Prospective.fr – Juin 2015 – Edito

Prévision et prospective : cinquante ans après

En 1964, le Commissariat au Plan a publié des Réflexions pour 1985 rédigées par un Comité de Sages.

Dans Paris-Match du 14 novembre le journaliste Georges Menant résumait ce rapport, qui était assorti d’une interview de Louis Armand. Cet article brossait le portrait du Français moyen de 1985. Il est mince car le sport, la médecine et la sobriété ont mis fin à l’embonpoint. Il est supposé habiter Grenoble, localisation optimale pour mener une vie saine. Il a appris à l’école à nager, conduire une automobile, taper à la machine. Dans son blouson de toile synthétique (infroissable, intachable, incombustible et s’adaptant aux changements de température), il a un portefeuille découpé dans la peau du crocodile qu’il a lui-même tué lors de vacances en Afrique, où il se rend fréquemment : il détient le permis de pilote d’avions et d’hélicoptères. Il exerce le métier d’ingénieur en maisons, c’est à dire qu’il conçoit des logements faits pour durer une dizaine d’années et dont on change comme on change de voiture. L’organisation de sa vie mêle études, production et retraite : il a produit dès qu’il était étudiant, continue à se former, compte travailler au moins à mi-temps jusque vers 80 ans. Dans la Cité, il est consulté à propos de toute décision qui le concerne et sait que son avis sera pris en considération.

Réflexions pour 1985 était un travail sérieux. On y retrouve une préfiguration de la Carte Vitale, l’aviation low-cost, les MOOCS, les problèmes mentaux liés à un environnement de plus en plus urbain, l’égalité hommes-femmes, et l’espoir que portaient la construction européenne en cours et la conquête de l’espace qui commençait. On y décèle aussi des prévisions démenties : la minceur alors que l’obésité ne cesse de gagner, l’idéalisation de l’avenir du système éducatif ou encore « la mentalité et l’accueil des administrations publiques rivalisant avec l’entreprise privée ». Et il y manque évidemment des données alors inconcevables : montée du chômage, prise de conscience écologique…

Alors que vous parcourez cette description avec un petit sourire, demandez-vous ce que vous-mêmes – qui êtes certainement des Sages puisque vous lisez prospective.fr – seriez capables de prévoir pour 2035.

Remarques de prospective.fr :

– En 1964, 20 ans plus tard c’était 1984, année qui posait le problème d’une confusion éventuelle avec le roman d’Orwell, 1984, d’où Réflexions pour 1985.

– L’année suivante, en 1965, Gordon Moore prévoyait l’augmentation exponentielle des semi-conducteurs. Pourtant l’importance future d’Internet, du numérique, du téléphone portable, etc. qui nous entourent n’étaient pas imaginables, même à Grenoble, déjà capitale des technologies nouvelles.

Réflexions pour 1985 est une source oubliée. Le regard des auteurs dépasse, sans les méconnaître, les approches macroéconomiques du Plan pour se pencher aussi sur la vie quotidienne et les attentes des personnes. C’était surtout l’œuvre personnelle de Pierre Massé, président du Commissariat au Plan et futur président d’EDF. Louis Armand était le rénovateur de la SNCF. Tous deux avaient été des compagnons de Gaston Berger au sein du Centre international de Prospective. Nul ne prétendrait aujourd’hui prendre la responsabilité d’un tel rapport. Cela devrait nous interpeller : il n’est plus possible, même en se référant aux sources considérées comme les plus respectables, de retrouver cette disponibilité vis-à-vis de l’imprévisible et ce sens de la responsabilité vis-à-vis de l’avenir qui étaient le cœur du message de Gaston Berger.

Hélène Braun

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