Edito Mars 2016: Œufs, croissants et autres querelles de table

Est-ce une préfiguration du Brexit ? Une polémique fait rage ces temps-ci en Grande-Bretagne. Les boulangers de la chaîne de supermarchés Tesco fabriquent des croissants droits au prétexte que, pouvant être tranchés tout du long par le milieu et se rangeant mieux sur la plaque du four, ils sont plus pratiques.

Or, le mot « croissant » désigne à l’origine la forme de cette viennoiserie. Elle fut inventée, selon la légende, par un pâtissier viennois pour célébrer en 1683 la victoire des Autrichiens sur les Turcs qui avaient assiégé la capitale. Le gâteau rappelait le croissant de lune du drapeau de l’ennemi. A ce moment-là, il s’appelait Kipferl. Il aurait été introduit en France quand à la fin des années 1830, un officier d’artillerie autrichien, August Zang, s’installa à Paris où il ouvrit une Boulangerie Viennoise , dont les Kipferl eurent tellement de succès qu’ils devinrent vite une spécialité française : les croissants. Les croissants droits seraient donc, pire qu’un abandon des traditions, un véritable contresens.

Cette querelle fait irrésistiblement penser à celle des petits-boutistes et des gros-boutistes racontée par Jonathan Swift. Le premier voyage de Gulliver l’emmène sur l’île de Lilliput où un combat farouche oppose ceux qui préconisent qu’il faut entamer son œuf à la coque par le petit bout et ceux qui soutiennent qu’il faut l’entamer par le gros bout. Cela prend des proportions tellement terribles que Gulliver est obligé de s’enfuir.

Nous autres Français, qui les avons pratiquement tétés avec le lait de nos mamans, nous savons tout sur les croissants. Nous sommes habitués à voir dans les vitrines de nos artisans boulangers, côte à côte, des croissants courbes, meilleur marché, faits à partir de margarine et des croissants droits, faits selon les règles de l’art à partir de beurre. Nous savons qu’il est, sinon criminel du moins de mauvais goût, de traiter un croissant comme un vulgaire toast en y étalant de la marmelade d’orange tout du long. Nous savons qu’un croissant se déguste nature, trempé ou non, et, à la rigueur, en le rompant par petits morceaux et en posant la confiture au fur et à mesure sur l’entame. Et la polémique du croissant nous fait doucement rire. A croire que cette qualité éminemment britannique, le flegme, a traversé la Manche.

Ne nous rengorgeons pas. Nous avons nous aussi notre compte de querelles absurdes qui nous permettent de nous écarter un moment des vrais problèmes… Cette rubrique se voulant apolitique, je vous laisse le loisir de compléter ce passage avec, à votre choix, l’un ou l’autre de ces débats superficiels qui font périodiquement la une des médias et qui vous agacent.

Pour en revenir aux fondamentaux de la culture britannique, je suggère de chercher dans la folie la voix de la raison. « On ne peut croire à des choses impossibles, » dit Alice à la reine du Pays des Merveilles. Cette dernière rétorque : « Eh bien tu manques d’entraînement. A ton âge je le faisais tous les jours pendant une demi-heure. Il m’est même arrivé de croire à six choses impossibles avant le petit-déjeuner. ” Croire aux croissants droits, au bacon casher (délicieux), à l’œuf continu (conçu pour que les passagers des wagons-lits aient tous le même diamètre de blanc et de jaune dans l’assiette) …, c’est élargir notre vision du monde, notre imagination et notre inventivité. Que ce soit en matière de petit-déjeuner ou de tables rondes, nous en avons soupé des gens qui regardent la réalité par le petit bout !

Hélène Braun

Une vocation qui décolle

Les blockbusters hollywoodiens, Seul sur MarsInterstellar et Gravity, reflètent et encouragent l’engouement qui ressurgit pour les voyages interplanétaires.

La NASA a lancé le 14 décembre un appel pour recruter de nouveaux astronautes. Quand la date limite a été atteinte, le 18 février, ils étaient 18 400 Américains et Américaines à avoir envoyé leur CV : ingénieurs, biologistes, physiciens ou mathématiciens, titulaires d’une maîtrise ou d’un doctorat délivré par une université reconnue, ayant à leur actif trois ans d’expérience professionnelle dans ces domaines scientifiques ou, pour les pilotes, au moins mille heures de vol.

L’agence spatiale américaine indique qu’un appel similaire avait en 2012 recueilli trois fois moins de propositions. "Il n'est pas du tout surprenant que tant d'Américains de différentes formations et expériences veuillent contribuer à préparer notre voyage vers Mars", a déclaré le responsable de l'agence et ancien astronaute, Charlie Bolden.

Les dossiers vont maintenant être examinés par la NASA, qui annoncera le résultat de la sélection à la mi-2017 et devrait retenir entre 8 et 14 personnes. Les lauréats suivront ensuite une formation de deux ans à bord des modules de simulation de la station spatiale internationale et rejoindront les rangs du corps d'élite des astronautes qui compte actuellement 47 membres.
Ils pourront ensuite travailler sur la Station spatiale internationale, sur les futurs vaisseaux commerciaux Starliner de Boeing et Dragon de SpaceX (la compagnie d’Elon Musk) ou sur Orion, le module de la NASA destiné à l’exploration de l’espace profond qui devrait être opérationnel en 2021.

La presse – du 20 au 24 février 2016

Prospective de l’eau en Californie

Avec le réchauffement planétaire, la sécheresse qui frappe depuis quelques années la Californie ne pourra que s’aggraver. Les restrictions actuelles qui permettent d’économiser 25% de l’eau sont insuffisantes. Et le recours à de l’eau en provenance du fleuve Colorado et de l’Etat de Caroline du Nord ne pourra durer indéfiniment.

Or, de l’eau en Californie, il y en a beaucoup. C’est celle des orages violents et dangereux, récurrents dans la région. A la suite des inondations qui ont, en 1938, tué 97 personnes à Los Angeles, les ingénieurs urbanistes - dont le plus célèbre est Mullholland - avaient construit des infrastructures destinées à faire s’écouler l’eau le plus vite hors de la ville. Ce sont ainsi chaque année plus de 200 milliards de gallons (750 milliards de litres) d’eau de pluie qui ne font que passer par la Californie pour s’en aller directement par les égouts jusqu’à l’océan. Si cette quantité d’eau était recyclée et utilisée, elle pourrait satisfaire les besoins de 1 400 000 foyers.

Récupérer l’eau des orages nécessitera de construire de nouvelles infrastructures : prévoir des terres inondables là où l’essentiel des rues sont pavées ; installer des citernes souterraines sous les maisons particulières et les immeubles de bureaux ; revoir le système des égouts dans les foyers et les centres commerciaux… mais ce serait, selon le vieil adage que rappellent les urbanistes et la municipalité de Los Angeles, faire d’un problème en opportunité, changer un danger en bienfait.

Adam Nagourney – International New York Times – 20 février 2016

Les braconniers de la mer vus du ciel

Environ 90% des ressources maritimes sont surexploitées et la population de nombreuses espèces de poissons est en train de s’épuiser. Les mauvaises pratiques sévissent dans ces territoires qui semblent appartenir à tout le monde, donc à personne. A ce rythme, les océans contiendront en 2025 davantage de sacs plastiques que de poissons. Le pillage est surtout dû à la pêche industrielle.

Les Iles Palaos en Océanie sont pionnières en matière de sauvegarde des fonds marins. Depuis leur indépendance en 1994, ces Etats fédérés de Micronésie ont inscrit dans leur Constitution la défense absolue de l’environnement naturel et celle-ci est enseignée dès l’école primaire. Leurs eaux à 29° toute l’année abritent une exceptionnelle variété d’espèces sous-marines. La Micronésie a créé un sanctuaire pour les requins du monde et un autre pour les baleines, les dauphins et les dugongs. La pêche, qui est avec le tourisme la principale ressource de ces îles, y est plus sévèrement encadrée que nulle part : zones bien délimitées ; saisons halieutiques bien définies pour ne pas perturber le frai…

Mais tant que la Planète tout entière ne suivra pas cet exemple, les habitants des îles Palaos subiront les effets des pillages de la pêche excessive.

Les Palaos souffrent aussi de cet autre fléau : le braconnage en mer, contre lequel les autorités étaient jusqu’à présent impuissantes, car il est pratiquement Impossible de patrouiller sur toute la surface de l’océan.

Or, voilà que de nouvelles technologies vont sans doute résoudre une bonne partie du problème. Au lieu de patrouiller à l’aveugle, on pourra désormais repérer les braconniers en associant d’une part le système automatique d’identification des navires et leur géolocalisation par satellites mis en place depuis 1990 pour éviter les collisions et d’autre part des logiciels sophistiqués dont les algorithmes lancent des alertes quand, par exemple, un navire éteint son système d’identification, entre dans une zone interdite, ou se met à faire des zigs-zags indiquant qu’il est en train de pêcher clandestinement.

Ian Urbina – International New York Times – 20 février 2016

Petits hommes verts contre paysans

La Chine a l’habitude de déplacer les populations rurales pour faire place à de grands chantiers. Le barrage des Trois Gorges a ainsi chassé plus d’un million d’habitants qui habitaient le long du fleuve Yangtze. Le projet de détourner chaque année près de 45 milliards de m3 d’eau du Yangtze au sud de la Chine vers la zone aride au nord du bassin du fleuve Jaune à l’aide de toute une série de canaux en a chassé 350 000.

A présent, ce sont 2 029 familles soit 9 110 personnes qui vont devoir quitter leurs villages de la province de Guizhou, au sud-est de la Chine. Il s’agit cette fois de faire place à … des extraterrestres.

Plus exactement, les autorités ont voulu libérer une zone de 5 km. Le site choisi est une large dépression au milieu de collines de quartz, loin des villes : la dépression du Dawogang. Un endroit idéal pour installer le plus grand radiotélescope du monde.

Le plus grand à ce jour est celui de l’observatoire d’Arecibo à Puerto Rico, qui fait 300 mètres de diamètre. Avec 500 mètres de diamètre, le télescope chinois FAST (Five-hundred-meter-Aperture Spherical Telescope) est gigantesque : il couvre une surface équivalente à 30 terrains de football. Il devrait, dès septembre prochain, se mettre à l’écoute des signaux de vie extraterrestre.

FAST fait partie du plan ambitieux de recherche spatiale qu’entreprend la Chine, qui a aussi annoncé son intention de mettre une station spatiale en orbite et d’envoyer un homme sur la Lune.

Li Di, astronome à l’Académie des Sciences chinoise, s’en réjouit : « Explorer l’inconnu est dans la nature humaine. »

Le Parisien – 16 février 2016
Edward Wong – International New York Times – 18 février 2016

La mésaventure du vrai-faux espion à plumes

Fin janvier, les habitants de Bint Jbeil, une localité au sud du Liban, repèrent sur leurs collines un rapace à l’allure louche. L’animal, d’une envergure d’environ 2 m, porte des étiquettes numérotées sur ses ailes et une petite antenne dépasse de son plumage.

Les Libanais s’emparent du suspect et le soumettent à une fouille en règle. Ils découvrent un petit appareil électronique, fixé au niveau de sa queue et, plus intrigant, une bague à l’une de ses pattes portant l’inscription « Tel Aviv Univ Israel ».

Une oiseau-espion à la solde des sionistes ? Pendant quelques jours, la thèse gagne les esprits. Puis la nouvelle de sa capture parvient jusqu’à la réserve naturelle de Gamla, sur le plateau du Golan, quelques kilomètres plus au sud.

A la vue des photos publiées par un site libanais où l’on voit le rapace bec et serres liés, les responsables reconnaissent leur animal, un vautour fauve. Cette espèce menacée d’extinction au Proche-Orient fait l’objet d’un programme de réintroduction piloté par l’université de Tel-Aviv. Le prisonnier de Bint Jbeil a grandi en Espagne avant d’être confié il y a un mois au parc de Gamla. Peu au fait de la géopolitique locale, il s’est aventuré en territoire hostile.

Entre-temps, ses ravisseurs se sont rendus à l’évidence : le charognard n’est pas un drone vivant en mission commandée. Le petit appareil placé sous son plumage est un simple transmetteur qui permet aux ornithologistes de Tel-Aviv de suivre leur protégé à la trace. Pas une caméra ni un enregistreur miniature. Décision est donc prise de remettre l’animal en liberté. Des casques bleus l’ont récupéré à Bint Jbeil et l’ont ramené sur le plateau du Golan.

L’histoire ne dit pas si, après ces déboires, l’infortuné vautour a demandé à être rapatrié en Espagne.

Benjamin Barthe – Le Monde – 18 février 2016

Sédentarité et inactivité physique, un tsunami sanitaire

Dans son Panorama de la santé 2015, l’OCDE fait le point sur l’état de santé des populations et sur les déterminants non médicaux de la santé dans ses 34 pays membres. Bonne nouvelle : les Français vivent plus vieux que la moyenne des habitants des pays riches (82,23 ans contre 80,5 ans). Mauvaise nouvelle : l’étude tient bien compte du tabagisme, de l’alcoolisme, de l’obésité chez les enfants dans les facteurs négatifs et de la consommation de fruits et légumes chez l’adulte dans les facteurs positifs, mais elle néglige la sédentarité et l’inactivité physique.

Or les effets de ces dernières sont considérés par l’OMS comme le 4ème facteur de risque de mortalité du monde, responsables de plus de 3 millions de décès par an, à égalité avec le tabac et avant l’obésité.

Comme prospective.fr vous le rappelait déjà le mois dernier dans cette même rubrique (cf. L’homme des cavernes, le feu et les serpents), l’homme moderne descend des chasseurs cueilleurs et son potentiel génétique n’a pratiquement pas changé depuis les sociétés paléolithiques. En d’autres termes, l’homme reste programmé génétiquement pour se tenir debout et bouger. Mais si le génome de l’être humain n’a pas changé, son environnement a été bouleversé en peu de temps. L’activité physique quotidienne a ainsi progressivement diminué d’année en année.

Cette baisse d’activité s’est accélérée durant les années 1970 pour devenir vertigineuse dans les quinze dernières années du fait du numérique. Cette désadaptation s’annonce comme désastreuse, malgré les données rassurantes produites par l’OCDE sur l’espérance de vie. En effet, les personnes incluses dans les statistiques présentées sont les parents ou les grands-parents (nés en 1930-1940) des trentenaires et quadragénaires (nés en 1970-1980) actuels. Ces « survivants » actuels n’ont pas eu à subir, dans leur jeune âge, les méfaits sanitaires de la sédentarité et de l’inactivité physique auxquels est confrontée leur descendance. Rien ne permet donc d’affirmer que l’espérance de vie, notamment en bonne santé, des plus jeunes sera la même que celle de leurs parents.

Précisons que sédentarité et inactivité physique ne sont pas synonymes.

L’inactivité physique se définit comme une quantité insuffisante d’activité physique, quotidienne ou hebdomadaire : moins de 30 mn d’activité physique modérée par jour ou moins de 10 000 pas quotidiens. En France, selon une étude de 2015, 78% des personnes âgées de 18 à 64 ans n’effectuent pas les 10 000 pas quotidiens nécessaires à leur santé.

La sédentarité est un état d’éveil associé à une dépense énergétique très faible. Le niveau de sédentarité journalier correspond aux temps cumulés assis devant un ordinateur ou un téléviseur. Il devient délétère pour la santé lorsqu’il dépasse régulièrement sept heures.

Un mode de vie sédentaire ou inactif augmente le risque d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire cérébral et de certains cancers.

Il y a là une urgence médicale. Il est pourtant facile à chacun d’y remédier à condition d’être informé et d’en avoir la volonté : ne pas rester constamment devant ses écrans, adopter un bureau debout, choisir une activité sportive qu’on aime ou simplement aller marcher dehors en recourant au podomètre inclus dans la plupart des smartphones…

François Carré et Yannick Guillodo, médecins du sport – Le Monde – 17 février 2016

Une nouvelle méthode pour remettre son horloge biologique à l’heure

Selon une étude qui vient d’être publiée par les chercheurs de l’université de Stanford (Californie), l’exposition à de brefs flashs de lumière pendant la nuit précédente éviterait aux voyageurs les effets du jet lag.

Cette méthode pourrait également soigner d’autres troubles du rythme circadien comme la dépression hivernale, l’insomnie ou les pathologies des gens qui travaillent la nuit. On pourrait aussi y faire appel pour que les adolescents qui se couchent trop tard aient sommeil au bon moment, se couchent plus tôt, soient moins fatigués le matin et plus attentifs en classe.

Un groupe de neurones bien spécifiques situé au-dessus du nerf optique agit comme un régulateur de la veille et du sommeil. Quand il fait noir, ces neurones envoient au cerveau l’ordre de secréter davantage de mélatonine, l’hormone du sommeil.

Les scientifiques de Stanford se sont associés à des techniciens de la Silicon Valley pour fabriquer un masque que les gens porteront la nuit et qui leur enverra de très courts flashs de lumière pendant leur sommeil.

Après toutes sortes d’essais - dont les résultats sont mesurés en analysant le taux de mélatonine dans la salive des sujets - les scientifiques ont défini la meilleure séquence : un flash de 2 millisecondes toutes les 10 secondes pendant 1 h permet d’avancer l’horloge interne de 2 h.

Une heure d’exposition continue à une lampe à lumière blanche telle qu’il en existe déjà pour soigner les dépressions saisonnières ou le jet lag ne la font avancer que de 36 minutes par heure. Et puis le masque à flashs a l’avantage d’être utilisé pendant le sommeil des sujets.

Une séance tôt dans la nuit retarde le rythme circadien et doit donc être programmée quand on voyage de l’est vers l’ouest. Une séance à la fin de la nuit fait avancer le rythme et est donc à prévoir quand on voyage de l’ouest vers l’est.

Sumathi Reddy – The Wall Street Journal – 10 février 2016

La Chine en mal de mâles pour enseigner les vertus viriles

Lin Wei, l’un des rares instituteurs masculins d’une école primaire de Fouzhou, à l’extrême est de la Chine, commence son cours d’Histoire par des légendes mettant en valeur la bravoure et les qualités chevaleresques de princes qui déjouent les pièges de sorcières ou de soldats qui luttent contre les troupes japonaises. A Shanghai, on expérimente des classes pour garçons uniquement ; on leur enseigne les arts martiaux, les sciences physiques et l’informatique. A Hanzhou, on a inauguré un camp de vacances appelé West Point Boys (bien que Hanzhou se situe à l’est du pays) avec toutes sortes d’activités réputées masculines comme le taekwondo et cette devise : « De nos garçons faisons des hommes ! ».

Il y a quatre à cinq fois plus d’institutrices que d’instituteurs dans les villes. Craignant que le faible taux d’instituteurs hommes ne produise une génération de garçons timides, narcissiques et efféminés, certaines provinces imaginent des encouragements, notamment financiers, pour attirer les garçons dans la carrière d’instituteur. Et les éducateurs s’efforcent de plus en plus de faire passer le message des rôles traditionnels entre hommes et femmes dans la société.

Ce souci en reflète aussi un autre. Tandis que la politique de l’enfant unique et la préférence culturelle pour l’héritier mâle a provoqué un surnombre de garçons par rapport aux filles, ceux-là réussissent généralement moins bien qu’elles à l’école. Les parents se font du souci pour l’avenir professionnel de leur progéniture. Et les pères, qui perdent de leur prestige auprès de leurs fils, tablent sur des enseignants hommes pour servir de modèles à ces derniers et leur inculquer ces qualités réputées viriles que sont la confiance en soi, le courage et le sens du sacrifice.

Mais la voix de la raison se fait aussi entendre ça et là. Celle de Li Yue, une institutrice de maternelle qui soutient : « Nous, les femmes, sentons plus intuitivement les besoins des petits ». Celle de Sun Yunxiao, chercheur en pédagogie et auteur d’un bestseller intitulé Sauvons les garçons : « Pour un développement harmonieux, les enfants ont besoin des deux, des enseignants et des enseignantes ! »

Javier Hernandez – International New York Times – 8 février 2016

La clause du grand-père

La clause du grand-père consiste à n’appliquer une réforme qu’après une date bien définie à l’avance (parfois plusieurs années après). Elle ne réforme que l’avenir, sans rien changer au passé et sans révolutionner le présent. Elle ne concerne que les futurs nouveaux bénéficiaires (une minorité) sans toucher les gens déjà installés (la majorité). Elle évite de jeter dans les rues les bénéficiaires des droits acquis, tandis que les futurs nouveaux entrants, seuls concernés par la réforme, n’ont pas conscience de ce qui les attend et ne sont pas en mesure de défendre leurs intérêts.

Le précédent, c’est ce que fit Pierre Mendès France quand il abolit, en 1954, la transmission par héritage du privilège des bouilleurs de cru. Sa réforme préservait les privilèges des personnes existantes et ne s’appliquait que cinq ans plus tard. C’est ainsi que fut surmontée l’opposition farouche des députés ruraux.

Prenons le marché du travail. Il y a aujourd'hui quasi-consensus sur la bonne réforme : une combinaison de flexibilité à licencier, de sécurité professionnelle et sociale pour les salariés et enfin de réduction forte de l’incertitude sur le droit des contrats de travail. C’est ce que firent avec succès les sociaux-démocrates danois entre 1993 et 2003. C’est ce qu’a décidé le Premier ministre italien Matteo Renzi au début 2015 : 200 000 emplois ont été créés depuis et le chômage a baissé de 1 point. On pourrait de même en France n’appliquer la réforme du marché du travail qu’aux nouveaux contrats signés après la réforme.

La clause du grand-père pourrait aussi être utilisée pour le logement – dont le dysfonctionnement est analogue à celui du travail - en libéralisant les conditions de fin de bail pour les propriétaires (avec un volet social pour les locataires les plus démunis) mais seulement pour les baux signés deux après la réforme. Idem pour la réforme des lycées et des universités...

La clause du grand-père pourrait ainsi s’appliquer à nombre de dossiers économiques et sociaux. Certes, avec elle, les réformes sont retardées, mais au moins elles adviennent.

Jacques Delpla, professeur associé à l’Ecole d’économie de Toulouse – Les Echos – 7 février 2016

Tu accepteras le visage de ton prochain

Chaque fois que nous voyons un visage, une zone bien précise de notre cerveau s’active. C’est le gyrus occipito temporal de l’hémisphère gauche, ou gyrus fusiforme, qui nous permet de reconnaître les individus, de déchiffrer les expressions, de comprendre les émotions de l’autre.

Des études récentes montrent que quand on voit le visage d’une personne d’une autre race que la nôtre, le fusiforme est moins concerné et on lit moins bien son expression. En revanche, une autre zone cérébrale s’active instantanément, nous faisant repérer en quelques dixièmes de seconde que nous avons affaire à quelqu’un d’une autre race. Cette zone est l’amygdale, une région du cerveau archaïque, impliquée au premier chef dans la peur et l’anxiété ! L’amygdale, d’ailleurs, ne s’active pas quand la personne d’une autre couleur est une célébrité populaire ou quand elle arbore un signe distinctif qui nous semble plus important que sa couleur (par exemple la casquette d’une équipe de sport dont on est fan).

Cette réaction neurologique, repérable par IRM, a été appelée ORE (other-race-effect). L’existence de cet ORE a été avancée comme la preuve qu’on distingue naturellement entre « eux » et « nous ». Il s’agit apparemment d’une bien mauvaise nouvelle pour tous ceux qui pensent qu’il n’y a pas de races chez les humains ou qu’en tout cas elles se valent toutes.

Mais on pourrait interpréter différemment cette découverte. L’ORE n’a pas la même taille chez tout le monde. Il est plus étendu chez les personnes qui ont vécu dans un environnement uni-racial et plus étroit chez celles qui ont été élevés dans un environnement mixte. Certes, spontanément, nous faisons toujours la différence entre « eux » et « nous » mais la frontière ne passe pas par la race si, tous petits, nous avons été en contact avec toutes sortes de populations.

Si l’on veut une société sans préjugés, c’est donc dès le plus jeune âge, bien avant l’école maternelle, qu’il faut s’en occuper.

Robert M. Sapolsky - The Wall Street Journal – 11 janvier 2016

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