À l’heure où l’on discute une loi sur les fausses informations – que les journaux appellent fake news en bon français – voici deux illustrations vécues, mais sans conséquences.
Un dimanche matin, nous allions, comme à notre habitude, faire quelques emplettes au marché. Oui, mais voilà, quelques politiques du coin – un ancien bien installé, soutenant un nouveau qui cherchait des voix – étaient venus inaugurer un nouveau stand « bio ».
Désireux de les éviter, nous arrivâmes à la première heure. Déjà l’agitation régnait. Ayant repéré, devant à droite, une troupe serrée surmontée de micros sur perches, nous fonçâmes au fond à gauche, là où officiait Éric, notre poissonnier favori. Mon tour vint vite et je lui demandai quelques dos de cabillaud. Alors qu’il s’apprêtait à les peser, surgit la troupe. Le jeune politicien en veine de publicité me prit la main par surprise, la secoua ostensiblement sous les flashs et se tourna vers le poissonnier pour un échange de propos légers. Puis ils s’en furent. Éric reprit ma commande en s’excusant. Même mésaventure chez le maraîcher, avec Armand sur la photo cette fois.
Aucun de ceux qui mendiaient l’attention ne l’obtint, seulement nous, qui ne la cherchions pas.
Le mercredi suivant, Le Canard enchainé consacrait un encadré à cet « événement ». Avec quelques précisions pittoresques et, faut-il le préciser, tout à fait inexactes : le vieux politicien aurait acheté un dos de cabillaud au marché. À la journaliste de Libération qui lui demandait s’il n’achetait pas aussi du poisson, le jouvenceau aurait répondu : « Non, ma compagne a déjà fait les courses ».
Je ne m’étonnai guère. Ce n’est pas parce que c’est imprimé que c’est exact. La relation entre les écrits qui nous sont soumis et la réalité est ce qu’elle est, comme chacun sait.
En ce qui me concerne, je le sais depuis l’âge de dix ans. J’habitais en pleine ville, sur une place, dans le vieux Lille. Un jeudi matin (le jour sans école qui précéda le mercredi), j’entendis comme un fort et continu ronronnement de moteur dans la rue. J’allai à la fenêtre et vis, en face, sur le pan coupé d’un immeuble qui faisait le coin, à peu près à hauteur d’homme, posé contre la pierre noire de suie, un nuage clair, agité et bourdonnant. De quoi pouvait-il s’agir ? « C’est un essaim d’abeilles », m’expliqua mon père, qui avait été élevé à la campagne.
Fascinée, la petite citadine que j’étais passa toute la journée à la fenêtre. À 17 heures précises eut lieu le clou du spectacle : un apiculteur en grande tenue, masqué et tout de blanc vêtu. Il attrapa adroitement l’essaim avec une sorte de grand filet à papillons, l’enferma dans une boîte et s’en fut.
Le lendemain, un entrefilet dans La Voix du Nord relatait le fait-divers. Je me souviens mot pour mot de la dernière phrase : « Vers le soir, les petites bêtes s’étant bien reposées reprirent leur envol ».
Au fait, le stand bio du marché a disparu depuis et les personnalités autour desquels se précipitaient badauds et courtisans partagent avec nous tous, chers lecteurs, un bienheureux anonymat.
Hélène Braun
La compréhension de l’emboîtement des échelles de temps est fondamentale en histoire naturelle. En ce sens, cette dernière peut apporter à d’autres disciplines scientifiques un éclairage sur la dimension historique et la complexité des processus qu’elles étudient. Par exemple, appréhender des domaines aussi différents que l’épidémiologie des maladies infectieuses, l’adaptation des organismes aux changements climatiques ou l’impact des organismes génétiquement modifiés sur la biodiversité sauvage, suppose de les étudier sur le temps long pour en comprendre pleinement les mécanismes.
Que sera l’histoire naturelle en 2100 ? Il est très probable que les pressions anthropiques se seront accrues et que beaucoup d’espèces ne seront plus connues que par des spécimens de collections. Les questions qui émergent aujourd'hui se poseront avec plus d’acuité : que faut-il conserver ? faut-il conserver à tout prix ? qu’est-ce que préserver les espèces, les zones naturelles, face à une humanité en demande constante d’espace et de ressources ?
Le très court terme s’impose hélas dans des décisions pour lesquelles une autre vision du temps serait indispensable. Les espaces protégés sont peu à peu rognés, déclassés, et la protection des espèces en danger reste souvent un vœu pieux.
Le contrôle raisonné et éthiquement responsable des limites quantitatives dévolues à notre propre espèce demeure la clé d’un avenir désirable. C’est à ce prix que l’on pourra éventuellement envisager de restaurer au cours du siècle une nouvelle interaction durable où l’humain tout en gardant les bénéfices de ses propres productions, et sans doute en les accroissant, saura se réinsérer en nature d’une manière moins conquérante.
L’histoire naturelle pourrait devenir un « code civil naturel », un pacte de non-agression - comme l’évolution en a produit par nécessité chez de nombreuses espèces d’un écosystème – et, sur une planète aux ressources limités et soumises aux aléas climatiques, nous aider à construire un futur durable et équilibré.
Collectif - Manifeste du Muséum, quel futur sans nature ? (Relief, Muséum d’histoire naturelle)
Pablo Servigne a constaté que toute la nature n’obéissait pas à la loi du plus fort, que les manchots se regroupaient pour résister au froid, que les fourmis produisaient pour leurs gardiennes la nourriture nécessaire à la défense de l’arbre, que les lionnes chassaient ensemble, que les arbres eux-mêmes redistribuaient les nutriments aux plus faibles d’entre eux, bref qu’au sein du règne naturel la loi du plus fort ne règne pas sans partage puisque l’entraide y prospère également.
Sauf qu’il n’y a aucun sens à parler de loi du plus fort au sein du règne naturel ou d’entraide ou d’altruisme. La loi du plus fort, l’entraide ou l’altruisme sont des mots humains qui désignent des vices ou des vertus humaines. D’ailleurs, au sein du règne naturel, ce n’est pas le plus fort qui survit, c’est le plus apte, le mieux adapté, ce qui n’a rien à voir avec la force.
La loi du plus fort c’est la façon dont les hommes qui voulaient en réduire d’autres en esclavage se sont représenté la nature opportunément pour y trouver la justification de leurs actes. Même chose pour l’entraide. Ce n’est pas par bonté, ni par altruisme, ni par charité chrétienne que les loups veillent sur la horde, que les fourmis se protègent ou que les arbres échangent leurs nutriments. Il n’y a pas de sens à leur attribuer des sentiments. Ces mots-là sur des animaux n’ont pas lieu d’être, sinon dans Les Fables de La Fontaine.
En scientifique militant, Pablo Servigne veut monter que l’entraide est un principe naturel. En faisant cela il fait comme si la nature devait nous servir de référence, exactement comme les esclavagistes se servaient de la nature pour dire : regardez, c’est la loi du plus fort partout.
Qu’on s’appuie sur l’égoïsme de la nature pour justifier l’esclavage ou qu’on célèbre son altruisme, pardon, mais on délire de la même manière.
Raphaël Enthoven – Europe 1 – 31 janvier 2018
Le chêne de la Vierge à Viroflay (Yvelines) avec ses branches écartées comme des bras, les majestueux séquoias de Ferrières-en-Brie (Seine et Marne), le marronnier de Wissous (Essonne) et son entrelacs de racines : autant d’arbres à la beauté spectaculaire mais en danger. Pour les sauver, eux et d’autres, un comité régional des arbres remarquables s’est constitué en Ile-de-France. Sa mission : les inventorier, les faire connaître et les préserver.
Les critères peuvent être la beauté et l’originalité, la taille, l’ancienneté, la rareté botanique, une forte identité historique. Méritent ainsi le titre d’arbre remarquable le platane de Coubron (Seine-Saint-Denis) qui atteint 40 m. de hauteur, le cèdre du Liban du Jardin des Plantes rapporté d’Angleterre en 1734 par Bernard de Jussieu, l’arbre de la liberté de Boutigny (Essonne), un tilleul planté au moment de la Révolution et qui, contrairement à la plupart de ses congénères, n’a pas été abattu sous la Restauration…
Bien sûr, il faudrait élargir cette mesure à tout le pays. On abat aujourd'hui des arbres centenaires comme on démolissait des chapelles gothiques au XIXe siècle.
Quelle protection légale utile leur inventer ? Les classer monuments historiques semble légitime. Mais, contrairement à un immeuble, un arbre est un être vivant, destiné à mourir un jour. Surtout, il faudrait trouver une solution simple et pratique. Le contraire de ce qui s’est passé quand on a essayé de protéger le platane de Cézy (Yonne) haut de 42 m : au terme d’une procédure qui a duré 6 ans, le site a été classé mais pas le platane lui-même !
H. Gué – Le Journal du Dimanche – 18 février 2018
Andrew Turton et Pete Ceglinski, deux surfeurs australiens, étaient dégoûtés par les déchets flottants sur l’eau. Ensemble, avec un océanographe, Sergio Halpern, ils ont inventé un système simple de dépollution.
Seabin est une petite poubelle flottante. Un conteneur cylindrique, équipé d’un sac en fibres naturelles, se maintient à la surface de l’eau ; en-dessous, une pompe silencieuse aspire et rejette l’eau traitée dans un séparateur à hydrocarbures ; un filtre retient les déchets capturés. Le système peut fonctionner en continu si besoin.
Les déchets récoltés mesurent de 2 mm à 40 cm (le diamètre du conteneur). Placée stratégiquement dans un port, à l’endroit où s’accumulent les petits détritus flottants, Seabin attrape en moyenne 1,5 kg de déchets par jour, en filtrant 25 000 litres d’eau par heure. Algues, feuilles, branches, souvent couverts d’hydrocarbures, constituent le gros du volume. Seabin est aussi capable de retenir les détergents. Et, bien sûr, le plastique. Enfin les mégots de cigarettes emportés dans les égouts et qui finissent à la mer.
Pas de danger pour la faune marine : de temps en temps un petit poisson se fait prendre, mais on peut le rejeter à l’eau.
Imaginée en 2011, devenu prototype en 2015, Seabin a été commercialisée en novembre 2017 par l’entreprise Seabin Project. Aujourd’hui elle a trouvé sa place dans les ports de nombreuses villes du monde, en Irlande, à Singapour, en Australie, dans les Bermudes… En France elle est testée à Marseille et dans le bassin de la Villette.
Prochains défis : attraper les micro-plastiques inférieurs à 2 mm (le problème est que plus la maille est fine, plus elle va se boucher vite) ; aller à la surface des océans (pour le moment, la Seabin est limitée aux ports car elle ne peut fonctionner que sur des eaux calmes).
Les sept membres de l’entreprise Seabin Project consacrent aussi une grande partie de leur temps à la sensibilisation du public : la vraie solution, soulignent-ils, n’est pas de dépolluer mais de réduire à la source la production de plastique et d’arriver, à terme, à un monde où la Seabin serait inutile.
Leïla Marchand – Les Echos – 29 mai 2018
Dans les années 1970, Penny Patterson, une chercheuse de Stanford souhaitait tester les capacités d’apprentissage et d’expression des grands singes. « Puisqu’ils ne peuvent pas parler, pourquoi ne pas leur enseigner la langue des signes ? », s’est-elle dit.
Son sujet d’étude devient vite célèbre. C’est Koko, une jeune gorille née en 1971, qui montre des compétences exceptionnelles. A l’âge de 4 ans, elle maîtrise 170 mots et en construit de nouveaux. Adulte, elle en signera 1 000 et en comprendra 2 000. Elle fait deux fois la couverture du National Geographic et est invitée dans des show télévisés.
Même si on ne sait pas la part du conditionnement et si certains pensent qu’on a surinterprété, il reste que son intelligence, son sens de l’humour, sa sensibilité (elle expliquait par signes son chagrin à la mort d’un petit chat qu’elle affectionnait) ont bouleversé l’image populaire des grands singes.
Koko est morte dans son sommeil ce mois de juin, à l’âge de 46 ans.
De l’aventure de Penny et Koko, Sabrina Krief, primatologue au Muséum national d’histoire naturelle, tire une leçon d’éthologie : « Avec Koko s’éteint peut-être une époque où certains humains étudiaient les grands singes en voulant leur faire adopter des pratiques et comportements humains, où, pour montrer leur ̏intelligence ̋, ils voulaient la comparer aux capacités cognitives humaines qui étaient LA référence. J’ose espérer qu’aujourd'hui on puisse s’émerveiller des capacités des grands singes dans leur habitat naturel, pour leur valeur intrinsèque, reconnaître leurs étonnantes cultures, leurs fabuleuses capacités de communication à travers les vocalisations, les gestes, les expressions faciales et corporelles, le tambourinage sur les racines. »
Laisser s’exprimer l’intelligence des gorilles au cœurs des forêts tropicales : à l’heure où la survie de l’espèce apparaît engagée, tel pourrait être le dernier message de Koko.
Nathaniel Herzberg – Le Monde – 4 juillet 2018
Les éléphants ont une peur bleue des abeilles. Dès qu’ils entendent le bourdonnement d’une ruche, les voilà qui soulèvent la poussière avec leurs grosses pattes et se donnent des gifles avec les oreilles. Certes le dard de l’insecte ne peut transpercer la peau épaisse d’un éléphant. Mais quand les abeilles d’Afrique essaiment, elles sont des centaines et particulièrement agressives. Et alors elles attaquent les parties les plus sensible de l’animal : la trompe, la bouche, les yeux.
Or, souvent, trop souvent, des fermiers tirent sur des éléphants parce qu’ils s’approchent trop près de leurs plantations. Il arrive même que, pour garder leurs champs, ils autorisent des braconniers à avoir accès chez eux.
Des protecteurs des éléphants ont convaincu ces fermiers de mettre à profit la peur panique des éléphants à l’égard des abeilles pour protéger leurs cultures. Poser une ruche tous les 20 mètres – en alternant avec des ruches factices – peut tenir éloignés 80% des éléphants.
Karen Weintraub – International New York Times – 3 février 2018
Ce sont les oiseaux qui ont donné le feu aux hommes, dit la mythologie aborigène.
Quoiqu’il en soit, en Australie, certains rapaces sont amis du feu. À tel point qu’on les a surnommés en anglais Firehawk. Les milans noirs, les milans siffleurs et les faucons bruns chassent en troupes aux abords des incendies pour attraper les petits animaux chassés par la fumée et les étincelles.
Et quand le feu est sur le point de s’éteindre, ils saisissent dans leur bec ou leurs serres des branchages partiellement enflammés et les transportent plus loin afin d’aider le feu à franchir une route, une rivière ou un col. Ils provoquent ainsi un nouvel incendie et se procurent un nouveau terrain de chasse.
Les rangers aborigènes prennent en compte le risque causé par les rapaces pyromanes quand ils allument des feux de brousse pour se ménager des terrains de chasse et des terres agricoles. Il arrive aussi qu’ils accusent les oiseaux à la suite de feux mal circonscrits.
Pour les officiels, ce n’était qu’une légende et ils n’en tenaient pas compte.
Pourquoi les Aborigènes qui vivent depuis au moins 40 000 ans au plus près de la faune et de la flore n’auraient-ils pas de leur pays une connaissance meilleure que d’autres ? Les Dr. Gosford, Bonta et leurs collègues ornithologistes se sont posé la question.
Ils ont rassemblé de nombreux témoignages rapportés de 1963 à 2016 sur de vastes territoires et provenant de sources variées (ornithologistes, agriculteurs, pompiers…).
Le plus célèbre est celui de Phillip Waipuldanya Robert, dans son autobiographie, Moi, l’Aborigène, publiée en 1964 : « J’ai vu un rapace se saisir d’une branche dans ses serres et la laisser tomber huit cent mètres plus loin sur un terrain couvert d’herbe sèche afin d’y mettre le feu. Puis il a attendu avec ses compagnons l’exode des rongeurs et des reptiles effrayés et écorchés. »
Toutes ces observations se recoupent et le confirment : l’oiseau pyromane est une réalité et il ne fait pas de doute que son geste est intentionnel. La découverte a fait l’objet d’une parution dans le Journal of Ethnobiology et les recherches se poursuivent.
Peter Dockrill – http:// www.scientalert.com/ – 10 janvier 2018
Nathaniel Herzberg – Le Monde – 24 janvier 2018
Asher Elbein – International New York Times – 7 février 2018
Il est question actuellement de dé-extinction : avec de nouvelles techniques génétiques, il sera peut-être possible, dans un avenir proche, de ressusciter des espèces disparues. Cette démarche pose des questions existentielles : est-il bien prudent de réintroduire des hybrides artificiels dans un environnement avec lequel ils ne sont pas forcément compatibles ? À quoi bon des efforts financiers disproportionnés alors que les programmes de conservation des espèces en danger manquent cruellement de fonds ?
Et une question plus triviale : quel nom leur donner ?
Disparu depuis quatre mille ans, le mammouth laineux renaîtra peut-être dans deux ans. L’animal sera le fruit de modifications réalisées sur l’ADN d’un embryon d’éléphant d’Asie. Porté par une éléphante moderne, il présentera les caractéristiques de son ancien parent : des oreilles plus petites, des poils plus longs, une graisse plus abondante.
Comment appeler cet animal qui – si l’expérience réussit, ce qui n’est pas encore sûr – ne sera ni tout à fait un mammouth, ni tout à fait un éléphant ? Un « élémouth » ?...
C’est le naturaliste suédois Carl Linné qui, au XVIIIe siècle, a répertorié, nommé et classé de manière systématique les espèces vivantes connues à son époque. Il a inventé la nomenclature binominale, attribuant à chaque être vivant un nom d’espèce et un nom de genre, en latin. Cet outil formidable, langage commun pour les botanistes et les zoologistes du monde entier, s’est imposé au XIXe siècle et a encore cours. Linné a catégorisé 14 000 êtres vivants. Il y en a aujourd'hui plus de 1 million et demi. 10 millions d’autres n’ont pas encore été identifiés.
Cependant, plus on connaît la nature, plus on l’explore, plus on se rend compte qu’elle est désordonnée, chaotique, envahissante. Qu’elle n’entre pas forcément dans des catégories bien ordonnées. Observer, nommer, c’est bien. Mais il ne faudrait pas que cela revienne à dresser une barrière invisible entre l’homme et elle. Le naturaliste ne doit jamais oublier qu’il fait aussi partie de cette nature et, quand il se trouve dans un beau paysage (en Laponie, par exemple, sur les traces de Linné), il doit savoir l’admirer et s’y perdre … au-delà des mots.
James Prosex – International New York Times – 13 juin 2017
Nathaniel Herzberg – Le Monde – 14 juillet 2018
Comme son autre nom de Pays-Bas l’indique, la Hollande se situe en-dessous du niveau de la mer. Dès l’origine, des terrains ont été gagnés sur la mer pour des champs et des maisons. Là-bas, l’eau est existentielle, fondant la survie et l’identité nationale. La résilience contre les inondations est planifiée. Tous les habitants apprennent à vivre avec l’eau et ses risques omniprésents : les écoliers doivent savoir nager tout habillés, les citadins dépavent leurs jardins afin que la terre absorbe la pluie…
Les experts néerlandais sont appelés à l’aide dans le monde entier. Leurs conseils en matière d’abris et de voies d’évacuation ont ainsi permis aux autorités du Bengladesh de voir diminuer sensiblement le nombre des victimes lors des dernières moussons.
Certes, il s’agit de se défendre contre l’eau et le suffixe « dam » dans Amsterdam, Rotterdam, Edam, etc., qui signifie « barrage » ou « digue », est bien là pour le rappeler. À Rotterdam, la ville qui s’affiche comme la capitale des inventions en la matière, le Maeslantkering, est une barrière monumentale en acier, destinée à défendre la ville contre les tempêtes de la Mer du Nord. Mais il y a une limite à la hauteur des murs derrière lesquels il est possible de vivre. L’autre approche, complémentaire, est de faire sa place à l’eau : parkings, lacs, parcs, places publiques peuvent servir de réservoirs en cas de débordement de la mer et des rivières.
Aux Pays-Bas, les changements climatiques à venir ne sont pas vus comme une menace hypothétique mais comme de futures opportunités.
Michael Kimmelman – International New York Times – 18 juin 2017
Il y a 186 millions d’années, la chute d’une météorite a mis fin à l’ère des dinosaures. Mais cette catastrophe est peu de chose comparée à celle qui s’est produite il y a 252 millions d’années : l’extinction permienne. À cette époque, 90% de la vie marine et 75% de la vie terrestre disparurent. Plus d’arbres, les insectes se turent, les microbes remplacèrent les coraux. Il n’y eut plus, pendant des millions d’années, que des champignons, comme la pourriture d’une Terre moribonde. Celle-ci mit 10 millions d’années à s’en remettre, avant d’accueillir les dinosaures.
Même si d’autres facteurs sont entrés en ligne de compte, il est très probable que cette apocalypse fut en très grande partie provoquée par une gigantesque émission de gaz carbonique émise simultanément par d’énormes et nombreux volcans en Sibérie.
Au plus fort de l’extinction permienne, la lave recouvrait des millions d’hectares de la Pangée – il en reste la trace dans les couches de basalte épaisses de plusieurs kilomètres qui recouvrent de vastes zones en Sibérie. S’insinuant dans les souterrains, le magma mit le feu aux roches carboniques qui éclatèrent à la surface du sol sous forme d’explosions de gaz. Dans le chaos qui s’ensuivit, la température globale grimpa, la vie disparut dans les océans privés d’oxygène aux eaux acidifiées. La Terre faillit mourir.
Le spectacle de ce qui se passe aujourd'hui a, pour les paléontologues, un air de déjà-vu.
En brûlant les anciennes réserves de carbone qui dormaient sous la terre sous forme de charbon, de pétrole et de gaz naturel, l’humanité joue le rôle des anciens volcans de Sibérie. L’excès de gaz carbonique dans les océans et l’acidité croissante de l’eau (+30% depuis la Révolution industrielle) prive de calcium les animaux qui en ont besoin pour construire leur squelette. Le plancton, maillon indispensable dans la chaîne alimentaire, risque de disparaître complètement d’ici à 2050, de même que les coraux, déjà bien malades, qui abritent 25% de la biodiversité marine. Le réchauffement de l’atmosphère, l’aggravation de la pollution due à l’agriculture et à la vie urbaine, privent l’eau de mer de son oxygène.
Et tout cela se passe dix fois plus vite que pendant la pire des catastrophes de mémoire de Terre !
Peter Brannen – International New York Times – 1er août 2017