EDITORIAUX 2008
 

Décembre 2008
Prospective de la crise : naviguer par gros temps

Le mois dernier encore, nous avions le sentiment que la crise était devant nous. Maintenant, nous savons que nous y sommes entrés.

Comme Ulysse, évitons de nous laisser séduire par le chant des sirènes. En l’espèce, les financiers conjoncturistes et court-termistes ; les Etats, dont la capacité d’agir est inversement proportionnelle à leur dette publique et qui, incapables de mettre en œuvre les régulations existantes, en exigent de nouvelles ; les politiques, idéologues, journalistes, qui recherchent des boucs émissaires et vivent l’oreille collée au sol d’une opinion publique mondiale désemparée.

Comment en sortir ?

La comparaison avec la crise de 1929 induit des propositions qui, parce qu’elles s’en inspirent, nous inquiètent. Car les menaces ne sont pas les mêmes, avec la forte probabilité de crises variées (environnementales notamment) en cascades. Car notre monde, quatre-vingts ans après 1929, est infiniment plus complexe, plus intégré, plus riche, plus apte à traiter des problèmes certes encore plus difficiles. Car le niveau d’information, de formation, de conscience de nos contemporains est, quoiqu’on en dise, bien supérieur à ce qu’il était. Car toute initiative peut entraîner, qu’elle soit téméraire ou pusillanime, des enchaînements imprévisibles. Car la recherche de chemins pertinents requiert d’abord un diagnostic juste (il est bien connu qu’un diagnostic erroné, c’est la mort du malade).

En son temps, le diagnostic juste de Keynes, mis en œuvre par Roosevelt, a fini par triompher de la crise. Et si cette fois le diagnostic juste était différent, voire aux antipodes ? Et si, parce qu’elle atteint tout le monde, qu’elle va bien au-delà de l’économique, il s’agissait autant d’une bizarre psychose, provoquée et subie par chacun de nous, face à un adversaire immatériel ? Et si l’évaluation actuelle des acteurs, qui promeut les Etats et abaisse les autres, n’était qu’un contresens ? Et si les politiques envisagées correspondaient à celles, opposées, que tout le monde approuvait au temps du Président Hoover ? Nous ne sommes pas encore en mesure de proposer le diagnostic juste, mais nous devons nous y préparer et avoir conscience de l’ampleur des risques auxquels nous nous exposerions en nous trompant.

Imposons-nous la patience : si, comme il est probable, nous en avons pour longtemps, à travers bien des bourrasques, nous aurons grand besoin de cette vertu.

Prenons la mesure de ce que représente vraiment la crise : un changement d’époque. Observons ce qui régresse ou disparaît, ce qui surgit et semble devoir s’affirmer, ce qui résiste et se renforce ; saisissons l’opportunité que nous offre la nécessité, mère de toutes les réformes ; donnons réellement sa chance à la formidable inventivité de nos contemporains. Pour l’illustrer, lisez donc dans la rubrique « Actualités » les brèves : la démocratie à l’épreuve d’Internet et une petite île sous le vent. L’élection américaine met en œuvre un processus, appelé à se généraliser, de consultation des citoyens qui, soudain, vient profondément renouveler la pensée politique : une première depuis Montesquieu. Ce qui se passe à Samsø démontre qu’il est possible de rendre un peu moins inégalitaire la relation entre les grands services publics et leurs usagers. Tant d’autres initiatives sont à notre portée ! Et, pour commencer, car là réside un nœud du problème, mettre en cause effectivement la bureaucratie, le corporatisme, l’étatisme, obstacles omniprésents à l’adaptation.

C’est ainsi que nous commencerons à préparer la sortie de crise, même si nous la savons éloignée. Il ne s’agit pas de deviner quel paysage nous révèlera le beau temps quand il reviendra. Nous ne pouvons probablement pas en avoir idée. Nous savons seulement que ce ne sera pas le retour au statu quo ante et que, en faisant confiance à la société civile, nous nous donnerons une chance de ne pas répéter les horribles épreuves (totalitarismes, guerre mondiale) qui ont suivi la crise de 1929.

Spectateurs, nous ne le serions que de notre propre déchéance. Il s’agit bien d’agir, de mobiliser chaque personne, chaque collectivité, de nous demander ce que nous devrions vouloir pour que ce nouvel avenir réponde à nos espoirs.

Armand Braun

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