Prospective - Edito : Des arganiers, des femmes et de l’esprit d’entreprise…

Taroudant, Maroc. La présidente de cette coopérative féminine porte la tenue traditionnelle des femmes marocaines. A l’étage du bâtiment, une vingtaine de femmes concassent les noix d’où sera tirée la célèbre huile d’argan. Les arganiers, qui poussent à perte de vue, représentent l’essentiel des ressources de cette plaine brûlante du Souss.

Voici vingt ans, la présidente ne savait ni lire ni écrire ; elle ne parlait que le tamazight, la langue du pays. Et donc, un jour, elle entend son mari discuter avec un agent de développement rural. Elle prend contact avec lui ; c’est ainsi que naît l’idée de la coopérative. Elle provoque une réunion, et ça marche. D’autres coopératives de femmes se créent aux alentours. Aujourd’hui, elles commercialisent leurs produits par le moyen d’un GIE, ce qui permet d’en obtenir un meilleur prix en évitant les intermédiaires inutiles. Quant à celle qui est à l’origine du mouvement, elle préside aujourd’hui un réseau international de coopératives agricoles et siège au parlement. Itinéraire exemplaire d’une femme sobre en paroles mais dont l’éclat du regard traduit toute la force d’âme.

Avant, l’épouse concassait chez elle quelques noix et l’huile qui en était extraite était vendue à vil prix par le mari, qui gardait l’argent pour lui. Aujourd’hui c’est à elle que la coopérative remet le prix de sa  production. Donc, elle a de l’argent. Cet argent, il va notamment lui permettre d’envoyer ses enfants à l’école. Et de se faire respecter. Témoignage : « depuis que je suis à la coopérative, mon mari ne me bat plus ».

Avec mes hôtes de l’université d’Agadir, je réfléchis à la portée de ce qu’ils nous ont présenté : c’est la reconstruction, par le bas, à la fois d’une économie viable et d’un tissu social plus riche. La création de valeur échappe désormais aux réseaux d’intermédiaires pour revenir, pour la plus grande part, aux producteurs. Un label, difficile à obtenir, garantit la qualité. Le GIE donne la possibilité de répondre à des commandes correspondant à des volumes importants, qui excèderaient la capacité de chacune des unités de production. L’économie de la région, autrefois misérable, renaît autour d’une filière correspondant à une production traditionnelle, mais qui fait désormais appel à des techniques modernes respectant un cahier de charges exigeant en matière sanitaire. Les doctorants de l’université sont heureux car ils ont de beaux « terrains » à analyser.

En même temps, le tissu social s’est enrichi. La femme est respectée du mari. Les deux filles de la présidente suivent un enseignement universitaire tout en donnant un coup de main à leur mère en tenant la petite boutique qui jouxte l’atelier de raffinage. Du coup, les hommes aussi se sont mis de la partie. Des coopératives mellifères sont en train de voir le jour, selon le même principe. L’une d’entre elle en profite pour y joindre un restaurant à l’intention des touristes. Des relations entre coopérateurs se nouent au plan international.

Et si c’était l’avenir ? Bien entendu, on ne peut guère envisager de coopératives de production de voitures automobiles ou d’extraction de pétrole. Mais à côté, il y a la production de produits alimentaires et artisanaux. On parle de « circuits courts », « de la fourche à la fourchette ». On parle d’économie circulaire, de travail coopératif, de développement des liens de proximité, de valorisation des territoires. L’esprit d’entreprise, ce n’est pas seulement la hig tech et les multinationales. C’est aussi et peut-être d’abord, comme le soutenait devant moi un ancien ministre marocain qui fut aussi directeur général d’une business school, la marchande d’oranges assise sur la place Jemaa el Fna et qui doit absolument vendre son stock pour donner à manger ce soir à ses enfants.

Imiter les coopératives de femmes du Souss, non, mais s’inspirer de leur exemple pour réinventer nos économies devenues poussives, oui.

Hubert Landier

« Gare au touriste ! », pense le gorille

Il serait injuste d’accuser Mpungwe de racisme. Pourtant, la première fois que ce gorille de plus de 200 kg a vu un homme blanc, il s’est sauvé dans la forêt et a eu, de peur, la diarrhée de sa vie !

C’est pour éviter ce genre d’incident que les rangers africains du parc national de Kahuzi-Biega en République démocratique du Congo ont eu l’idée d’habituer les gorilles à ces visages étranges en revêtant un masque de blanc – en fait, une simple enveloppe de papier kraft jaune, percée de deux trous à l’emplacement des yeux. Le tout surmonté de la casquette ou du béret vert habituels, avec, devant le nez et la bouche, le masque médical destiné à protéger les primates de la contagion.

En 1995, le parc comptait 17 000 gorilles. 77% d’entre eux ont été décimés pendant les guerres qui ont ravagé le pays. Près de deux cents rangers pistent les gorilles et les suivent jusqu’à ce que ces derniers se rendent compte que ces hommes ne représentent pas un danger pour eux. Il s’agit d’habituer juste le bon nombre de gorilles : suffisamment pour encourager le tourisme ; assez peu pour en exposer le moins possible aux dangers de l’habituation qui leur fait perdre une salutaire méfiance des braconniers.

Chimanuka a survécu à la guerre et au braconnage. C’est aujourd'hui un beau mâle. Lui, ses trois épouses et leurs quinze enfants sont les vedettes du parc. Les jeunes jouent à se bagarrer tandis que les adultes, indifférents aux visiteurs, cueillent des feuilles en pétant bruyamment.

Le tourisme est un moyen d’entretenir le parc, de financer la protection de la vie sauvage, d’apporter aux villageois de la région des revenus suffisants afin qu’ils cessent de chasser ces animaux pour les manger. « Ce sont les gorilles qui m’ont permis d’envoyer mes enfants à l’université », se réjouit le pisteur pygmée Antoine Bakongo Lushombo.

Michael M. Phillips – The Wall Street Journal – 20 juin 2017

Le bon vieux temps

Nous sommes pour la plupart persuadés que tout va plus mal qu’avant. Ce catastrophisme serait dû à l’ignorance de la réalité et à un biais de notre conscience.

Dans son ouvrage, Non ce n’était pas mieux avant, 10 bonnes raisons d’avoir confiance en l’avenir, Johan Norberg, historien de l’économie à l’université de Malmö, démontre, chiffres et faits à l’appui, qu’à tout point de vue notre présent est objectivement bien meilleur que notre passé.

Certes il subsiste des problèmes, mais durant les deux derniers siècles, l’humanité a franchi plus de seuils qu’au cours des millénaires précédents. Les famines ont pratiquement disparu, la durée de vie a augmenté, et tout le monde s’est enrichi. L’illettrisme est en chute libre : il concernait 80% de la population du globe en l’an 1800 : 15% aujourd'hui. Globalement, les hommes vivent réellement plus riches, en meilleure santé, dans des habitats plus confortables, tout en étant plus instruits et en travaillant moins. Et le monde actuel est considérablement moins violent, plus égalitaire et moins pollué. Mais ces progrès se sont faits invisiblement et silencieusement, alors que les malheurs du monde s’affichent bruyamment.

Il est vrai que la propension à se lamenter est vieille comme l’humanité.

En 1754, Kant, âgé de trente ans, note que les personnes âgées sont enclines à voir le crépuscule partout. « Le climat, disent-elles, n’est plus aussi bon qu’autrefois. Les forces de la nature sont épuisées, sa beauté et son ordre déclinent. […] La fausseté et la tromperie se sont substituées à l’honnêteté de jadis ».

Et une stèle chaldéenne datant de 3 500 ans avant notre ère annonce : « Nous sommes arrivés en des temps mauvais, et le monde est devenu très vieux et malfaisant. Les hommes politiques sont très corrompus. Les enfants ne respectent plus leurs parents ».

Roger-Pol Droit – Le Monde – 2 et 9 juin 2017

La catastrophe africaine

L’expression correcte est « pays en développement » et non « pays sous-développés ». Mais le vocabulaire de la bonne volonté ne peut effacer la réalité : le tiers monde existe toujours. Au Lesotho, en Somalie, au Tchad, et ailleurs, l’Afrique présente un tableau apocalyptique.

Désertification, explosion démographique, guerres, maladies se conjuguent pour aggraver la catastrophe. La famine continue de sévir.

C’est un cercle vicieux. Les lacs rétrécissent, la période des pluies insuffisante. L’eau de mauvaise qualité et les vents de sable transportent les microbes. La sous-alimentation fragilise les gens et les expose davantage aux infections. Les malades du SIDA arrêtent leurs traitements parce que les effets secondaires sur un estomac vide sont insupportables. Les fonds très importants alloués pour l’aide au développement ne peuvent permettre à une population de plus en plus nombreuse de subsister pendant les périodes de disette. Les ONG qui distribuent des rations de haricots, de sorgho, d’huile ne peuvent donner à tous : ceux qui ont cette fois ne recevront pas la prochaine.

La disette et le terrorisme chassent les populations d’une région invivable à une région inhospitalière. Et jusqu’en dehors du continent : rien qu’en Libye, 800 000 personnes seraient en attente de partir pour l’Europe.

Les Somaliens ne dénombrent pas les années, mais les nomment en fonction de l’événement le plus notable qui l’a marquée. Ainsi, 1911 est l’année du Haram, la nourriture interdite, parce que pour ne pas mourir de faim la population musulmane a dû consommer des mets interdits par l’Islam ; 1928 fut l’année du recensement, car la sécheresse sévit tellement dans tout le pays que les gens furent contraints de se déclarer aux autorités britanniques colonisatrices en échange d’une allocation ponctuelle ; 1974 fut l’année Daba-Deer (longue queue), surnom d’ une sécheresse interminable qui a contribué à la chute du négus Haïlé Sélassié, dernier empereur de l’Ethiopie voisine. Mais la famine est depuis vingt-cinq ans  un hôte si constant de la corne de l’Afrique que ses habitants n’ont plus de mots poétiques pour leur calendrier.

Laurence Caramel – Le Monde – 28 mai 2017

Nadifa Mohamed – International New York Times – 13 juin 2017

Eugene Linden – International New York Times – 17 juin 2017

Péril sur la démarche scientifique

« Nous sommes des enfants gâtés vivant à une époque où l’espérance de vie atteint des niveaux inattendus, grâce aux découvertes et aux technologies nouvelles. Et cependant, une partie de la population, angoissée, a récemment renversé les bases même de la connaissance scientifique. La démarche scientifique qui a prévalu jusqu’à un passé récent résidait dans le recherche de causes à des effets observés.

« La science commence avec l’observation, et cherche la cause (ou détermine la causalité) dans des phénomènes objectifs. Cela s’oppose à la pensée religieuse, qui évoquait la bienveillance ou la colère divines comme explication aux phénomènes naturels, éventuellement prédits par les astres. La recherche de la causalité est un objectif complexe mais qui est à l’origine de la plupart des découvertes scientifiques en général, et médicales en particulier, depuis le XIXe siècle.

« Or, l’époque actuelle s’inscrit, pour certains, dans la démarche inverse. Il est postulé que quelque chose de créé par l’homme (chimie, radiations, biologie…) est a priori mauvais, et il s’agit ensuite de découvrir ce qu’il provoque de dangereux. De cette démarche nouvelle, le principe de précaution est la première étape, qui interdit l’usage des nouveautés aux risques inconnus et en empêche la connaissance. Certains, dans l’objectif de montrer la dangerosité des inventions humaines, accumulent des données faussement scientifiques pour le prouver. Cela a concerné l’aspartame ou les OGM. Malheureusement, l’Organisation mondiale de la santé, bien souvent, renchérit par des rapports ineptes aux titres trompeurs. Des rapports visant par exemple à “ démontrer ” le rôle croissant de la pollution dans la mortalité, alors que l’espérance de vie ne fait que progresser, en particulier dans les grandes villes. On y mélange gaillardement pneumonies et gastro-entérites (d’origine infectieuse), suicides, accidents de la route ! En fait, cette mode constitue un retour de la culpabilité de l’homme-démiurge qui touche à l’œuvre divine, déjà décrite sous une autre forme dans la Bible, avec le Déluge, le tour de Babel ou les plaies d’Egypte ! »

Didier Raoult, professeur de microbiologie à la faculté de biologie de Marseille – Les Echos – 12 juin 2017

Etes-vous “sapiosexuel”?

Le mot a été inventé en 1998 par un ingénieur de Seattle pour décrire sa propre sexualité : « Je suis attiré par la curiosité d’esprit, la perspicacité, l’impertinence. Mes préliminaires préférés ? Un débat philosophique ». A notre époque où la beauté physique a tant d’importance, les sapiosexuels commencent à sortir du placard. Ils affirment haut et fort leur préférence  – y compris en cochant la case « sapiosexuel » sur le site de rencontres OkCupid.

Ils ne voient aucun intérêt au porno tout bête. Plus qu’un beau corps, ce qui les excite c’est une belle intelligence. Celui-ci a conquis la jeune femme qu’il courtisait en lui envoyant un conte érotique de plusieurs pages incluant des références au calendrier Julien, au système décimal, au changement climatique. Cette autre a craqué pour un prestidigitateur : ses démonstrations de lévitation et de télépathie l’ont transportée au septième ciel.

Dérive de la pensée correcte : certains s’indignent de ce que les autistes, les incultes, les esprits simples soient exclus…

Des goûts et des couleurs, il faut nuancer. Les sapiosexuels  ne recherchent pas forcément un nouvel Einstein ou une nouvelle Germaine de Staël. Le sens de l’humour, l’intelligence émotionnelle ont des charmes qui s’épanouissent avec le temps, alors que la beauté physique est destinée à se fâner.

Anna North – International New York Times – 8 juin 2017

C’est pas juste, M’sieur !

Expérience de primatologues. On apprend  à des singes à échanger des cailloux contre des tranches de concombre. Ils sont satisfaits de ce deal. Puis au lieu de concombre on donne à l’un d’eux une grappe de raisin. Les singes adorent le raisin et le veinard est ravi. On prend bien soin de réaliser cette transaction sous les yeux d’un autre singe. Quand on propose de nouveau du concombre à ce témoin, il se sent insulté et jette le légume à la figure du primatologue. Autrement dit, les singes ont le sens de la justice.

Les singes ne sont pas les seuls primates à s’offenser des inégalités. Les passagers des avions aussi. Quand on analyse des millions de vols, on se rend compte qu’il y a davantage d’incidents chez les passagers lorsqu’existe une classe affaires. Selon les avions, on accède aux classes économiques par le milieu ou le devant de l’appareil. Les passagers de la classe économique qui ont dû passer par la classe affaires pour gagner leur siège se mettent plus souvent en colère contre l’équipage que ceux qui y ont accédé directement.

Comme le résume Kaith Payne, professeur de psychologie à l’université de Chapel Hill (Caroline du Nord), « l’inégalité divise les sociétés en deux camps opposés pas seulement en termes de revenus, mais aussi en termes d’idéologie. Elle produit du mécontentement, génère du stress et affaiblit la confiance ». Autrement dit, l’économie dysfonctionne quand les uns reçoivent du concombre et les autres du raisin.

Nicholas Kristof – International New York Times – 6 juin 2017

Têtes mal faites

Trop d’étudiants américains n’apprennent pas à réfléchir. C’est ce que montrent les résultats d’un test mené dans 200 universités à travers le pays auprès des étudiants de première et quatrième année. Dans plus de la moitié des établissements, un tiers des étudiants en fin de premier cycle se montrent incapables d’argumenter de manière cohérente, de juger de la qualité d’une preuve ou d’interpréter des données chiffrées. Et après quatre ans d’études dans des établissements prestigieux, ils ne sont pas meilleurs à cet exercice qu’à leur arrivée. Seuls s’en tirent certains établissements plus petits dont les étudiants, moins bons à leur arrivée, ont suivi un enseignement interdisciplinaire rigoureux.

Ce qui manque surtout, c’est l’apprentissage à l’esprit critique, l’entraînement au raisonnement analytique et à la résolution des problèmes. Toutes choses indispensables à ceux qui vont affronter un marché des compétences de plus en plus global et changeant. Un diplôme aide à trouver un bon emploi mais ne prouve qu’on a acquis les compétences critiques indispensables au salarié comme au citoyen.

Les universités mises en cause contestent évidemment la validité du test. D’autres en tirent les leçons en mettant en place des cours d’esprit critique.

Le déclin de notre capacité à penser en profondeur a été accéléré par les technologies de la communication. Un conférencier qui a commencé sa carrière en Afrique du Sud avant l’avènement de la télévision affirme que le déclin d’attention de son auditoire correspond au nombre d’années qui se sont écoulées depuis lors. Même dans les amphis des meilleures universités, parmi les étudiants qui semblent prendre des notes sur leur ordinateur portable bon nombre surfent en fait sur le web.

Pour percevoir clairement le monde nous devons d’abord nous couper du bruit, des multiples distractions et nous réaccoutumer à penser en profondeur.

Jonathan Rosenblum – The International Jerusalem Post – 18 septembre 2000

Douglas Belkin – The Wall Street Journal – 6 juin 2017

Le problème avec les écrans

Un collectif de médecins et de professionnels de la petite enfance alerte sur les troubles graves que ses membres observent de plus en plus chez les petits. Ces troubles sont provoqués par une exposition massive et précoce des bébés à tous types d’écrans.

« Captés ou sans cesse interrompus par les écrans, parents et bébés ne peuvent plus assez se regarder et construire leur relation. Les explorations du bébé avec les objets qui l’entourent, soutenues par les parents, sont bloquées ou perturbées, ce qui empêche le cerveau de l’enfant de se développer de façon normale.

« Ces deux mécanismes – captation de l’attention involontaire et temps volé aux activité exploratoires – expliquent à eux seuls les retards de langage et de développement, présents chez des enfants en dehors de toute déficience neurologique. Mais comment comprendre les troubles plus graves que nous observons chez ces enfants présentant des symptômes très semblables aux troubles du spectre autiste ? Des absences totales de langage à 4 ans, des trouble attentionnels prégnants : l’enfant ne réagit pas quand on l’appelle, n’est pas capable d’orienter son regard vers l’objet qu’on lui tend, hormis le portable. Des troubles relationnels : l’enfant ne sait pas entrer en contact avec les autres. Fait preuve d’une intolérance à la frustration, surtout quand on lui enlève “ son ʺ écran…

« Lorsque nous interrogeons les parents, nous découvrons trop souvent la place centrale des écrans dans la famille. L’enfant est en contact permanent avec les écrans : de façon directe ou indirecte, quand un écran est allumé dans la pièce où l’enfant se trouve, ou lorsque le parent regarde son portable et ne regarde plus son enfant.

« Lorsque nous demandons aux parents de retirer les écrans, nous observons davantage de regards adressés, un temps d’attention prolongé, des échanges de sourires, un besoin de jouer, davantage de curiosité, un développement du langage. Il s’agit d’un véritable enjeu de santé publique ».

Le Monde – 31 mai 2017

S’en sortir par les pizzas

Les prisons de Chicago offrent une seconde chance aux détenus volontaires au moyen de toutes sortes d’initiatives : leçons de guitare, culture d’un jardin communautaire, tournois d’échec, apprentissage de l’écriture et de l’introspection à travers la rédaction de son autobiographie…

Le plus populaire de ces programmes, c’est l’apprentissage du métier de cuisinier. La liste d’attente est longue. Il faut pour y accéder avoir fait preuve de sa bonne conduite, de sa parfaite hygiène et avoir rédigé une lettre de motivation au chef Bruno Abate, qui, en dehors de la prison, officie habituellement dans un restaurant italien gastronomique de la ville. Sous sa direction, 200 prisonniers ont été initiés en 5 ans à l’art des pâtes fraîches, des omelettes savoureuses, des glaces à l’italienne… Ce sont les pizzas, parfaitement rondes et fines, cuites au feu de bois, qui ont le plus de succès : les autres détenus les achètent avec leur pécule (de 5 à 7$) et bientôt elles seront vendues dans des food trucks à l’extérieur. Le programme tout entier – y compris le four à 16 000 $ –   n’a nécessité aucun apport d’argent public car il a été financé uniquement par des dons.

Cette formation a pour but d’éviter les récidives en donnant à chacun une vraie compétence professionnelle et la capacité à se projeter positivement dans l’avenir. Marcus Clay, 21 ans, a été condamné il y a deux ans pour braquage. « Mon état d’esprit a complètement changé. J’ai appris à faire des projets. Quand je sortirai d’ici, je ne referai pas les mêmes bêtises », témoigne-t-il tout en travaillant la pâte du geste adroit du pizzaiolo.

Shibani Mahtani – The Wall Street Journal – 30 mai 2017

Soigner ou éduquer ?

Depuis plusieurs années, l’hyperactivité avec déficit d’attention (TDAH) interroge notre société.

Le TDAH, qui frappe davantage les garçons que les filles – environ 5% des garçons en âge d’être à l’école primaire–  est fréquemment associé à de nombreux autres troubles (énurésie, opposition et provocation, anxiété, dépression et plus tard addictions). Du fait même de sa formulation, le TDAH est un trouble surprenant : depuis quand un enfant plein de vie et d’énergie relèverait-il de la psychiatrie ?

A un bout du spectre, les enfants qui ne supportent aucune forme d’attente, coupent systématiquement la parole, sont incapable de rester assis en classe ou à table, oublient et perdent tout, traversent la rue sans réfléchir, n’écoutent jamais personne, sont incapable de participer à un jeu de société, disent tout ce qui leur passe par la tête et profèrent des insultes … Ils peuvent se faire détester, y compris d’eux-mêmes, au risque de se marginaliser et de tomber dans la consommation de substances et la délinquance.

Mais à l’autre bout, des enfants dynamiques, créatifs, spontanés, enthousiastes, meneurs, résilients, fonceurs à l’aise dans les situations de crise : autant de qualités qui peuvent donner des personnalités hautes en couleur et charismatiques.

Où placer la limite entre traiter médicalement tout comportement en dehors de la norme, ce qui s’apparente à un crime contre l’humanité, et ne rien traiter par déni de toute normativité, au risque de négliger des sujets en souffrance majeure ?

Dans quel monde vivons-nous, si l’on doit invoquer le soin et les médicaments pour simplement élever nos enfants ?

Pr. Bruno Falissart, Pédopsychiatre – Le Figaro – 29 mai 2017

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