Prospective edito: Prospective de la lorgnette

Tout dépend du point de vue.

Si l’on parcourt les rues de Paris et d’autres grandes villes de France et du monde développé, on voit de plus en plus de mendiants sur les trottoirs et l’on se dit que la pauvreté augmente. Si l’on regarde les courbes de Our World in Data (« Notre monde de données »), on se rend compte que la pauvreté dans le monde a énormément régressé en 40 ans. Les deux sont vrais : la pauvreté a diminué d’un côté et augmenté de l’autre.

Faut-il le rappeler, la faim et la misère ont accompagné l’humanité tout au long de son Histoire. Aujourd'hui, enfin, les choses sont peut-être en train de changer. La pauvreté diminue spectaculairement dans les pays en voie de développement. Ainsi, en 1980, la moitié de la population du globe vivait dans la plus extrême pauvreté, avec moins que le minimum vital (1,90$ par jour). En 2018, c’était 8,6%. Aujourd'hui la moitié de la population mondiale fait partie des classes moyennes ou riches. Chaque jour, 620 000 personnes de plus accèdent pour la première fois à l’Internet. L’illettrisme recule, les maladies aussi… Mais parce qu’ils sont graduels, continus et sans surprise, ces progrès ne font pas la une des journaux.

Une seule image pour se représenter les progrès accomplis : le banquier Nathan Rothschild, l’homme le plus riche de son époque, est mort en 1836 d’une infection qui aujourd'hui aurait été facilement soignée pour quelques centimes d’antibiotiques.

Cependant, nous sommes témoins d’un impensable paradoxe : c’est dans les pays développés que la pauvreté revient ! Une pauvreté relative, si on considère que, toutes choses égales par ailleurs, il vaut mieux être pauvre dans un environnement prospère que dans un contexte, tel qu’il en existe en Afrique, où tout le monde subit la pauvreté et avec elle la violence, l’absence de perspectives, une mortalité infantile en baisse, certes, mais toujours présente…

Et puis la réalité est beaucoup plus complexe que ce que nous pouvons déduire du spectacle de la rue ou des courbes statistiques. Car tout s’imbrique. Quand la pauvreté recule dans les pays où elle était au plus haut, en Chine et en Inde, la consommation d’énergie augmente, et avec elle la pollution. Et quand la pollution augmente, non seulement la planète est en danger, mais aussi la santé des personnes, comme en période de pauvreté.

Et puis, toutes ces problématiques requièrent un consensus des acteurs sur les moyens à employer. Et ces moyens sont très difficiles à définir puisque tout est lié, interactif et qu’il n’est guère de question dont le diagnostic et le traitement ne donnent lieu à débat entre nations, idéologies, intérêts…

Car, sur les remèdes eux-mêmes, tout est question de point de vue… autrement dit, de bout de lorgnette !

Hélène Braun

Pour consulter les courbes des données mondiales : https://ourworldindata.org

Les réfugiés : un vivier de talents

Beaucoup de réfugiés ont des compétences, mais on l’ignore, tellement le biais est tenace d’associer niveau intellectuel et apparence ; quand on a réchappé d’un péril extrêmement grand, on est rarement tiré à quatre épingles. Même après le long et complexe parcours administratif qui permet enfin aux demandeurs d’asile d’être en situation régulière, l’accès au monde du travail est loin d’être acquis, même s’ils ont des compétences, des diplômes et ont occupé un emploi dans leur pays d’origine. Et quand ils finissent par en trouver un, il est rarement au niveau de celui qu’ils occupaient dans leur pays d’origine.

L’état d’esprit est peut-être en train de changer doucement. Des cabinets de conseil commencent à s’intéresser aux immigrants, les aident à trouver des formations, les mettent en relation avec des entreprises.

C’est ainsi que L’Oréal a accompagné la formation dans une des grandes écoles (ESCP Europe, Essec, Mines de Paris…) dont elle est partenaire d’un petit groupe de réfugiés déjà diplômés avant leur arrivée ici. Elle les a accueillis en stage et en a embauché quelques-uns.

Le service informatique du Réseau de transport d’électricité (RTE) devrait, d’ici à l’été, embaucher une dizaine de réfugiés, à l’initiative d’Olivier Grabette, membre du directoire, et de

Nathalie Devulder, directrice du développement durable, qui commente : « Nous avions des problèmes pour trouver des compétences dans le domaine du numérique. Les réfugiés ont des talents invisibles, une richesse culturelle et une vision du monde différente : de vrais atouts pour l’entreprise. »

Annie Kahn – Le Monde – 12 janvier 2019
Le Figaro.fr – 17/08/2018 

https://fr-fr.facebook.com/797710910355055/videos/fernand-raynaudjaime-pas-les-%C3%A9trangers-qui-viennent-manger-lpain-des-fran%C3%A7ais/1134193280040148/

http://www.groupe-adecco.fr/wp-content/uploads/2018/06/Livre-Blanc-LabHo-Insertion-des-refugies.pdf

Sifflez-le-moi à l’oreille

En novembre 2016, des diplomates américains et canadiens en poste à Cuba se sont plaints d’entendre des bruits très aigus et d’avoir, en même temps, souffert de toutes une série de malaises : étourdissements, maux de tête, nausées, perte d’auditions… Des examens médicaux ont confirmé des signes de traumatismes et la réalité de ce « syndrome de la Havane ». Il s’agissait certainement d’une attaque de puissances hostiles utilisant une technologie indéterminée à base d’ultrasons. Le président Trump fit des déclarations fracassantes et les Etats-Unis réduisirent au minimum le personnel de l’ambassade.

Mais quelle pouvait être cette arme mystérieuse ? Il fallait d’abord étudier le bruit qu’elle provoquait. C’est ce qui firent plusieurs scientifiques. Et deux d’entre eux ont sans doute trouvé.

Alexander Stubbs de l’Université de Californie et Fernando Montealegre-Z, de l’Université Lincoln en Angleterre, ont analysé les enregistrements réalisés à l’intérieur du consulat et publiés par l’Associated Press. Ils ont présenté leurs conclusions au début du mois de janvier à Tampa, à la réunion annuelle de la Société pour la Biologie intégrative et comparative.

Lorsque Alexandre Stubbs entendit pour la première fois ces enregistrements, les sons lui parurent familiers : ils lui rappelaient les stridulations d’insectes observés lors de travaux sur le terrain dans les Caraïbes. Il y regarda de plus près avec le Dr. Monteleagre-Z. Et en effet, la structure acoustique – rythme, spectre, fréquence la plus élevée, etc. – ressemblait à s’y méprendre à celle de certains insectes. Mais lesquels ? Ils comparèrent avec toutes sortes d’enregistrements dont ils disposaient sur une banque de données en ligne et trouvèrent le coupable : le criquet à queue courte des Indes (Anurogryllus celerinictus).

L’arme fatale, c’étaient les élytres de grillons amoureux !

Il y a quelques décennies, pendant la Guerre Froide, une mystérieuse pluie jaune s’était abattue sur l’Asie du Sud-Est. Les Etats-Unis avaient accusé l’Union soviétique de mener des attaques chimiques. C’était en fait des … excréments d’abeilles.

Carl Zimmer – International New York Times – 12 janvier 2019

Une mer bientôt sans marins ?

La mer est devenue le principal support des échanges, non seulement des marchandises mais aussi des données : l’autoroute numérique, un réseau transcontinental de fibres optiques repose au fond des mers.

Qu’il grandisse en taille ou gagne en sophistication, le navire, militaire ou marchand, n’a pas su accueillir le progrès sans congédier les hommes. La frégate de guerre de type F70 Latouche-Tréville, admise au service actif en 1990, compte à son bord 224 marins. Sa jeune sœur, la frégate européenne multi-missions, qui assure les mêmes missions (connaissance, anticipation, prévention, protection, intervention et dissuasion) n’en nécessite qu’une petite centaine. De 1960 à nos jours, la taille de l’équipage d’un gros vraquier de commerce a été divisée par deux : d’une quarantaine de marins à une petite vingtaine.

Par ailleurs, l’intelligence artificielle est plus à même qu’un courtier vivant de trouver le bon bateau, d’échafauder la combinaison de voyages la plus avantageuse, de négocier et prédire le fret. Dans le port de Hambourg, ce sont des grues et camions automatiques qui chargent, déchargent et ordonnent les conteneurs. Partout, des initiatives diverses font converger le shipping vers une numérisation massive de l’industrie et de ses métiers, remplaçant l’humain tant sur le plan de la main d’œuvre que sur celui de la prise de décision.

Bientôt, il n’y aura plus qu’une flotte de navires robots, réglée comme du papier à musique sur un programme de cargaisons. Toute seule, la voici qui accélère, augmentant l’offre de navires plus rapides en période de plus forte demande, qui effectueront davantage d’allers-retours et transporteront une plus grande quantité de marchandises en un temps donné. Et la voilà qui ralentit pour réduire la consommation de carburant pendant une envolée du prix des combustibles. L’emploi des navires est programmé, non plus négocié.

Omniscient, l’algorithme dicte sa conduite à la flotte et son prix au transport maritime. Au-delà du remplacement de l’humain, se pose la question du contrôle de la mer. Qui aura entre ses mains l’algorithme par lequel on fait bouger les bateaux et s’approvisionner les nations ?... La numérisation navale sous-entend de livrer le commerce maritime à une poignée d’informaticiens. C’est-à-dire leur livrer le commerce tout court, et donc la richesse du monde.

Omer Aury, courtier en transport maritime – Le Monde – 11 janvier 2019

Profession : père au foyer

À Stockholm, il est banal de croiser des hommes en poussette aux horaires de bureau. Ils sont surnommés les « latte pappas » parce qu’on les caricature souvent avec un gobelet de café à la main, un bonnet sur la tête et la barbe bien taillée. La Suède est pionnière en matière de congé parental égalitariste. Depuis 1974, les Suédois peuvent prendre un congé avec une prise en charge à 80% de leur salaire. Il s’étend jusqu’à 16 mois, à se répartir au sein du couple jusqu’au huitième anniversaire de l’enfant.

En France, on n’en est pas encore là. Depuis 2002, les hommes salariés peuvent prendre 11 jours, contre 16 semaines pour les femmes salariées (qui ont droit à 26 semaines au troisième enfant). Sept pères sur dix en profitent. Mais seuls 6% le prolongent sous forme de congé parental d’éducation. « Une large majorité de ces bénéficiaires réduisent leur activité pour travailler à temps partiel », nuance Jean-Philippe Vallat de l’UNAF. Et il faut ajouter que « ce sont souvent les pères gagnant moins que leur conjointe ou dont la situation professionnelle est plus instable » qui font ce choix.

Il n’empêche qu’ils existent et qu’il serait bien qu’ils trouvent une certaine visibilité vis-à-vis des statistiques : pour l’Insee, ils ne constituent pas en effet une catégorie à part et ils se confondent avec les inactifs. Et, comme le remarque Sébastien, père au foyer, pour eux tout se conjugue au féminin : « Dans les supermarchés, les caisses réservées aux parents avec des enfants en bas âge sont présentées comme des files "jeune maman". Dans les rayons couches, les visuels représentent des femmes. Dans les toilettes, l’espace à langer n’est jamais du côté des garçons. Le mot papa est-il tabou ? »

Laurène Daycard – Les Echos – 11 janvier 2019

http://www.desperatehouseman.fr/

Quel moustique te pique ?

Le moustique est, après l’humain, l’animal le plus dangereux de la planète. Il est en effet, dans l’essentiel du monde, vecteur de maladies très graves, voire mortelles : la malaria, la fièvre jaune, le chikungunya, la dengue et les maladies et malformations dues au virus Zika.

Il n’existe pas, pour l’heure, de bonne solution.

Les moustiquaires imprégnées d’insecticides protègent contre les anophèles vecteurs de la malaria qui piquent la nuit ; mais pas de Aedes aegypti porteur du virus Zika et de la dengue, qui infectent chaque année 400 millions de personnes. Et il n’existe pas de vaccin contre ces maladies. On vaporise donc largement les insecticides, affectant ainsi tout l’écosystème : c’est une hache là où il faudrait un scalpel. Et à la longue, les moustiques développent une résistance.

Une nouvelle réponse consiste à infecter les œufs de moustiques avec une bactérie, Wolbachia. Inoffensive pour l’homme, celle-ci a pour caractéristique de bloquer chez le moustique le virus de la dengue. Les moustiques femelles transmettent Wolbachia à leur descendance, et, même si les mâles ne sont pas atteints, petit à petit on n’a plus que de « bons » moustiques.

À l’initiative de l’université de Melbourne, un premier essai a eu lieu à Townsville en Australie. Des milliers de foyers se sont vu remettre une « Mozzie Box », un baquet plein d’œufs de moustiques et de quoi les alimenter jusqu’à ce qu’éclosent de bons moustiques. La dengue n’a pas été éradiquée mais a chuté considérablement.

Le modèle va maintenant être testé dans d’autres villes d’Australie, ainsi qu’au Vietnam, en Indonésie, au Brésil, en Colombie et au Sri-Lanka.

Ce qui est formidable c’est que le programme marche en une fois. À Townsville, il en a coûté 13$ par personne. À Rio, où la population humaine est beaucoup plus dense, cela ne devrait coûter que 4$ par personne.

Une autre technique, chinoise celle-là, consiste à infecter les mâles. Ainsi on lutte à la fois contre le virus Zika et contre la dengue et on affaiblit les moustiques dont la population diminue fortement.

Bien sûr, chaque fois que l’homme joue ainsi à être Dieu, il faut s’interroger sur les risques. Mais Wolbachia est une bactérie naturelle, qui infecte la plupart des espèces d’insectes et elle ne risque pas de les aider à transmettre d’autres maladies, comme le SIDA, par exemple : les moustiques ne transmettent que certains virus, jamais d’autres. Heureusement, comme le dit l’un des scientifiques impliqués dans cette recherche, « les moustiques ne sont pas des seringues volantes ! ».

Tina Rosenberg – International New York Times – 10 janvier 2019

La laine sur le dos

Parmi les activistes du bien-être animal, des groupes commencent à faire campagne pour boycotter la laine et vanter les textiles artificiels. Or les textiles artificiels sont une forme de plastique dont les déchets contribuent à polluer l’environnement. La laine, elle, produit 100% naturel, n’a aucun impact négatif. Mais, confondant les bergers qui tondent la laine avec les chasseurs qui tuent des crocodiles, ces ignorants s’imaginent que les moutons souffrent quand on les tond. Mis à part certaines pratiques australiennes – illégales partout ailleurs - consistant à abraser la peau arrière ridée des agneaux pour que les mouches n’y pondent pas, c’est tout le contraire.

Les moutons d’élevage sont plutôt heureux. Et les moutons qui auraient encore leur épaisse toison souffriraient de la chaleur et du stress, ne verraient pas clair, seraient infestés par les larves de mouches, et les brebis ne pourraient allaiter leurs petits.

Essayez de porter plusieurs gros pullovers superposés en pleine canicule et vous comprendrez ce que ressent un mouton qu’on n’a pas tondu !

Sarah Nassauer – The Wall Street Journal – 9 janvier 2019

Éloge des matins calme

Tendance de la lenteur : après le slow-food en réaction au fast-food, voici le « slow morning ». Cela consiste à prendre son temps le matin au lieu de se réveiller en fanfare et d’avaler son café vite fait avant de foncer au boulot.

Comme cela n’implique pas de ne pas aller travailler. Il faut se lever très tôt pour savourer des instants de calme avant la bousculade générale de la journée. Ceux qui s’y sont essayés témoignent du renouveau d’énergie qu’ils en tirent pour le reste de la journée et comptent bien continuer.

C’est aussi un contrepoint à cette envie du vite-vite-tout-le-temps exaucé par la possibilité de faire ses courses en ligne vingt-quatre heures sur vingt-quatre, d’être livré en un temps record, d’utiliser des shampoings et autres produits tout en un.

On se dépêche de plus en plus. Mais si l’on se pose deux minutes pour y réfléchir, on se rendra compte que plus on gagne du temps en quantité, plus on en perd en qualité.

Le « slow morning » est un moment pour soi, qui peut durer des heures et pendant lequel on peut lire, faire de la méditation, du yoga, de la gymnastique douce, du dessin, du collage… ou mieux : ne rien faire du tout, regarder par la fenêtre la nuit s’estomper et le jour se lever…

Ellen Byron – The Wall Street Journal – 8 janvier 2019

Causes de malaises aux Etats-Unis

Il y a la réalité, ce que nous croyons en savoir… et il y a des phénomènes émergeants que nous ne comprenons pas et qui nous rendent perplexes. Ainsi…

Pourquoi la chute de la natalité ? En 2017, on comptait 500 000 naissances de bébés américains de moins qu’en 2007, alors même que les femmes en âge de procréer étaient plus nombreuses. Jusque-là, le taux de remplacement démographique était de 2,1, exactement le taux requis pour le renouvellement de la population (en excluant l’apport de l’immigration). Il est aujourd'hui de 1,76. Tout le monde est bien conscient du grand nombre de problèmes qui en résulteront.

Pourquoi la violence, qui ne cesse de se développer, dont la place sur Internet augmente constamment ? D’où vient-elle ? Peut-être, de ceux que les Américains appellent les incels, ou célibataires involontaires, premières victimes de la solitude et de l’aliénation. Les jeunes isolés sont vulnérables aux extrémismes de toute nature. En fait, le célibat peut être à la fois une cause et un effet de l’insatisfaction. Pourquoi en Italie, la moitié des 25-34 ans, incapables d’autonomie continuent-ils à vivre chez leurs parents ?

Pourquoi notre relation dysfonctionnelle au téléphone portable et aux réseaux sociaux se développe-t-elle au détriment de nos relations avec des personnes réelles ?

Un fait parmi d’autres a donné lieu à de nombreux débats à la fin de l’année 2018 : la disparition de la chaîne de magasins de jouets Toys’R Us. Une information, plus encore le symptôme de transformations en profondeur que nul ne sait interpréter.

Kate Julian – The Atlantic – Décembre 2018

Des îles artificielles pour réparer une bêtise

Un barrage a été construit il y a quarante ans au nord-est d’Amsterdam, créant ce qui est maintenant le lac Markermeer. Il s’agissait de la première étape pour un projet – jamais finalisé - d’assèchement afin de gagner encore de la terre sur les eaux.

C’était, pour une fois, dans ce pays dont 26% des terres ont été gagnées sur la mer et qui se targue d’être à la pointe des nouvelles technologies en matière de management de l’eau, une très mauvaise idée : rapidement, des sédiments se sont accumulés derrière la digue, l’eau est devenue boueuse et la vie sauvage a disparu.

Il ne fallait pas en rester là. Pour remédier à cette catastrophe locale, on a imaginé de créer, avec un financement en partie public en partie privé, un archipel de cinq îles artificielles formées des sédiments accumulés auxquels on a ajouté du sable et de l’argile.

La première de ces îles, large de 2 km et longue de 5 km, commencée en 2016, a été terminée l’été dernier. Et les résultats sont déjà impressionnants. La vie sauvage est revenue sur ces terres humides : plus de cent espèces de plantes différentes, des millions d’insectes et de petits poissons, des milliers d’oiseaux qui viennent s’en nourrir.

Les autorités néerlandaises espèrent que cette nouvelle réserve attirera des touristes amoureux de la nature : une liaison par ferry, des logements de vacance et des campings sont prévus ; les bénéfices engrangés iront directement à l’entretien de l’archipel. Les quatre autres îles émergent déjà et seront ouvertes au public en septembre.

Si l’archipel tient ses promesses, il sera un modèle pour l’adaptation aux changements climatiques à venir qui imposeront sans doute, pour ce pays - comme pour d’autres - l’obligation de créer d’autres terres.

David Shimer – International New York Times – 31 décembre 2018

Wikipédia, ultime rempart des Lumières

« Je confesse volontiers que Wikipédia est devenu pour moi une source d’information indispensable. Les deux millions d’articles qui y sont publiés en français font davantage que toutes les institutions officielles pour maintenir vivante notre langue. Wikipédia a remplacé au quotidien l’usage des encyclopédies et des dictionnaires de noms propres : sa formidable armée de contributeurs anonymes s’est imposée face aux œuvres d’auteur comme l’Encyclopedia Universalis, où les articles signés d’un seul nom sont inévitablement biaisés. Certes, la neutralité absolue n’est ni possible, ni souhaitable. Mais Wikipédia a le mérite de signaler explicitement tout ce qui semble relever d’une opinion personnelle, de décliner ses sources avec précision et de laisser la porte ouverte aux améliorations. N’est-il pas fascinant qu’il existe sur Wikipédia une page dédiée aux… critiques de Wikipédia ?

La première leçon de cette entreprise collective, bien réconfortante à l’heure des tweet-clash, c’est que la confrontation organisée des connaissances et des points de vue reste le meilleur moyen de produire de la rationalité. Des administrateurs et des arbitres tempèrent les prises de position et sanctionnent les abus.

La communauté Wikipédia recrée au niveau mondial une forme de consensus social, qui n’a pas vocation à promouvoir des idées nouvelles mais à stabiliser l’état des connaissances. Pour des centaines de millions de lecteurs mensuels, Wikipédia est l’anti-Facebook, l’ultime rempart des Lumières dans la guerre des fake news.

La deuxième leçon c’est qu’un autre Internet est possible. Un Internet qui n’a pas vos données, ne tente pas de manipuler vos goûts ni vos émotions et autorise la diffusion de ses contenus. »

Gaspard Koenig – Les Echos – 17 octobre 2018

Print Friendly, PDF & Email