Prospective - Edito : Le dernier salarié éteindra la lumière en partant

Le processus schumpetérien de destruction/création du travail s’accélère avec les transformations à l’œuvre dans le monde et dont ce qui se passe dans le numérique est une illustration, mais pas la seule. D’un côté, le Danemark ne trouve plus le personnel dont il a besoin et « souffre » du plein emploi… De l’autre, Goldman Sachs à New York licencie 600 traders et les remplace par 200 ingénieurs informaticiens (moins bien payés).

L’externalisation du travail progresse très vite. La spécificité du phénomène, c’est d’intervenir à la fois du côté des entreprises et du côté de ceux qui y travaillent ou travaillent avec elles. Les entreprises américaines les plus connues, les plus avancées – Apple, Google, etc. – la pratiquent à tout va. Aux yeux des professionnels, les charmes du salariat se sont fanés. Ils veulent tous être auto-entrepreneurs, créateurs de start-up, travailleurs temporaire, « uberistes ». Ils sont jeunes, parfois très jeunes. Leur relation avec les employeurs potentiels a elle aussi complètement changé, elle s’équilibre dans la recherche au niveau micro d’un accord entre l’offre et la demande.

Attirer les compétences et les conserver le temps qu’il faudra devient un souci majeur pour les entreprises, dans un contexte de compétition scientifique et technique à ce point évolutif que la compétence globale de l’équipe ainsi que la présence en son sein de stars reconnues devient pour elles une affaire existentielle. Ce sont des femmes aussi bien que des hommes : il n’y a plus de « plafond de verre » pour l’emploi des femmes, y compris pour les postes dirigeants. La compétence de chacun et de tous ensemble est bien l’essentiel.

Ce processus, qui a commencé dans la Silicon Valley, se développe vite chez nous qui – bizarrement – avons réussi à en rester à 10% de chômeurs, alors que le plein-emploi existe partout ailleurs. L’industrie allemande a rappelé ses retraités au travail. Une situation est carrément plaisante : celle des pays d’Europe Centrale (Hongrie, Tchéquie…) qui accueillent si mal les immigrants mais qui, confrontés au vieillissement de leur propre population, ouvrent aujourd’hui les portes de leurs entreprises aux étrangers déjà installés.

Le désordre qui accompagne cette transformation fait surgir des profils hier inconcevables, tel celui du polytechnicien chômeur. Il met en valeur la situation de l’artisanat, puissant attracteur et symbole de modernité désormais. Par contre, adieu l’aménagement du territoire alors que l’emploi ne cesse de se concentrer dans des limites géographiques étroites : hors ces limites, point de salut pour les employeurs et ceux qui souhaitent travailler (le rôle du télétravail, certes important, reste marginal). A leur périphérie, beaucoup d’espace reste disponible pour le loisir et les maisons de campagne…

En bref, le paysage de l’emploi et du travail dans lequel nous avons encore l’illusion d’être a déjà disparu. Il reste des apparences, des formes, des rituels, des simulacres. Et des enjeux nouveaux se profilent pour le proche avenir : les véhicules autonomes, les robots mobiles dans l’industrie, l’intelligence artificielle… Ils détruiront des emplois, ils en créeront d’autres.

Une seule donnée peut réconcilier aussi bien les territoires que les générations : l’augmentation sans limite des besoins d’éducation, de formation professionnelle et de recherche. Mais en discontinuité. La méritocratie d’hier, enracinée dans le diplôme et le statut, a vécu. La méritocratie d’aujourd'hui et de demain, fondée sur la compétence vérifiée par le marché du travail, est déjà là.

Armand Braun

L’intégration de l’industrie mondiale

Au-delà du débat sur libre-échange et protectionnisme, un tout autre processus se développe rapidement à l’initiative des entreprises : les établissements de production changent de localisation dès que le besoin en apparaît. Ainsi, on sait que des entreprises américaines et européennes s’installent en Chine. On sait moins que de nombreuses entreprises chinoises s’installent dans nos pays, au point que les échanges dans ce domaine sont à peu près équilibrés : pour un établissement qui s’en va, un autre arrive.

Pourquoi les entreprises industrielles chinoises s’installent-t-elles aux Etats-Unis ? Si les salaires américains restent plus élevés que les salaires chinois, l’écart se réduit rapidement. En Chine, le salaire annuel d’un ingénieur peut atteindre 50 000 $ et un ouvrier non qualifié gagne environ 600 $ par mois, nourri logé. Aux Etats-Unis, le prix du terrain est beaucoup moins élevé que dans la région côtière chinoise ; le gaz de schiste a très fortement réduit le coût de l’approvisionnement en énergie ; les temps de transport sont quasi éliminés. Mais il y a plus encore : l’accès à la technologie, notamment la robotique.

Pour une entreprise, il faut à la fois réussir en Occident et en Chine. La Chine permet des économies d’échelle massives ; pour des produits de grande consommation comme l’IPhone, le marché des consommateurs urbains et de classe moyenne va bientôt atteindre 300 millions de personnes, soit l’équivalent de la population des Etats-Unis.

La question critique, où que l’on soit, c’est désormais le personnel qualifié. La course mondiale aux talents ne fait que commencer.

Andrew Browne – The Wall Street Journal – 22 mars 2017

Le Japon en panne de bébés

Le Japon compte 127 millions d’habitants, parmi lesquels seulement 2 millions de résidents étrangers, dont les 2/3 repartiront. En 2016, 10 000 demandes d’asile ont été déposées, 28 acceptées. La société japonaise est homogène et équilibrée : la durée de vie est longue, il n’y a pour ainsi dire ni criminalité, ni drogue, le taux de chômage est de 3,1% et les étudiants japonais sont les meilleurs dans les concours internationaux.

Mais iI y a un problème. Si les tendances actuelles se poursuivent, la population tombera au milieu du siècle à 97 millions de personnes, dont à peine 10% d’enfants. On comptera exactement autant de retraités que d’actifs. Il existe en effet au Japon un « syndrome du célibat » : les jeunes ne s’intéressent pas au sexe, moins encore à la procréation et ils ne sont pas heureux. D’après le rapport mondial 2016 des Nations-Unies sur le bonheur (World Happiness Report), le Japon se situe en matière de sentiment du bonheur au niveau du Salvador et de l’Ouzbékistan. Au point que, selon un observateur, « ils vont devoir faire fabriquer leurs bébés ailleurs ». Or cette idée est intolérable à la société japonaise et par ailleurs les retraités, soucieux du maintien de leur situation, empêchent toute évolution.

L’auteur américain de l’article note que les Etats-Unis se situent démographiquement juste au-dessus du taux de reproduction nécessaire. Mais la population américaine n’est pas homogène, bien au contraire, et si elle devait glisser sur la pente japonaise, « elle se déchirerait ». Il en profite pour rappeler ce qui fait la différence : la notion américaine de l’identité n’est pas fondée sur d’où on vient mais où on va. Parmi les immigrants du XXe siècle figurent 30% des prix Nobel américains et les fondateurs de 90% des plus grandes entreprises.

Bret Stephens – The Wall Street Journal – 22 mars 2017

La poule au pot pour tout le monde

L’homme est un chasseur, c’est une vieille histoire. Même de nos jours, pour beaucoup, chasser constitue une dimension importante de leur identité personnelle. Mais les armes modernes, le véhicule à moteur et l’explosion de la population ont changé les équilibres naturels. 15 millions d’animaux sauvages sont tués chaque année dans la forêt amazonienne, 579 millions en Afrique centrale ; on évalue à 301 précisément le nombre d’espèces animales qui sont de ce fait vouées à l’extinction. Parmi elles, les singes bonobo, nos plus proches cousins, et les gorilles, dont la population a diminué de 80% en quelques années… Interdire la chasse ne servirait à rien : en Afrique centrale et occidentale, c’est la faune sauvage qui procure 80% des protéines dans la nourriture ; sans elle, ce serait la famine ; et n’oublions pas le braconnage.

Une alternative à laquelle on n’avait pas pensé a peut-être été trouvée : le poulet. Une espèce facile à élever, domestiquée par l’homme depuis 8 000 ans, et qui fournit des protéines en abondance et à bon marché.

Ce n’est pas tâche facile. Les poulets africains ont une croissance lente et les poules ne pondent que 30 à 40 œufs par an, contre 150 pour nos espèces. Ils sont par ailleurs vulnérables à certains virus qui peuvent décimer jusqu’à 90% des basses-cours d’un village. La simple distribution de poulets pratiquée par certaines ONG est sans suite. La Fondation de Bill et Melinda Gates a décidé de s’en occuper : elle rend possible la création d’entreprises à l’initiative de travailleurs sociaux locaux. Ces entreprises vaccinent les poulets et mettent place des chaîne complètes de distribution, jusqu’au consommateur final. L’élevage est assuré par des femmes : à tout le monde ce dispositif apporte de l’argent, des œufs et de la viande.

Richard Conniff – International New York Times – 22 mars 2017

 

Les réfugiés : une ressource

Le thème des réfugiés suscite à travers l’Europe et les Etats-Unis les réflexes hostiles que l’on sait. Les précédents, parfois violents, ne sont pas si anciens : que les Français d’origine espagnole, italienne ou polonaise… enquêtent sur l’accueil qu’ont reçu leurs arrières grands parents et en tiennent compte dans leurs propres comportements !

Mais le principe de réalité aidera à surmonter les préventions.

Une entreprise américaine située dans l’Etat du Dakota du Sud emploie plusieurs centaines de salariés qui ont dû quitter la Birmanie ou la Thaïlande. Leur intégration n’a pas été facile : il a fallu leur enseigner à lire et à écrire, à se familiariser avec le mode de management. Mais, explique le DRH de l’entreprise, « nos jeunes veulent voir le monde à la fin de leurs études secondaires, voilà du personnel jeune et qui a déjà vu le monde. » Cela vaut pour les réfugiés non qualifiés. Par ailleurs, 28% des réfugiés de plus de 25 ans qui arrivent aux Etats-Unis sont diplômés, immédiatement capables de prendre un poste qualifié et, de plus, ont été entraînés à une grande résilience par les épreuves subies.

Les pays vieillissants d’Europe centrale connaissent des pénuries de personnels dans tous les domaines. C’est le cas notamment de la République tchèque, qui détient à la fois le record du plus faible taux de chômage dans l’Union européenne (3,4%) et celui du plus haut taux d’emplois vacants (3,1%). Les entreprises manufacturières, dont aucune ne pensait avoir un jour des problèmes de recrutement, commencent à s’inquiéter : les investisseurs savent que les pénuries de personnel sont là pour durer et vont freiner leur développement. En Hongrie, l’organisation patronale évalue le nombre de postes vacants entre 100 000 et 200 000, soit deux à quatre fois plus que l’estimation officielle. Les efforts des employeurs portent donc sur l’attraction et la rétention : protéger les talents à tout prix en augmentant les salaires et les avantages sociaux ; et accueillir les immigrés, d’où qu’ils viennent. L’été dernier, le gouvernement tchèque a fait venir 5 000 Ukrainiens moyennement ou peu qualifiés, avec un tel succès qu’ils ont été très rapidement embauchés tous.

En ce qui concerne les réfugiés venant du Moyen-Orient, les populations locales ne sont pas enthousiastes : l’ambiance dans les pays d’Europe centrale est plutôt populiste et xénophobe. Mais les cas de réussite sont aussi nombreux pour eux que pour les autres. Les réfugiés seront un jour considérés comme une indispensable ressource.

Nous-mêmes commençons à le comprendre. C’est ainsi que s’est tenu courant mars à Paris un Startup Weekend for Refugees, qui a donné lieu à la présentation d’une dizaine de projets et débouchera entre autres sur un portail d’informations pour réfugiés.

Kelsey Gee – The Wall Street Journal – 22 février 2017
Jessica Berthereau – Les Echos – 14 mars 2017
Nicolas Rauline – Les Echos – 14 mars 2017
Prospective.fr

Eclairage (bleu) sur l’addiction aux écrans

Nous sommes ainsi faits que tant qu’une expérience déclenche le bon interrupteur, notre cerveau sécrète de la dopamine. Cette hormone nous rend heureux sur l’instant, mais sur le long terme nous nous y habituons et avons besoin d’en avoir davantage. C’est le mécanisme de l’addiction.

L’addiction aux substances chimiques – l’alcool, l’héroïne, la cocaïne, la nicotine – est bien connue.

Il existe aussi les addictions comportementales. Une étude réalisée en 2011 montrait que 41% d’entre nous souffrait d’au moins l’une de ces dernières.

Ce phénomène a explosé avec l’avènement des réseaux sociaux, la généralisation des tablettes et des smartphones. Des gens passent presque trois heures par jour accrochés à leur téléphone portable, des adolescents des semaines entières, seuls, à jouer à des jeux vidéo dans leur chambre. Des applications comme Snapchat poussent leurs utilisateurs à se brancher vingt fois dans la journée et on peut rester 24h sur 24 branché sur les réseaux sociaux, on n’en verra jamais le bout et on y reviendra donc toujours.

Le psychosociologue Adam Alter a rencontré un jeune homme qui avait passé 45 jours consécutifs à jouer à un jeu vidéo sur son ordinateur. Cette compulsion avait détruit le reste de sa vie au point qu’il a dû se faire soigner dans une clinique spécialisée dans la désintoxication à la dépendance.

D’après des sondages récents, 60% des adultes ont déclaré garder leur téléphone portable à leur chevet et la moitié des gens interrogés ouvrir leur boîte mail pendant la nuit. Nous nous interrompons dans notre travail pour vérifier nos réseaux sociaux, sommes obsédés par le nombre de « like » que récoltent nos photos sur Instagram … au lieu de regarder où nous marchons et d’écouter ceux avec qui nous parlons.

Toutes ces applications qui remplacent la mémoire se mettent aussi à remplacer la réflexion personnelle et la créativité. C’est bien pourquoi la plupart des entrepreneurs de la Silicon Valley refusent à leurs enfants les iPhone et les iPads.

Adam Alter, auteur de “Irresistible : The Rise of Addictive Technology and the the Business of Keeping Us Hooked” (Penguin Press, 2017) – propos recueillis par Claudia Dreifus – International New York Times – 14 mars 2017

Chefs d’œuvre en péril : ce n’est pas l’Entente Cordiale

En 2001, les Talibans ont détruit les Bouddhas de Bamian. En 2003, le Musée national irakien à Bagdad a été pillé. Plus récemment, Palmyre et bien d’autres sites historiques syriens, irakiens et libyens ont subi le même sort. Sans parler de ce qui s’est passé ces dernières semaines à Mossoul et sur les anciens sites de Ninive et de Nimrod…

A la demande du président François Hollande, Jean Luc Martinez, directeur du Musée du Louvre, a lancé la construction d’une installation de stockage et de conservation destinée à abriter temporairement des œuvres d’art en danger à Liévin (Pas-de-Calais).

Cette initiative a eu un précédent pendant la Guerre d’Espagne, de 1936 à 1939, quand des œuvres du Musée du Prado de Madrid ont été transportées d’abord dans le sud de la France puis en Suisse, à l’arrivée d’autres prédateurs chez nous. Elles ont été retournées en Espagne après la Deuxième Guerre mondiale.

Un autre point de vue a été adopté par le British Museum et des spécialistes anglo-saxons, qui font remarquer que tout est possible, y compris la destruction de la réserve de Liévin. Leur approche consiste à former les archéologues et autres responsables des pays en guerre. Il s’agit de les aider à sauvegarder leurs trésors sur place en les dissimulant dans des immeubles anonymes ou dans des cachettes souterraines.

Relevons quand même une différence : l’Angleterre dépense pour cette affaire 3,6 millions d’euros, la France 63 millions.

Claudia Barbieri – International New York Times – 11 mars 2017

Le génome de l’ancêtre

Le 18 février les cinq tribus amérindiennes Colville, Nez-Percé, Umatilla, Yakama et Wanapum ont inhumé selon leurs rites sacrés, dans un lieu tenu secret, celui qu’elles dénomment « l’Ancien ». Elles le considèrent, depuis sa découverte en 1996, comme l’un des leurs. Les scientifiques avaient baptisé « homme de Kennewick » ce squelette vieux de 8 500 ans, du nom de la ville de l’Etat de Washington à proximité de laquelle il avait été découvert, presque intact, par deux adolescents.

Ces deux dénominations sont révélatrices de l’antagonisme culturel qui, durant plus de vingt ans, a alimenté la bataille opposant les scientifiques aux cinq tribus amérindiennes réclamant la restitution de « l’Ancien ». Son ADN a finalement prouvé qu’ils étaient bien ses plus proches descendants actuels.

« C’est la première fois qu’un peuple autochtone bénéficie directement d’une étude génomique. La plupart d’entre elles présentaient jusqu’alors un intérêt pour les scientifiques, mais pas pour les Amérindiens. En deux années, l’analyse de leur ADN leur a permis d’obtenir ce qu’ils réclamaient depuis deux décennies », se réjouit le généticien Eske Willersev, de l’université de Copenhague, dont l’équipe a produit les résultats ayant permis de trancher.

La génétique est devenue un outil pour étudier l’histoire de l’humanité. Les chercheurs font appel à l’ADN, prélevé sur des organismes morts ou vivants, pour répondre à des questions de plus en plus nombreuses sur l’origine de l’homme, ses pérégrinations autour du monde, ses maladies.

Longtemps les généticiens avaient négligé la portée culturelle et symbolique des résultats de leurs études. L’exemple le plus célèbre est le procès qui fut intenté en 2004 par les Indiens Avasupai, une tribu isolée du Grand Canyon à une équipe de l’université de l’Etat d’Arizona, qui avait dévié du thème de recherche initialement annoncé – leur prédisposition au diabète – pour mener des études sur leur brassage ethnique, leur taux élevé de consanguinité et leur prédisposition à la schizophrénie. En 2010, l’université a dû restituer les échantillons d’ADN à la tribu et lui verser une compensation de 700 000 $ pour financer une clinique et une école.

Aujourd'hui, les généticiens se conforment aux principes éthiques de la Déclaration d’Helsinki applicables à la recherche médicale. Ils se donnent la peine d’informer les populations autochtones avant de demander leur consentement. Généticiens et populations autochtones collaborent, au bénéfice des uns et des autres. « Au cours de la consultation, les communautés peuvent soulever des questions qui ne seraient pas venues à l’esprit des scientifiques », explique le généticien Dennis O’Rourke, de l’université du Kansas. « C’est une occasion d’élargir le sujet de la recherche, tout en établissant la confiance avec les tribus. Le chercheur peut aussi proposer des projets qui peuvent avoir des retombées bénéfiques pour la communauté et l’alerter sur certains problèmes en pointant, par exemple, l’existence de risques génétiques. »

Catherine Mary – Le Monde – 8 mars 2018

Mieux qu’une puce : l’ADN

En 2012, un chercheur de Harvard a traduit son plus récent ouvrage en langage informatique puis en code ADN et en a édité des milliards de copies… dans un tube à essais ! En avril 2016, Technicolor a réalisé des copies ADN du premier film de science-fiction, Le voyage dans la Lune de Georges Méliès. Un mathématicien suisse a converti une carte cadeau d’Amazon de 50$ en séquence ADN et s’en est servi pour acheter en ligne – non sans mal il est vrai – un livre sur l’intelligence artificielle.

Enfin, tout récemment, des chercheurs de l’université Columbia et du Génome Center ont encodé à la fois une copie d’un système informatique entier, le premier film du monde, L’arrivée d’un train en gare de la Ciotat par les frères Lumière, une carte cadeau, un texte sur la théorie de l’information datant de 1948 et l’image gravée sur le disque d’or emmené aux confins du système solaire par la sonde Voyager. Il ne leur a fallu que trois minutes. Afin d’éliminer des erreurs possibles, ils se sont servi tout simplement d’un algorithme conçu pour regarder des vidéos en streaming sur un smartphone.

On peut désormais stocker 215 millions de gigabits par gramme d’ADN. Une quantité d’information qui, sous forme de textes, emplirait des milliards de dossiers. Le stockage sur ADN permettrait en théorie de conserver tout le contenu de la Bibliothèque du Congrès des Etats-Unis dans un petit cube de cristaux ou un petit verre de gel. Rappelons que le premier disque dur d’IBM en 1956 contenait 3.5 mégabytes de données et il était si énorme qu’il ne pouvait être déplacé que par chariot élévateur.

La dimension microscopique n’est pas le seul avantage de ce support. Façonnée par des milliards d’années d’évolution, la molécule d’ADN est bien plus stable que le silicium et les bandes magnétiques et pourrait durer pendant des siècles. Elle est facilement reproductible et le coût encore élevé devrait diminuer, comme il en est allé de la plupart des nouvelles technologies.

Un espoir formidable au moment où nous sommes submergés de données. Il s’en est créé plus dans les deux dernières années que dans toute l’histoire de l’humanité. Ou, comme le précise Victor Zirnov, directeur scientifique de Semiconductor Research Corporation, « vers 300 avant J.C. l’humanité produisait l’équivalent de 1 000 bits d’information par habitant. En l’an 1000, le savoir représentait de l’ordre d 100 000 bits d’information par personne, et aujourd'hui nous en sommes à 10 000 milliards de bits par humain. »

Denis Delbecq – Le Monde – 1er mars 2017
Robert Service – Science – 2 mars 2017
Robert Lee Hotz – The Wall Street Journal – 3 mars 2017

Le porno haut débit

En 2000, dans un laboratoire anglais, un cochon d’Inde – bientôt surnommé Roméo par la BBC – a provoqué un baby-boom à lui tout seul. Après s’être infiltré dans une cage abritant 24 femelles, il a été récupéré deux jours plus tard à moitié mort d’épuisement. Mais il avait réalisé un exploit génétique en s’assurant 42 descendants. Il était poussé par la dopamine, cette hormone du plaisir et du désir qui réagit à des stimuli bons pour le génome.

Les rongeurs et les humains ne sont pas différents sur ce plan. Chez les humains la vue et l’imagination jouent aussi un grand rôle. Notre cerveau primitif n’est pas capable de distinguer le vrai du faux face à une stimulation virtuelle. Il perçoit donc les images pornographiques comme une véritable aubaine génétique et induit en conséquence une intense production de dopamine. Mais l’accoutumance affaiblit l’effet, l’habitude mène à l’ennui : il faut à la dopamine de la nouveauté. Et c’est ainsi que la pornographie peut devenir une addiction. Or avec Internet le porno est devenu facile d’accès.

La consommation de porno via le Web est énorme, au point que l’on admet que le Web ne serait pas ce qu’il est sans le porno. La marque sex.com a été déposée dès 1994, bien avant Yahoo, Amazon, Google, Facebook, Twitter, YouTube, etc. Dès le début de son existence, la moitié des requêtes sur les moteurs de recherche ont concerné la pornographie. D’abord en accès payant, faisant s’effondrer le nombre des producteurs de cinéma porno, puis en accès gratuit financé par la publicité. Aujourd'hui, les sites porno drainent 30% du trafic Internet. Les chiffres d’affaires sont époustouflants. En 2014, les revenus du Web porno représentaient 5 milliards de dollars, via les sites dédiés pour 500 millions de visiteurs, et 20 milliards de dollars via les réseaux sociaux pour 2 milliards de visiteurs. Les enfants sont aussi concernés : l’âge moyen de la première exposition au porno se situe aux alentours de 11 ans !

La lutte contre cette addiction n’est plus un sujet uniquement éthique ou idéologique, réservé aux associations religieuses. Il s’agit là d’un vrai problème de santé publique. Des études scientifiques se multiplient sur le sujet. Et on assiste à la naissance de mouvements anti-porno, principalement sous la forme de forum en ligne fondés sur les témoignages d’internautes qui ont pu en mesurer les effets dévastateurs sur leur psychologie et leur sexualité

David Reynié – Fondapol – mars 2017

L’araignée, un fil à suivre

Trente fois plus fine qu’un cheveu, la soie d’araignée est légère, souple, biocompatible, biodégradable. Et cinq fois plus résistante que l’acier : une toile d’araignée qui aurait des fibres de 1 mm de diamètre et couvrirait la surface d’un stade de foot pourrait arrêter un Boeing 747 en plein vol !

Toutes ces qualités en feraient un matériau idéal pour l’industrie textile (vêtements high-tech, gilets pare-balles) et la chirurgie (implants artificiels). Malheureusement, impossible d’élever des araignées comme des vers à soie. Leur production est très faible et, très jalouses de leur territoire, elles s’entredévorent si on les met ensemble.

On a essayé de produire du fil d’araignée dans le lait de chèvres transgéniques, mais il était bien moins solide. On a essayé des vers à soie, des bactéries, des plantes OGM… mais on a obtenu trop peu de fibres pour un coût trop élevé.

Une équipe internationale menée par des chercheurs suédois a tenté une nouvelle approche : reproduire en laboratoire les conditions de cette coagulation à l’aide d’une protéine artificielle qui permet notamment de faire baisser le PH de la solution. Pour fabriquer son fil, l’araignée secrète une solution protéique qui s’écoule par deux étroits canaux à l’intérieur desquels elle coagule et se transforme ainsi en fibre. La nouvelle soie artificielle est prometteuse. Certes elle est encore quatre fois moins résistante que celle de l’araignée mais, fabriquée uniquement à base d’eau et de sels, elle est déjà tout à fait biocompatible.

Richard Bellet – Le Journal du Dimanche – 5 février 2017

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