Prospective.fr – Février 2015 – Edito

Prospective de la vie longue

L’espérance de vie ne cesse d’augmenter : le nombre des plus de 65 ans sur la planète va tripler pour atteindre 1,5 milliards d’ici à 2050 et on vivra de plus en plus longtemps. Un Français sur deux, une Française sur trois seront atteints par un cancer un jour ou l’autre. Sur les 148.000 décès par an imputables au cancer en France, 108.000 décès, soit 73%, surviennent à partir de 65 ans.

Les institutions en charge du financement de ce combat ne savent plus faire alors que le prix des médicaments les plus récents, les fameuses molécules ciblées, atteint des sommets. Le coût du cancer a été évalué par une équipe britannique dans un article paru en octobre 2013 dans la revue Lancet à 125 milliards d’euros pour la seule Union Européenne. Une équipe de l’Institut Curie a chiffré pour l’année 2011 à 14,5 milliards d’euros la prise en charge du cancer en France par l’Assurance Maladie. Et un article paru dans le Journal of Clinical Oncology a évalué à 4.000 dollars par mois et par patient le coût du cancer aux Etats-Unis. Débordé par la demande et confronté à beaucoup d’autres sollicitations, le National Health Service britannique (NHS) vient d’annoncer qu’il réduirait de 30% le nombre des thérapies qu’il prendra en charge.

Qui bénéficiera des nouveaux traitements ? Qui en sera privé ? Et surtout qui en décidera ? Ce sont des questions délicates, actuelles, critiques pour les personnes concernées et leur entourage. La définition de normes semble impossible. Au pied du lit des malades, les médecins sont confrontés à de terribles dilemmes.

Faut-il aborder le problème avec fatalisme et laisser le dernier mot aux programmateurs des logiciels du système de protection sociale ? C’est à dire accepter que soient mis en place des systèmes de triage inspirés de la chirurgie militaire : consacrer tous les moyens à la sauvegarde de ceux qui sont le moins atteints et sacrifier les plus touchés ? Nous n’avons pas de réponse et la médecine à deux vitesses est inacceptable, alors même qu’elle est souvent pratiquée en toute discrétion.

Pourtant, nous ne pouvons plus faire comme si le problème financier ne se posait pas. Nous n’avons pas le droit de dédier des ressources à une seule classe d’âge au détriment des autres, ni d’ignorer les aléas qui pèsent sur l’avenir des retraites. Il faut élargir la perspective, ce qui révèle deux champs d’action actuellement méconnus.

L’un porte sur l’usine à gaz qu’est notre système de santé et de protection sociale, avec ses innombrables régimes et caisses, paralysé par la règlementation et la suradministration, son coût de fonctionnement qui représente 1,5 fois le fameux « trou » de la Sécurité sociale. J’évoquerai ici le précédent du Canada, qui a remis de l’ordre dans son propre chaos et qui attire beaucoup de nos jeunes.

L’autre a trait non à l’épisode de la maladie mais au déroulement de chaque existence, à la manière dont chaque personne conduit sa vie. Nous devons tous apprendre à introduire la longue durée dans notre réflexion et notre comportement, et faire autre chose de la préparation de notre avenir qu’un vague sujet de conversation.

Attention, des enchaînements redoutables sont discrètement, clandestinement, à l’œuvre. Continuons ainsi à ne rien faire, à laisser faire des administrations dénuées d’humanité et d’intelligence des situations et, soyons en certains, nous nous retrouverons bientôt dans un Meilleur des Mondes !

 

Armand Braun

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