisse. On peut citer ici la modification, lente mais certaine, des habitudes de consommation, avec l’apparition d’un souci d’autodiscipline chez les consommateurs. Ce changement, déjà sensible en Europe, s’amorce aux Etats-Unis. Il donne à penser que le souci du développement durable pourrait induire non la hausse, comme tout le monde le pense, mais peut-être la baisse des prix. Il faut évoquer enfin l’arrivée annoncée sur les marchés de produits de substitution (bioessences, biodiesel), le meilleur rendement de techniques alternatives (éoliennes, solaire, bois…).

En prospective, il est moins utile de mettre en balance des éléments incertains que d’identifier les facteurs qui, dans des circonstances imminentes ou lointaines que nous ignorons, peuvent faire pencher les évolutions dans un sens ou un autre. Ils sont nombreux. Paradoxalement, l’offre est peut-être, hors crise, le facteur le moins sujet à de violents basculements : les producteurs d’énergie regorgent aujourd’hui de capitaux mais ils se rendent compte qu’ils ne peuvent pas imposer facilement et durablement des prix élevés, que la flexibilité de la production s’inscrit, à court et moyen terme, dans des limites assez étroites, que toute baisse des prix réduirait l’influence politique des plus remuants d’entre eux. Déjà, la pénurie mondiale de personnel qualifié tempère sérieusement les prurits nationalistes des producteurs de pétrole et de gaz.

Par contre, la demande peut aussi bien connaître des augmentations impétueuses (par exemple avec la propension des Chinois et des Indiens à acheter des automobiles), que des diminutions rapides (notamment si la douceur des hivers persiste dans les régions tempérées).

Pourtant l’essentiel se situe peut-être ailleurs. Par exemple, l’opinion publique désormais mondiale, passionnelle, changeante, violente dont on se demande comment elle supportera les décisions fortes et soudaines que des évolutions irréversibles sont susceptibles d’imposer. Par exemple, les pouvoirs politiques, dont la faiblesse, l’incapacité à pratiquer les régulations qu’ils prônent mettent en péril la maîtrise des grands équilibres en temps de crise. Par exemple, les capitaux en recherche d’utilisation de montants colossaux et sensibles au moindre zéphyr. Par exemple, la montée continue de l’immatériel dans la vie économique et sociale, contrepoint au regard un peu défraîchi que les milieux de l’énergie portent sur le monde.

Comment, en prospective, aborder ces données mouvantes ? Les grands opérateurs cherchent à se garantir pour le long terme en multipliant les contrats afin de garantir l’approvisionnement. Ils prennent toutes les précautions possibles : taux d’actualisation, prise en compte des externalités… Mais c’est dans des années qu’il apparaîtra si GDF a eu raison ou tort d’ouvrir le marché français à Gazprom : on dira alors que GDF a sauvé la France ou que GDF a vendu notre marché contre un plat de lentilles.

Peut-être les cours vont-ils grimper vers des sommets vertigineux (après tout, à quantité égale, le pétrole à 100 $, c’est la moitié de ce que coûte au consommateur le coca-cola). Peut-être le prix du pétrole reviendra-t-il (le gaz l’accompagnant) à son cours de 1998, 10 $ le baril, ou plus probablement entre 35 et 50 $ ? On a vu plus étonnant. Et si cette hypothèse est choquante en termes de développement durable ou de macro économie, elle l’est moins en micro économie.

L’attitude prospective consiste à se rappeler ce que disait Gaston Berger : « pour bien voir, il faut ne pas avoir d’avance dans l’œil l’image de ce que l’on veut à tout prix découvrir ».

Armand Braun

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