EDITORIAUX 2013

Octobre 2013

Prospective : au lendemain de l’affaire de Nice…

Spontané ou fabriqué, le rôle de Facebook dans l’affaire de l’agression du bijoutier de Nice est une nouvelle occasion de prendre conscience du pouvoir des réseaux sociaux, un pouvoir sui generis dont nul, il y a quelques années encore, ne pouvait imaginer qu’il surgirait.

Comment ne pas se réjouir du nouvel élan que les réseaux sociaux apportent à la société civile mondiale, sur tous les continents de manière à peu près simultanée ? Comment ne pas s’intéresser à cette expression de la communauté humaine tout entière, au-delà des protectionnismes, sectarismes et autres intérêts particuliers des nations et des groupes ?

Mais les réseaux sociaux sont encore dans l’enfance. La réflexion sur les impacts qu’ils exerceront bientôt n’a pas vraiment commencé. Actuellement, on s’inquiète des risques pour la vie privée, de ce que signifiera à terme la valorisation des données clients par le marketing, de la place qu’ils occupent déjà dans la vie de chacun. Comment ces jeunes géants vont-ils surmonter leurs maladies infantiles, avec quels imprévisibles enchaînements de causes et d’effets pour nos sociétés ?

Etant entendu que nous ne pouvons pas prendre la mesure de ce qui est en train de se passer, nous pouvons identifier quelques pistes de réflexion portant sur les lieux où se croisent les réseaux, les personnes et les groupes.

La piste la plus certaine, c’est la science et la technique. A chacun de nous, elles ouvrent des perspectives sans précédent dans l’expérience humaine. Elles nous ont déjà apporté dans le passé récent tant d’outils (dont le smartphone est le symbole actuel) que nous sommes en quelque sorte conditionnés pour deviner que d’autres encore vont nous arriver. Certaines de ces perspectives sont attractives, d’autres plus inquiétantes. Mais sommes-nous sûrs de pouvoir juger aujourd’hui de ce qui sera bien ou mal demain ? Ce qui est inquiétant c’est l’irréversibilité possible. Où sont les risques ? Comment les identifier et agir à temps, à partir de quelles références ? Et, le moment venu, qui dira où se situe l’optimum, dans ce qui pourrait s’effacer ou dans ce qui pourrait surgir ?

La piste la plus importante, parce qu’elle s’inscrit dans la continuité de notre expérience historique, parce qu’elle est légitimée par l’élection, parce qu’elle est en principe le lieu de l’action, c’est celle de la politique. Quelles seront les interactions entre la démocratie représentative et l’immense pouvoir en temps réel qu’est en train d’acquérir l’opinion publique ? Le vote électronique n’est qu’un début en regard de cette question. Comment gérer les nouvelles passions collectives qui ne vont pas manquer de surgir et que le système représentatif avait précisément pour but de canaliser ? A l’inverse, comment préserver les gens des abus de pouvoirs, notamment des Etats qui ont, inscrite dans leur nature, une propension totalitaire ?

Reste la piste à laquelle on ne pense pas et qui pourtant a trait à la dimension fondatrice de ce que nous sommes : la société civile. J’entends par là cet état supérieur de la civilisation qui rend possible la coexistence de gens qui, dans d’autres contextes, se persécutent ou se font la guerre. Qui rend possibles l’autonomie des personnes, la démocratie, la création de richesses. Cette société civile existe en Europe, en Amérique, plus ou moins et souvent moins dans beaucoup d’autres régions du monde … dont les populations rêvent de nos libertés. La société civile est issue d’une conquête que nombre de générations avant nous ont dû recommencer. Elle est le lieu du vivre ensemble. Parce qu’elle nous paraît aller de soi, nous ne nous rendons pas compte de sa fragilité. Elles sont grandes les menaces auxquelles elle est exposée. Si par malheur elle disparaissait, nous retrouverions l’intolérance, la violence, le chaos et le totalitarisme qui ont été si longtemps le lot de la plupart des populations.

« Notre maîtrise de la technologie est devenue un danger pour nous les humains. C’est pourquoi il est fondamental que nous devenions capables de nous rendre compte de ce qu’est notre responsabilité dans le long terme » (Jeff Bezos)

Armand Braun

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