Le politiquement correct : un rite de passage ?

Le puissant mouvement en faveur du politiquement correct, à l’œuvre depuis quelques années, ne cesse de s’étendre.
Son épicentre se situe dans les universités les plus prestigieuses du monde : Oxford et Cambridge en Grande-Bretagne, les grandes universités de l’Est et de l’Ouest des Etats-Unis, ailleurs aussi.
Les révolutionnaires des années 1960 et 1970 (1968 en France) aspiraient à changer le monde. Leurs petits-enfants aujourd'hui nous expliquent qu’ils sont des victimes et nous demandent de conformer le monde à leur souci d’être protégés et de protéger les autres des injustices et des épreuves. Dans ces creusets de la pensée neuve que sont supposées être les universités se produisent des dérapages de la tolérance vers l’intolérance. Les processus accusatoires se multiplient autour de sujets tels que le sexisme, le colonialisme, l’homophobie, l’islamophobie… Les prévenus sont des contemporains, mais aussi des grandes voix du passé. Les enseignants se taisent, démissionnent, sont parfois chassés. La masse étudiante est fermement invitée à « s’engager ».
Médias et réseaux sociaux en sont les puissants relais, les opinions publiques semblent s’apprêter à suivre et les pouvoirs politiques évaluent les menaces et les opportunités qui en découlent en regard de leurs propres objectifs.
Nous retrouvons ce contre quoi l’humanité a toujours lutté : l’ignorance, l’intolérance, le refoulement de la pensée personnelle, le contrôle social. Le politiquement correct est-il un phénomène momentané ou une maladie de la civilisation ? La jeunesse doit être le temps de l’émancipation intellectuelle. Si ce temps est gâché par des conditionnements et des modes, par l’obligation de se conformer, il sera pour toute la vie dilapidé dans une préparation à la soumission et la dissuasion de l’effort et de la pensée personnels.
Y a-t-il lieu de se rappeler que c’est dans la jeunesse désenchantée que des tyrannies ont dans le passé recruté leurs troupes de choc ? Il arrive ici ou là (le passé et même l’actualité en fournissent des illustrations) que des groupes marginaux réussissent à s’installer au pouvoir : ils ne le lâcheront plus et pourront à loisir faire supporter aux populations les effets de leur délire.
Le profond changement du monde explique pour une part le désarroi de beaucoup d’étudiants. Les étudiants en sciences, ceux qui souhaitent devenir ingénieurs et quelques autres ont l’idée d’une destination professionnelle. Mais tous les autres redoutent qu’au bout de la route il n’y ait pas de destination, alors que nous entrons dans une période sans croissance économique et que la compétition pour l’emploi devient un jeu à somme nulle. Ils sont anxieux, effrayés et en colère. Qui ne le serait pas ?
Regardons les choses autrement. Il est un problème que l’humanité a toujours connu : le passage de l’enfance à l’âge adulte. Hier, la plupart de ces jeunes ont été choyés et protégés. Demain, comme c’est le cas pour chaque génération, les jeunes seront seuls et responsables d’eux-mêmes. C’est l’une des missions de l’université que d’être un lieu majeur de cette métamorphose, que Françoise Dolto a expliquée dans Paroles pour adolescents ou Le complexe du homard.
Accompagnons ces jeunes dans leur métamorphose. Spontanément, ils se débarrasseront des conditionnements et formatages respectifs de leur enfance et de leur passage dans l’enseignement supérieur. Dans le bruit et la fureur, ils deviendront des adultes.

Armand Braun

Décodage du génome et éthique

Jennifer Doudna, est une biologiste américaine, lauréate avec la Française Emmanuelle Charpentier du prix L’Oréal-Unesco « pour les femmes et la science » pour leurs travaux sur une technologie de réécriture du génome, Crispr-Cas9. Cette technique aux capacités inédites de couper-copier-coller génétique a été adoptée par les laboratoires de biologie du monde entier.

« Modifier un gène dans un tissu », dit-elle, « est très analogue à d’autres types de thérapies. On doit s’assurer que c’est sûr et efficace. Au-delà, je ne vois pas de problème éthique, car cette modification ne sera pas transmise aux générations futures. Le défi éthique survient quand les modifications affectent les cellules germinales, donc les futures générations, qu’il s’agisse d’humains ou d’organismes relâchés dans l’environnement.

Je suis souvent appelée par des personnes qui souhaitent des applications cliniques. Ce ne sont pas des gens qui veulent des enfants plus grands ou plus intelligents, mais qui ont dans leur famille des proches atteints de maladies génétiques très graves et qui voudraient faire disparaître ces mutations de leur ADN. Je leur explique le consensus auquel nous sommes parvenus lors d’une réunion internationale en décembre 2015 à Washington. Ce consensus distingue l’édition de cellules somatiques de celle de cellules germinales. Avec des réglementations appropriées, la recherche fondamentale sur ces deux types de cellules devrait être autorisée aujourd'hui. En revanche, les applications cliniques sur les embryons humains, qui pourraient conduire à une implantation pour créer une personne génétiquement éditée, ne devraient pas être poursuivies aujourd'hui. C’est trop tôt. »

Jennifer Doudna - Propos recueillis par Nathaniel Hertzberg et Hervé Morin
Le Monde – 23 mars 2016

Des graffiti numériques

Depuis longtemps, le Duomo de Florence et plus particulièrement les murs de l’escalier de 414 marches du Campanile de Giotto sont souillés par des graffitis. Les efforts réalisés pour dissuader les touristes n’ont servi à rien. L’architecte qui gère actuellement ce monument, Beatrice Agostini, a nettoyé l’ensemble du bâtiment avec le concours de neuf professionnels. C’est une tâche difficile : «  Sur le marbre, c’est le pire ; les traces ne partent plus jamais ».

Alice Filipponi, chargée des relations avec le public, a imaginé une solution expérimentée en ce moment : permettre aux visiteurs de laisser, sur des tablettes, des graffiti virtuels, avec des mots, des dessins, des symboles ; sur un fond figurant le bois, le marbre, la pierre ou le métal ; avec le choix « d’écrire » avec une bombe de peinture, un rouge à lèvres, un marqueur, des traces de doigts… Les auteurs qui laissent leur nom et leurs coordonnées seront informés de la publication de leur « œuvre ». Ces messages sont stockés sur un site et archivés en ligne « pour l’éternité ». Ils seront dans l’avenir imprimés et ajoutés aux archives du Duomo qui remontent à 1296.

Gaia Pianigiani – International New York Times – 18 mars 2016

Des couveuses qui cartonnent

La vie de milliers de bébés pourrait être sauvée grâce à l’invention d’un jeune étudiant indien du Royal College de Londres. Malav Sanghavi a conçu une couveuse low cost en carton. « L’idée lui est venue quand la fille de sa cousine a accouché d’un bébé prématuré. », rapporte India Today. La jeune femme a profité de matériel de qualité pour maintenir son bébé en vie, « mais l’étudiant s’est pris à penser aux enfants voyant le jour dans les zones reculées et démunies du pays. »

En Inde, près de 300 000 nouveau-nés meurent chaque année dans les vingt-quatre heures qui suivent leur naissance, souvent à cause du manque d’équipements.

La BabyLifeBox est un berceau en carton, bon marché, facile à transporter plié et à déplier à l’arrivée, dans lequel on peut coucher un bébé jusqu’à huit mois. C’est surtout une véritable couveuse dotée d’un dispositif de chauffage, d’un filtre à air, d’un humidificateur et d’un monitoring pour enregistrer le cœur et la température corporelle. Elle pourrait sauver des milliers de nourrissons en Inde et à travers le monde.

Courrier International – 17 mars 2016
malav.sanghavi14@imperial.ac.uk

Hommage posthume à deux inventeurs

Dans une précédente parution, prospective.fr s’est désolé du fait que c’est lorsque paraît leur nécrologie que le grand public apprend ce que fut la vie de certaines personnalités qui auraient mérité une plus grande notoriété de leur vivant. Voici deux hommes tout récemment disparus, qui ont apporté une contribution remarquable à notre communication écrite actuelle.

Robert Palladino était, comme l’indiquait sa carte de visite, moine trappiste et calligraphe. Il écrivait à la main de magnifiques diplômes et certificats de baptême. De 1969 à 1984, il a enseigné la calligraphie au Reed College à Portland (Oregon). C’est ainsi que Steve Jobs qui était passé brièvement par cette faculté en 1972 a suivi son cours. Il s’en souviendra dix ans plus tard au moment de concevoir la typographie des ordinateurs personnels : « Sans le père Palladino, les Mac n’auraient pas eu ces magnifiques caractères, avec des espaces si bien proportionnés ; c’est auprès de lui que j’ai appris serif, et sans serif, et comment varier les espaces entre les lettres pour que l’ensemble reste harmonieux ». Cependant, le père Palladino qui a inspiré les caractères familiers à tous les utilisateurs d’ordinateurs (d’abord Mac puis Windows qui les a repris) n’a jamais utilisé un ordinateur de sa vie !

Ray (Raymond Samuel) Tomlinson a inventé l’e-mail en développant, en 1971, la première application qui permet d’envoyer des messages d’un ordinateur à l’autre. « Les premiers messages ont été envoyés entre deux machines. Lorsque j’ai estimé que le programme semblait fonctionner, j’ai envoyé un message au reste de mon groupe, expliquant comment envoyer des messages sur le réseau. La première utilisation d’un réseau de courriel annonçait sa propre existence ! »

C’est Ray Tomlinson qui a mis au point la première adresse électronique en utilisant le fameux arobase, qui permet de distinguer le courrier local du courrier transitant sur le réseau. Ce signe avait été utilisé la première fois pour indiquer un prix - tant d’objets à (@) tel prix - par un marchand florentin, Francesco Lapi, en 1536. Le fait que ce signe n’apparaît dans aucun nom propre en faisait un outil idéal. User@host allait devenir la norme mondiale pour les courriers électroniques.

Margalit Fox – International New York Times – 4 mars 2016
Stéphane Lauer – Le Monde – 9 mars 2016

Le bon côté des espèces invasives

Les organisations de protection de l’environnement considèrent généralement les espèces exogènes comme une menace pour le milieu naturel où elles se sont (ou ont été) introduites. Dans le doute, elles sont présumées coupables.

Mais de plus en plus de scientifiques se rendent compte que toutes ne sont pas destructrices. Certaines seraient même bénéfiques. « C’est presque un dogme : Dieu a mis les choses là où elles sont, pas question qu’elles changent de place », dit l’écologiste britannique Ken Thompson, pour lequel « les espèces invasives ne sont pas toutes mauvaises ».

Les monarques, ces papillons migrateurs qui arrivent chaque hiver en Californie, se posent de préférence sur les eucalyptus, arbres exotiques transplantés dans l’Etat il y a plus d’un siècle et demi. En Espagne, des crustacés venus d’ailleurs sont la proie favorite d’oiseaux de marais, dont certains étaient menacés d’extinction. Dans l’ouest des Etats-Unis, les tamaris, ont été accusés de nuire aux espèces locales ; puis on s’est rendu compte qu’ils ne sont pas plus gourmands en eau que les autres arbres et abritent de très nombreux oiseaux, notamment le moucherolle des saules.

L’antipathie envers les plantes et les animaux venus d’ailleurs est récente. Cela fait des siècles que l’homme déplace flore et faune à travers le monde. La distinction entre espèce indigène et espèce exogène dépend de l’époque où celle-ci est arrivée. Le cheval, emblématique de l’Ouest américain, y a été réintroduit pas les Espagnols des milliers d’années après l’extinction du cheval nord-américain originel. Fleurs, poissons, insectes -  notamment l’abeille – qui ornent les armoiries de beaucoup d’Etat sont en réalité des « immigrants ». Quand un groupe de castors est venu construire des barrages en Ecosse il y a quelques années, les fermiers et les agriculteurs les ont traités d’envahisseurs dangereux qui allaient nuire aux cultures, détruire les saumons et transmettre des maladies. Mais les castors habitaient là il y a des siècles, avant qu’une chasse intensive ne les éradique.

En raison de la globalisation, la flore et la faune du monde deviennent de plus en plus homogènes. La démographie humaine condamne davantage d’animaux et de plantes à disparaître ou les pousse à choisir d’autres territoires. On confond « invasion » et « changement ». Il est sûr que d’autres changements adviendront. D’autres dilemmes. D’autres paradoxes, comme celui du pin de Monterey, menacé de disparaître en Californie et au Mexique d’où il est natif et qui est traité comme un nuisible en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Erica Goode – International New York Times – 2 mars 2016

Une alternative aux cellules souches

Des chercheurs du Centre de médecine moléculaire Max-Delbrück de Berlin et du Centre d’immunologie de Marseille-Lumigny pensent avoir trouvé une alternative à l’usage controversé des cellules souches embryonnaires. Ils ont montré que, dans certaines situations, des cellules matures de l’organisme, comme les macrophages – ces cellules issues du sang qui, dans les poumons, le foie, les tissus nerveux, les os, la rate et les tissus conjonctifs, digèrent les poussières et les cellules nécrotiques – peuvent activer un « kit » endormi de gènes qui leur donne la même capacité de s’auto-renouveler indéfiniment.

« Au lieu d’utiliser des embryons humains, on pourra donc se contenter de rajeunir des vieilles cellules du patient avant de les lui réinjecter, voire même utiliser directement des macrophages pour stimuler la régénération tissulaire dans des indications comme l’infarctus du myocarde ou certaines maladies pulmonaires », pronostique l’immunologiste MichaeL Siweke, qui signe l’étude. Il y a quelques années, il avait montré par manipulation génétique que des « interrupteurs » à gènes jouent un rôle décisif dans ce processus. La nouvelle découverte franchit une étape, en parvenant à activer le phénomène de façon naturelle.

Paul Molga – Les Echos – 29 février 2016

Des microbes pour contrecarrer la malnutrition ?

Près d’un million d’enfants en Afrique de l’Est et australe sont actuellement atteints de malnutrition aigüe sévère. Quand elle n’est pas mortelle, celle-ci entraîne un retard de croissance et de développement intellectuel et un affaiblissement immunitaire, que le retour à une alimentation normale ne permet pas toujours de corriger.

Des recherches parallèles, menées par des scientifiques américains et français, à partir de la flore intestinale de nourrissons dénutris au Malawi, ont révélé le rôle de ce microbiote.

Le lait maternel contient des sucres complexes, des oligossacharrides sialylés, essentiels au développement du nourrisson. Les enfants qui souffrent le plus de malnutrition sont ceux dont les mères, à cause d’un défaut génétique, ne produisent pas ce sucre dans leur lait. Les selles d’un enfant affecté ont été transplantées dans le système digestif de souriceaux et de porcelets asthéniques, nourris avec un menu ressemblant à celui reçu par les enfants sevrés, auquel on ajoutait des oligosaccharides, provenant du lait de vache. Ce régime entraînait une meilleure croissance.

D’autre part, des chercheurs ont étudié le microbiote de nourrissons mal nourris et constaté que celui-ci était « immature ». Ils l’ont transféré à des souris asthéniques ; puis ont mises ces dernières avec des souris saines. Coprophages, les souris mangent les selles qui sont dans la cage, échangeant ainsi leur flore intestinale. On constate que la flore saine est la plus envahissante et que les souris en retard de croissance ont bénéficié des bonnes bactéries de leurs compagnes.

Enfin, une souche particulière de bonnes bactéries, Lactobacillus plantarum, transférée à des souriceaux placés en état de malnutrition chronique, permet à ceux-ci de grandir normalement.

« Ces études démontrent que les communautés microbiennes sont importantes pour faire face à ces défis nutritionnels », résume François Leulier, chercheur à Lyon.

Attention, il y a encore loin de la souris à l’homme et surtout de la souris sans germes, élevée en laboratoire, aux nourrissons en détresse… Mais c’est une piste intéressante et qui se révèlera peut-être essentielle.

Hervé Morin – Les Echos – 24 février 2016

Le petit salon de musique de notre cerveau

La musique est de toutes les cultures. L’instrument de musique le plus ancien qu’on ait découvert est une flûte en os de mammouth façonnée il y a 43 000 ans – 24 000 ans avant les peintures de Lascaux.

Des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology ont imaginé une nouvelle approche de l’imagerie médicale qui révèle des phénomènes jusqu’ici passés inaperçus. On avait longtemps cru qu’écouter de la musique mobilisait un peu toutes les zones du cerveau, celles qui concernent la parole, le lien social, le mouvement… On se rend compte à présent que non, qu’il existe dans le cerveau humain des liaisons neuronales bien précises qui réagissent exclusivement à la musique – n’importe quelle musique, classique, jazz, variété, sitar… L’auditeur peut aimer cette musique ou la détester, peu importe. C’est le même ensemble de neurones qui est activé à chaque fois. Et ces circuits ne réagissent pas aux autres sons, comme l’aboiement d’un chien ou le passage d’une automobile.

Cette découverte fascine Josef Rauschecker, neurologue à l’université de Georgetown. « Il n’est pas impossible », s’émerveille-t-il, « que la sensibilité à la musique soit plus fondamentale encore que la perception de la parole, que la musique soit plus ancienne que le langage, qu’elle lui ait donné naissance. » Le pouvoir de la musique pour nos ancêtres peut ne pas sembler aussi évident que celui de la parole. Mais il est sûr que la musique réunit les groupes. Faire de la musique ensemble était certainement une très ancienne activité des sociétés humaines.

Natalie Angier – International New York Times – 10 février 2016

Les écureuil de Central Park

Depuis 2008, la plupart des humains vivent dans des villes. Situation étrange pour les primates que nous sommes. Dans une rue animée, nous croisons plus de personnes que d’autres primates n’en rencontrent pendant toute leur vie. Nous savons distinguer dans cette foule les amis et les ennemis. Nous avons appris à naviguer dans des réseaux complexes de rues sans apercevoir d’horizon. Et nous nous adaptons au rythme frénétique des villes à tel point que cet environnement nous paraît paisible.

La vie urbaine impacte le fonctionnement de notre cerveau. Cette évolution semble se transmettre de génération en génération. Les souris, les écureuils, les musaraignes, les campagnols, les taupes et les chauves-souris, qui vivent dans l’un ou l’autre environnement, rural ou urbain, nous en fournissent des illustrations. Des chercheuses de l’université de Minneapolis ont mis en évidence l’influence de l’environnement sur le fonctionnement cérébral de ces petits animaux. Ainsi, les souris des villes ont-elles un cerveau plus grand de 6% que les souris des champs.

Quelle explication ? La sélection naturelle a profité aux plus débrouillards, ceux qui trouvaient de la nourriture (dans les poubelles), un habitat (dans les anfractuosités des immeubles et des monuments), ont appris à éviter leurs prédateurs (les voitures et les autobus)…

Cette évolution va-t-elle se poursuivre ? On n’en sait rien. Mais ces observations débouchent sur de nouvelles questions : quelle est la zone du cerveau qui se développe avec l’urbanisation ? Les citadins valent-ils mieux que leurs cousins ruraux ? Elles se posent pour les petits animaux, pas forcément pour les humains.

« Mon rêve : voir à Central Park, à New-York, des écureuils réinventer la roue ! »

Robert M. Sapolsky – The Wall Street Journal – 8 février 2016

Des psychothérapeutes à plumes

Dans le nord de l’Angleterre, une maison d’accueil pour personnes âgées s’est récemment lancée dans l’élevage de poules afin d’apporter un peu de gaité à ses occupants. A l’origine, un pensionnaire atteint de démence sénile et qui répétait des noms de femmes, affirmant qu’elles lui manquaient ; il s’agissait de ses poules ! Les pensionnaires s’extasient sur la diversité des races et la beauté des plumages, s’attendrissent sur les poussins perçant leur coquille. Et puis il y a cet homme rendu muet par un AVC. « Quand nous lui avons confié une poule, il a commencé à la caresser avec un large sourire. Quand on a voulu la lui reprendre, il ne la lâchait pas et avec un sourire encore plus large il a soufflé : j’aime. »

En 1987, en Californie, Lorin Lindner, une jeune psychologue, s’est, à la demande d’une amie occupée d’un perroquet en danger. Elle fut bientôt à la tête d’un sanctuaire pour perroquets abandonnés. Elle avait par ailleurs fondé, à une heure et demie de route de là, un home pour vétérans atteints de stress post-traumatique. Un matin de 1997, elle menait une session de thérapie de groupe. Les malades se taisaient depuis des semaines. Pour leur changer les idées, elle les emmena donner un coup de main à la construction de nouvelles volières. « Soudain, les mêmes qui serraient les lèvres se mirent à bavarder avec les perroquets… qui leur répondaient. » Bientôt, elle obtint de déménager les oiseaux dans un ancien terrain de basket tout près du centre. Les vétérans sont rémunérés un peu pour y travailler. Surtout, c’est une thérapie.

Le cerveau des oiseaux fonctionne différemment de celui des mammifères. Ils utilisent, pour penser et communiquer entre eux une sorte de « néocortex aviaire ». Chez les perroquets et les corbeaux, le ratio du volume cerveau/corps est le même que celui des primates les plus intelligents.

Ce que ces espèces ont en commun, c’est la conscience de soi et de l’autre et, partant, la capacité à éprouver de la compassion. « Il y a un fonctionnement en miroir : les perroquets traumatisés et les personnes traumatisées se comprennent.  Et c’est ainsi qu’elles se soignent réciproquement. »

Natasha Polony, citant Sélection du Reader Digest – Europe 1 – 14 mars 2016
Charles Siebert – International New York Times – 30 janvier 2016

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