EDITORIAUX 2009

Avril 2009
Prospective de la solidarité

Depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France a développé un formidable système public de solidarité, principalement dans le cadre de la Sécurité sociale. Ce système est aujourd’hui puissant, omniprésent et, quoiqu’on dise, remarquablement performant.

Mais l’essoufflement qu’il manifestait depuis longtemps est amplifié par la crise. Celle-ci rend critiques des déséquilibres financiers qui n’étaient que graves, projette une incertitude sur les garanties (en matière de retraites notamment), révèle des insuffisances problématiques (les jeunes, les exclus). Elle montre à quel point nous sommes démunis. Elle est particulièrement mal vécue par les familles, à qui on avait fait croire que la prévoyance relevait désormais de la responsabilité collective, qui prennent soudain conscience que cela n’était pas vrai et qu’elles ne disposent d’aucun recours en face de la bureaucratie sociale, d’aucune alternative en face de désastres possibles.

A l’évidence, le système public de protection sociale a atteint et dépassé les limites de son développement potentiel. Il n’est plus en mesure de prendre en charge de nouvelles tâches. Son rôle dans la déresponsabilisation de tous et le repli individualiste de chacun ne fait plus débat. Chaque jour qui passe, ce système est un peu plus en porte-à-faux vis-à-vis des transformations profondes que connaît la société française.

En même temps, jamais cette dernière n’a autant qu’aujourd’hui eu besoin de ce système : il est donc très important de l’aider à s’adapter et à vivre. Mais c’en est déjà fini du rôle de leadership qu’il exerçait sur la protection sociale. Pour repenser l’ensemble de la problématique et tout particulièrement retrouver la solidarité de proximité (entraide, charité…) que le développement de la solidarité administrative avait rejetée dans l’ombre, il est bien tard. Mais ne pas le faire serait signer notre capitulation devant un drame que nous avons nous-mêmes provoqué.

La solidarité de proximité est possible, en regard de cette situation très paradoxale : la société se considère comme pauvre, la plupart des individus aussi, et ils ont raison ; et en même temps, nous restons, malgré les épreuves récentes, l’une des sociétés les plus riches du monde (le patrimoine des ménages représente plus des trois quarts du patrimoine national). Un mécanisme simple, à la portée des gens, à leur disposition effective, répondrait à leurs véritables attentes.

La solidarité de proximité permettrait d’écarter des problématiques désuètes comme celles de la transmission des ressources entre les générations ou de la prétendue désintégration des milieux familiaux. Surtout, elle serait le moyen de donner un cadre à l’invention de nouvelles formes de création de valeur au sein des familles : qui sait si, au XXIe siècle, la création de valeur en famille ne pourrait pas devenir la forme moderne de la solidarité ?

Ce n’est pas le lieu de développer les principes à partir desquels cette solidarité de proximité pourrait être mise en place : une conception de la famille ouverte à tous les liens, quels que soient les avatars des situations juridiques (divorces, remariages, recompositions…) ; une mobilisation sur longue période de ressources non pré-affectées pour aider à faire face aux imprévus et aux épreuves (licenciement, perte de logement, invalidité, reconversion professionnelle… au-delà des minima sociaux) et aux projets collectifs (cultiver les talents des jeunes…), peut-être aussi le microcrédit, pour lequel la famille serait un cadre naturel.

La solidarité de proximité, si longtemps récusée par les compétences, offrirait aujourd’hui à notre pays, si elle existait, un paysage social profondément différent de ce qu’il est. Alors que le péril est à nos portes, le combat que nous menons depuis longtemps pour les Associations de solidarité familiale fait plus que jamais sens.

Armand Braun

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